L’exemple d’El Hadji Oumar Tall, un génie militaire et politique
Si la notion de ‘’Jihad’’ est galvaudée depuis les attentats du 11 septembre 2001, ce n’est pas le cas au Sénégal. Ce pays a connu l’ère du Jihad incarné par le vénéré El Hadji Oumar Tall, fondateur de l’empire toucouleur. Ses disciples lui ont rendu un hommage soutenu il y a quelques jours. C’était dans le cadre de la traditionnelle Ziarra omarienne. Hommage a été aussi rendu à un de ses fidèles compagnons et lieutenant de l’armée, Thierno Baïlo Wane. EnQuête vous replonge dans l’univers de vrais Jihadistes de l’islam.
Présenté comme la personnalité la plus marquante du 19e siècle, le vénéré El Hadji Oumar Tall, est le prototype du vrai ‘’jihadiste’’ musulman. Son parcours a été mis en exergue par ses disciples à l’occasion de la ziarra Omarienne afin que son expérience serve de viatique aux nouvelles générations dans un monde en turbulences. Ce ‘’guerrier infatigable’’, qui passe, pour certains, comme un ‘’ conquérant assoiffé de pouvoir’’ est aussi un ‘’esprit éclairé à la science infuse’’.
De son vrai nom Omar Saïdou Tall, né entre 1794 et 1797 à Alwar, dans le département de Podor, le vénéré a marqué son époque. Le khalife de la Tidjaniya en Afrique de l’ouest était le quatrième fils de son père Saïdou et le huitième de sa mère, Sokhna Adama Aïssé.
Mais la particularité du vénéré El Hadji Oumar Tall réside dans le fait qu’il est un marabout qui a commandé l’une des plus grandes armées d’Afrique, avec plus de 3 000 cavaliers. Il a brandi le sabre pour une expansion réussie de l’islam. Il a également sorti l’épée pour libérer un peuple des geôles du paganisme.
Dans des témoignages élogieux, El hadji Mansour Sy Djamil, le vice-président de l’Assemblée nationale, précise qu’il s’est agi ‘’des sabres de la guidance pour combattre deux grands ennemis : le colonialisme et le peuple bambara’’.
L’histoire retient de cet saint homme l’image d’un marabout actif qui s’est attaqué à plusieurs royaumes bambaras. Son armée était souvent ‘’équipée d’armes légères européennes reçues de Britanniques de Sierra Leone’’. Il a combattu ‘’plusieurs régions malinkés à partir de 1850. Il occupe sans difficulté les territoires du Mandingue et du Bambouk (1853), puis attaque les Bambaras Massassi dont il prend la capitale Nioro (1854). En 1856, il annexe le royaume bambara du Kaarta et réprime sévèrement les révoltes.
Luttant contre l’armée coloniale française, il fait construire un tata (une fortification) à Koniakary (77 km à l'ouest de Kayes). En avril 1857, il déclare la guerre contre le royaume du Khasso et assiège le fort de Médine, qui sera libéré par les troupes de Louis Faidherbe le 18 juillet 1857’’. Des exemples, parmi les 82 batailles qu’il a entreprises sous la bannière de l’Islam.
El Hadj Oumar Tall, en vrai conquérant, a fini par asseoir le plus grand empire que l’Afrique ait connu. Un ‘’territoire qui s’étendait en 1863 sur 300 000 km²’’. Il a aussi mis en place ‘’une administration compétente à l’expérience avérée (perception des recettes douanières et fiscales aux frontières et à l’intérieur)‘’, selon les explications d’El Hadji Mansour Sy, pour qui c’était un vrai homme d’Etat au leadersphip affirmé.
