‘’Certains pays africains s’opposent à une annulation générale de la dette’’
Pendant que certaines personnalités comme le président Macky Sall déploient toutes leurs énergies pour une annulation de la dette, la directrice générale du FMI, Kristina Georgieva, a informé, hier, sur France 24, qu’il existe des pays africains qui sont contre toute ‘’annulation générale’’ de la dette. Ceci est, en effet, perçu par ces derniers comme une prime aux ‘’cigales’’ qui accumulent les prêts et se retrouvent avec des dettes insoutenables.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, tous les pays en développement ne sont pas favorables à une annulation générale de la dette. C’est, en tout cas, ce qui ressort des propos de la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), invitée, hier, de France 24, en marge d’un sommet international qui se tient à Paris, sur le financement des économies des Etats africains fragilisés par la pandémie à Covid-19. Kristina Georgieva se prononce sur l’approche cas par cas, en ce qui concerne le traitement de la dette des pays africains.
‘’La charge de la dette a été réduite de façon radicale pour les pays qui en ont fait la demande. Et cette approche au cas par cas est judicieuse… Certains pays africains s’opposent à une annulation générale de la dette. Les bons élèves notamment, dont la dette reste raisonnable, voient d’un mauvais œil une annulation générale qui viendrait récompenser les cigales, dont la dette n’est plus soutenable’’, a-t-elle souligné.
Selon la directrice générale du FMI, il faut néanmoins une mobilisation de tous les acteurs pour une prise en charge efficace de cette problématique. D’abord, les pays doivent ‘’se manifester et améliorer le cadre de leur action publique’’. Ensuite, la communauté internationale doit se mobiliser ‘’avec des subventions et des prêts concessionnels’’.
Il faut également, dit-elle, ‘’un allégement de la dette, à la mesure de la problématique’’. Madame Georgieva de préciser : ‘’Si on regarde attentivement notre historique, les mesures prises par les pays pour améliorer leurs performances économiques et leurs recettes fiscales sont associées à des subventions, des prêts concessionnels et des investissements privés. C’est ce qui explique les forts taux de croissance de nombreux pays africains au cours des dix dernières années.’’
Cela dit, la patronne du FMI a insisté sur l’urgence de poser des actes et de mettre en œuvre des réformes, ‘’en vue de favoriser l’emploi des populations de plus en plus jeunes’’. ‘’Le FMI, affirme-t-elle, apporte sa pierre en montant au créneau pour l’Afrique, d’une façon sans précédent, car la crise est elle-même sans précédent. Au cours de l’année écoulée, nous avons multiplié par 13 l’aide financière à l’Afrique, par rapport à la moyenne des 10 dernières années. Nous abordons ce sommet avec 650 milliards de dollars en droits de tirage spéciaux fraichement répartis. Ce qui permettra de renforcer les réserves de l’Afrique qui en a tant besoin’’.
Mais pour certains observateurs, ces montants restent très dérisoires et devraient être portés à des niveaux plus élevés. Interpellée sur la proposition du Président français, Emmanuel Macron, qui préconise que les pays développés puissent utiliser leurs parts de ces DTS pour aider ceux en développement, la DG du FMI se réjouit : ‘’Je suis tout à fait en faveur de cette proposition et j’éprouve une reconnaissance toute particulière à l’égard du Président Macron pour avoir organisé ce sommet qui arrive à point nommé. L’année dernière, c’est avec succès que nous avons mobilisé les DTS issus des répartitions précédentes... On a prouvé que c’est possible ; on va donc remettre le couvert. Bien entendu, la décision appartient à nos membres. Nous allons nous efforcer de finaliser la répartition d’ici fin août, avant de passer à la phase n°2 qui permet d’intensifier la réponse aux besoins financiers de l’Afrique.’’
Revenant sur la suspension du service de la dette, Mme Georgieva a expliqué que l’année dernière, cela a créé ‘’une marge de 5,7 milliards permettant aux pays de combler leurs besoins les plus urgents. Et la mesure a été prolongé jusqu’à fin 2021’’.
‘’En outre, signale-t-elle, le FMI a intensifié ses subventions, de façon à ce que les pays en détresse n’aient pas à rembourser. Vingt-neuf pays, dont 23 en Afrique subsaharienne, ont bénéficié d’une annulation du service de la dette prolongée jusqu’en octobre. La priorité absolue, c’est le succès du cadre commun pour assurer la pérennité du dispositif’’.
Ce qui est loin d’être gagné d’avance, car les pays sont loin d’être sur la même longueur d’onde, si l’on en croit la DG du FMI. Elle reconnait : ‘’Les pays riches ont effectivement exprimé de nombreuses préoccupations. Et on constate une divergence dangereuse entre les riches qui se retirent et les pays en développement qui perdent de plus en plus pied. C’est une problématique tant éthique qu’économique. Car qui dit divergence dit toujours plus d’insécurité, d’instabilité et une occasion manquée pour la croissance économique mondiale’’.
Afin de relancer cette croissance, Kristina Georgieva a insisté sur deux volets fondamentaux. D’une part, l’accélération du processus de vaccination ; d’autre part, la réduction des écarts quant aux conditions d’accès au marché financier. Sur le premier point, elle a particulièrement insisté sur les retards des pays africains. ‘’L’Afrique, souligne-t-elle, a pris un énorme retard dans ce domaine par rapport au reste du monde. Si on exclut le Maroc, seul 2 % de la population africaine a accès à la vaccination. Il faut y remédier’’.
Sur le second point, la DG du FMI précise : ‘’Assurons-nous de jeter des passerelles entre les pays avancés qui jouissent de faible taux d’intérêt et les pays africains dont les économies sont mal-en-point, mais qui présentent d’énormes opportunités d’investissement. Le rôle du FMI est de jeter ces passerelles. Il revient au reste du monde de les emprunter.’’
Pour elle, personne ne gagnerait dans une situation de crise d’une partie du monde au détriment d’une autre.
L’histoire nous enseigne l’effet des crises sur les pays. L’Afrique a d’ailleurs beaucoup souffert du choc pétrolier et a perdu une décennie.
Et d’ajouter : ‘’Rappelons qu’à l’horizon 2030, 50 % des nouveaux venus sur le marché du travail viendront d’Afrique. Soit on s’abstient d’aider l’Afrique et on obère la prospérité économique non seulement en Afrique, mais dans le monde entier. Mais la conséquence la plus dramatique serait le risque d’instabilité accrue sur un continent qui a déjà trop souffert.’’
Avec France 24