Fascination de la Négation des valeurs du Sénégal

Commençons par un simple constat de bon sens. Le souverainisme commence par la souveraineté du peuple et dans aucun des pays de l’AES (qui se veulent les champions du souverainisme) le peuple n’est souverain car la souveraineté se manifeste à travers avec des élections qui se tiennent plus depuis longtemps dans ces pays. Au Sénégal, le peuple souverain a démocratiquement choisi Bassirou Diomaye Faye, ce qui n’est ni le cas de Goita, Thiani ou Traore. Au Sénégal, le pouvoir sort des urnes alors dans l’AES, il est au bout du fusil. Donc soyons clairs, le Sénégal n’a pas à rougir d’être resté une democratie confirmant ainsi le statut d’exception démocratique qu’il a toujours été. La quête effrénée de reconnaissance et de légitimation de nos autorités chez les putschistes est telle qu’elles nous font penser que le Sénégal doit rougir d’être resté une democratie. Au désir paradoxal de reconnaissance et de légitimation, les dirigeants de l’AES répondent par une condescendance politique inadmissible. Quand le Sénégal organise les 80 ans de Thiaroye 44, aucun des dirigeants de l’AES ne fait le déplacement sans parler leur soutien actif au candidat de la Mauritanie dans la course pour la Présidence de la Bad dont la conséquence est une nouvelle berezina diplomatique gros calibre confirmant le « splendide auto-isolement » du Sénégal depuis l’avènement de Pastef. Si nous en sommes à ce niveau de régression, c’est parce que nos autorités ne sont pas à la hauteur et à la dimension de l’histoire notre grand pays. Le grand penseur Leo Strauss disait que la défense de la « clarté morale » est le socle de la politique extérieure face à Morgenthau qui la fondait sur la défense de l’intérêt national. La politique extérieure du Sénégal peut réconcilier Strauss et Morgenthau parce que assumer la « clarté morale » de notre longue histoire d’exception démocratique (jamais de rupture ou de prise anticonstitutionnelles du pouvoir) en Afrique a toujours été l’intérêt national du Sénégal. Le Sénégal est tombé dans l’évanescence diplomatique parce que devant le club des putschistes et des dictateurs les nouvelles autorités donnent l’impression d’être gênées que le Sénégal soit resté une democratie, comme si Pastef regrettait que l’insurrection n’ait pas réussi afin que le Sénégal cesse d’être une exception démocratique pour se rabaisser au rang des pays de l’AES. Cette évanescence diplomatique entraine un suivisme stratégique comme sur la question de bases américaine et française faisant ainsi passer le Sénégal de l’avant-garde à l’arrière garde, du leadership au suivisme stratégique et politique. Un Etat se doit de définir la géographie de son intérêt national. Ce que notre pays n’a pas sur la question des bases où l’émotion, le populisme, la quête de légitimation chez les putschistes de l’AES l’ont emporté sur notre intérêt national. En géopolitique on dit que les Etats ne sont pas des « agents moraux » et doivent donc toujours mettre au-dessus de tout leur intérêt national comme le résume si bien la doctrine anglaise de Lord Palmerston « L’Angleterre n’a pas d’amis ou d’ennemis permanents. Elle n’a que des intérêts permanents » et le plus grand intérêt permanent, la seule constante est de se donner les moyens de défendre l’ile. Grace à cette sagesse stratégique la petite ile n’a plus jamais été envahie depuis Guillaume de Normandie mais est devenue la seule véritable thalassocratie de l’histoire. Les américains font la même chose avec le « multilatéral quand nous pouvons et unilatéral quand nous devons ». Aujourd’hui concrètement face à la poussée djihadiste le Sénégal a besoin de renforcer sa coopération militaire avec ses alliés atlantistes traditionnels que sont les USA et la France, ne serait-ce que pour le Renseignement qui est le nerf de cette guerre asymétrique. Les bases militaires étrangères au lieu d’être perçues comme des vestiges impérialistes peuvent être considérées comme les symboles d’une nouvelle alliance comme c’est le cas au Japon où il y a des bases américaines malgré deux bombes atomiques américaines de Hiroshima et Nagasaki. Il y en a aussi en Allemagne malgré la terrible défaite lors de la IIe guerre mondiale en 1945 sans oublier la Turquie et le Qatar. Qui ose dire que le Japon, la Turquie et l’Allemagne ne sont pas des pays souverains. Les japonais ont accepté les bases américaines à cause de la menace chinoise et les allemands à cause de la menace soviétique. Une question d’intérêt national ne doit pas être traité avec émotion ou être tributaire des effets de mode politique comme le souverainisme. C’est parce que les pseudo-souverainistes ne voient pas plus loin que le bout de leur nez qu’ils oublient que le Sénégal contrairement aux Etats enclavés de l’AES est aussi un pays atlantiste et ce n’est pas dans notre intérêt national de renier cet avantage comparatif qui est déterminisme à la géographique et géopolitique et qui fait que nous sommes au carrefour de l’histoire et de la géographie. Porte du continent, Nous sommes en face des Amériques, à quelques heures de l’Europe, en plus d’être le pont entre l’Afrique noire et le Maghreb grâce au fleuve Sénégal. S’il est raisonnable pour un pays de faire la diplomatie de son histoire et de sa géographie, le Sénégal, ce pays unique, ne peut s’enfermer dans un souverainisme anachronique mais sa vocation naturelle est l’ouverture sur le monde comme l’avait compris Senghor qui était dans l’Universel et le dialogue des civilisations.