Guerrier redoutable, le saint homme est également un brillant intellectuel. Toujours, selon El Hadj Mansour Sy, cet homme d’une beauté sans nulle autre pareille ‘’savait surtout jouer sur l’affect et utiliser les mots qu’il faut pour avoir un impact sur la population surtout la jeunesse’’. Il était soucieux du devenir de son peuple, qu’il voulait ‘’pétri de gloire, de piété, de bonté et de justice. ‘’Ô population du Tooro, recouvrez votre héritage, votre patrimoine !’’ Une adresse contenue dans ses poèmes.
Les raisons du Jihad
Derrière ses hauts faits d’armes se cache une noble intention de matérialiser toute sa vie durant le sens réel du jihad tant dans sa dimension individuelle, sociale que politique et économique. Dans cette perspective, le diplomate à la retraite, Birane Sada Wane, tient à préciser : ‘’C’est une foi solide qui l’a incité à proclamer le Jihad, un Jihad différent de celui qui est en cours, lequel est porté plutôt par des forces obscures. Le jihad en tant que tel doit être décrété par une autorité religieuse suprême. El Hadji Oumar a proclamé le Jihad conformément aux préceptes islamiques. Il a combattu le polythéisme en vue de sortir un peuple des ténèbres vers la lumière.’’
Pour autant, en dépit de ce caractère de marabout actif, le saint homme n’a décrété la guerre sainte qu’en dernier recours. Selon des faits historiques relatés par la famille Tall, tout est parti des attaques du souverain animiste Yimba Sakho. ‘’Par provocation et se sachant plus puissant en armes et en hommes, le souverain dépêcha son griot et homme de confiance Djéli Moussa afin de réclamer en plus du tribut annuel qui était payé par Hajj Omar (qu’Allah l’agrée), les armes, le cheval et sa fille aînée (qu’Allah l’agrée). Bien qu’il ne trouvât rien à redire pour le versement du tribut, il lui était impossible d’offrir la main d’une musulmane à un roi païen et de désarmer ses hommes pour les laisser à la merci de n’importe quel ennemi.’’
Le saint homme use de courtoisie. Mais le souverain animiste récidive dans ses provocations lorsque son homme de confiance, séduit par l’aura et le discours de vérité du saint homme, a voulu se convertir à l’islam. Le roi, indigné, dépêche une grande armée pour ‘’détruire définitivement’’ Sidi Hadj Oumar ‘’La différence numérique des armées était tellement grande entre les deux adversaires que le souverain animiste était sûr de venir à bout de lui et se voyait déjà comme le futur vainqueur de cette bataille.’’
Le vénéré guide spirituel (Cheikh Oumar, à l’époque), qui s’était appuyé sur le dialogue pour porter le message divin, avait ordonné à ses hommes de ne jamais attaquer l’ennemi. Mais il a dû riposter quand l’armée adverse a commencé les hostilités. Dès lors, il prit l’option de se conformer à la parole divine. ‘’Autorisation est donnée à ceux qui sont attaqués (de se défendre) - parce que vraiment ils sont lésés ; et Allah est certes Capable de les secourir » (Sourate 22 Le pèlerinage, verset 39) et ils se conformèrent à ses ordres. Il remporta la bataille, le roi païen prit la tangente.
Le Cheikh a fait face à d’autres adversaires qui ont voulu stopper sa ‘’déferlante mission’’. Il déclenche un Jihad qui s’étend sur plusieurs régions et pays de la Sénégambie, en passant par le Niger, la Guinée et atteignant le Mali, de la ville de Tamba à l’Empire Bambara de Macina et jusqu’aux portes de Tombouctou.
Ses adversaires abdiquent devant lui, il mène la guerre, toute sa vie, contre l’oppression et l’injustice. Le vice-président de l’Assemblée nationale l’explique en ces termes : ‘’Le XVIIème siècle fut une période trouble pendant laquelle les convictions religieuses furent ébranlées par la grande chasse à l’esclave’’. Une situation qui provoquait au sein de certaines communautés musulmanes une violente réaction qui prit l’allure d’une véritable résistance armée. Le mouvement connut sous le nom de la ‘’guerre des marabouts’’ ou le mouvement de Nasr’a Din (nom de son instigateur) partit du Sud mauritanien et gagnera entre 1673 et 1677 le Fouta, le Walo et le Kayor. ‘’Dans tous ces pays où se faisaient sentir les effets pervers de la traite négrière, la masse de la population opprimée et pressurée ne se reconnaissait pas dans l’aristocratie en place’’, explique Serigne Mansour Sy Djamil.
