Entre sympathie et abus de pouvoir
Le message du chef de l'Etat adressé à des milliers de Sénégalais à l'occasion de la Tabaski, au-delà de sa valeur humaine, pose la question de l'utilisation des données personnelles des citoyens comme éléments de communication politique.
«Chers compatriotes. A l'occasion de la Tabaski, recevez mes meilleurs vœux. Que Dieu vous protège et garde notre cher Sénégal. Dewenati. Président Macky Sall.»
Le message du Président de la République à l'occasion de la célébration de la Tabaski 2013 est fort sympathique pour les musulmans du Sénégal. Il témoigne du souci que le premier d'entre nous porte à ses administrés, dont une bonne partie subit depuis plusieurs années, et comme si cela ne devait jamais finir, les contrecoups socio-économiques de politiques nationales et sectorielles pas toujours heureuses.
Néanmoins, ce message présidentiel, qui tend à devenir une «institution» à chaque grand événement, peut sembler troublant sur un autre terrain. Car, dans ce type de communication de masse, les initiateurs s'appuient très vraisemblablement sur des bases de données. On peut donc supposer qu'ils ont eu accès aux répertoires des principaux opérateurs téléphoniques intervenant sur le marché sénégalais. A ce niveau, cela devient un problème. De liberté et de protection de la vie privée de plusieurs millions de personnes.
Il y a quelque semaines, l'Autorité de régulation des télécommunications et des postes (ARTP) a clôturé une campagne nationale d'identification obligatoire pour tous les résidents installés au Sénégal et disposant d'un numéro de téléphone mobile. On peut concevoir que cette entreprise cristallise un enjeu de «sécurité nationale» bien compris, même si le scandale de la NSA américaine élargi presque au monde entier a confirmé la grande estime dans laquelle les Etats tiennent leurs citoyens.
Si les services du président de la République ont utilisé les répertoires téléphoniques des opérateurs locaux, nous sommes en droit de leur demander : «De quel droit usez-vous de nos numéros de téléphone pour nous envoyer message ?» Dans la réalité, et en tenant compte de plusieurs facteurs et paramètres, il n'est pas certain que tout le monde ait envie de recevoir un sms sur son téléphone mobile, fût-il du chef de l'Etat. Du reste, et jusqu'à preuve du contraire, un numéro de téléphone reste un bien privé à protéger contre toute violation d'accès ou d'usage sans autorisation du tiers propriétaire.
Sous cet angle, on peut alors se demander si le président de la République (signataire du message) n'a pas fait abus de pouvoir et d'autorité en pénétrant de force dans notre vie privée, à l'instar de ces supermarchés et autres maisons de commerce qui se «procurent» «sur le marché» les données personnelles de consommateurs ciblés. En France, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) ne laisserait passer une telle initiative.
Si les hypothèses et principes posés ci-dessus sont vrais, il s'impose donc aujourd'hui un besoin de clarification politique autour des données personnelles propres aux citoyens sénégalais. Un président de la République à l'ombre duquel est en embuscade un chef de parti politique doit-il avoir (seul) la latitude de s'adresser à ses compatriotes à partir de positions de pouvoirs dont ne disposent pas ses concurrents politiques ? C'est à voir...
En tout état de cause, il est grand temps que les organisations de consuméristes dont on se demande, pour chacune, le lobby d'appartenance, soignent leur respectabilité en prenant en charge des questions comme celle-là.