On a l’impression qu’avec Le suivisme stratégique du Sénégal ( la question des bases), la quête effrénée de légitimation chez les putschistes de l’AES ( visites et communiqués du Premier Ministre à Ouaga et du Ministre des forces armées à Bamako) que le Sénégal veut devenir un cobelligérant dans la guerre qui oppose les Etats de l’AES aux djihadistes. Ce qui serait un véritable amateurisme stratégique et sécuritaire. Aujourd’hui l’intérêt national du Sénégal n’est pas dans la co-belligérance mais de se donner tous les moyens de défendre son territoire comme cette bonne vielle sagesse stratégique britannique qui a fait que ni Hitler ni Napoléon ne réussirent à prendre pied sur l’ile même après avoir conquis toute l’Europe. Comme l’Angleterre face aux hordes nazies nous sommes aujourd’hui le rempart face aux djihadistes. Comme l’Angleterre qui avait envoyé un corps expéditionnaire en France face aux nazis, le Sénégal a aussi envoyé des troupes au Mali dans le cadre de la MINUSMA qui n’a pas eu les résultats escomptés. Il y a quelques années lors d’un déjeuner de préparation du forum de Dakar, le débat essentiel était l’absence du Sénégal du G5 Sahel. J’avais estimé que le seul débat important était la capacité de notre pays à défendre son territoire. Appartenir au G5 ou pas était purement relatif car comme le veut doctrine britannique, on doit de donner les moyens de défendre son territoire en coalition si possible et seul si nécessaire car un pays ne doit jamais sous-traiter sa sécurité.
Sur un plan politique cette danse du ventre, cette quête de légitimation chez les putschistes n’a aucun sens en plus de déshonorer le Sénégal vu son rang et sa grande histoire démocratique. Si nos autorités avaient le sens de l’histoire, elles auraient compris que cette histoire des putschistes n’est qu’un petit intermède de musique militaire en attendant la prochaine vague démocratique car le Mali a été une grande democratie de même que le Burkina avant le cycle des coups d’Etat. Comme ce fut en Gambie, dès le virus du régime militaire sera extirpé, ces grands peuples vont retrouver les mécanismes et reflexes normaux de la democratie car la démocratisation est un processus irréversible depuis la révolution américaine. Le souverainisme et le panafricanisme des Etats de l’AES n’est qu’un vernis idéologique pour masquer la forfaiture des coups d’Etat et surtout faire détourner le regard sur l’échec des militaires qui n’ont pas eu de meilleurs résultats que les régimes civils dans la lutte contre les djihadistes, ce qui était leur unique source de légitimation. Avoir le sens de l’histoire c’est comprendre que c’est l’AES qui finira par revenir à la maison CEDEAO après la prochaine vague démocratique mais pas l’inverse. Donc le Sénégal, le phare de la democratie doit tenir son rang et être le porte étendard d’un panafricanisme démocratique et économique. Nous ne voulons pas d’un panafricanisme putschiste. Le panafricanisme, cette si grande cause a les plus mauvais avocats possibles avec des putschistes qui l’utilisent comme un vernis idéologique pour masquer leur forfaiture.
Dr Yoro Dia, Politologue,
Ancien Ministre