La belle épopée prend fin le 12 février 1864. Le Cheikh tire sa révérence dans les grottes de Déguembéré, près de Bandiagara. Serigne Mansour Sy de rappeler : ‘’Le mouvement d’adhésion à la Tijaniya était si massif que Cheikh Oumar Tall fonda un empire islamique d’obédience Tidjane que les français et leurs alliés n’auront de cesse de réduire à néant. La stature immense de cet homme de Dieu qui ‘’a disparu dans les falaises de Bandiagara’’, martyr de cette lumière mohammadienne et de la foi dont il était le Vecteur, s’est imposée comme le symbole de la lutte contre l’occupant étranger et pour l’émancipation de l’Afrique’’.
Pour d’autres, le Cheikh ne s’était pas remis du décès de son fidèle lieutenant et fidèle chef d’Etat major, le général Alpha Oumar Baïlo Wane. ‘’Ils formaient une personne en deux individus.’’
Alpha Oumar Baïlo Wane, le lieutenant d’El Hadj Oumar Tall Alpha Oumar Baïlo Wane, un nom inconnu au Sénégal, mais une histoire somme toute exceptionnelle. Il est ce grand savant, brillant intellectuel, qui a été le Général en chef de l’armée omarienne et dont le nom mérite, aux yeux des disciples du Cheikh, de figurer au fronton d’un camp militaire, d’une avenue ou d’un édifice public. L’homme a joué un rôle décisif pour le bien être des peuples. Alpha Oumar Baïlo Wane a été au premier plan lors du Jihad ou guerre sainte mené par El Hadji Oumar Foutiyou Tall. Le lieutenant porte le titre d’Alpha en raison de sa parfaite maîtrise des sciences islamiques en sus de sa maîtrise du Coran. Il a été l’un des premiers fils du Fouta à répondre à l’appel du Cheikh. Pour Madina Tall Ly, ‘’il fut la cheville ouvrière du Jihad et dont Cheikh Oumar était le cerveau.’’ Ce combattant intrépide n’a perdu que deux batailles sur la totalité des expéditions menées en Afrique de l’ouest, allant du Fouta Djalon (République de Guinée) jusqu’à Tombouctou (République du Mali). Il se retrouvait dans l’idéal de justice incarné par le Cheikh Oumar Foutiyou Tall et tenait à restaurer le legs de Thierno Souleymane Baal, l’un des fondateurs de l’Almamiyat, l’aristocratie peulh, qui avait été trahi par son peuple. Une situation qui avait entraîné une instabilité avec comme conséquence des ingérences des Français dans les affaires internes du pays. Il s’était donné pour mission d’aller à l’assaut des forces obscures. Alpha Oumar Baïlo Wane, dont la date de naissance n’est pas spécifiée, a quitté Kanel pour rejoindre son maître et guide dans son Jihad. Il sera suivi par d’autres tels que Alpha Oumar Thierno Molé, Alpha Abass Athie de Bossea, Thierno Ahmed Ali Jelia, avant que des volontaires du Fouta ne viennent renforcer l’armée omarienne. Alpha Oumar a recruté, mobilisé des troupes et commandé jusqu’à sa mort de grandes armées composées de plus de 3 000 cavaliers. Ce grand héros, chef suprême des Armées, qui a conquis des terres à Nioro et un peu partout, a aussi construit des mosquées. Il gérait, avec brio, les affaires administratives et militaires entre les différents gouverneurs nommés dans les cités conquises. Une loyauté qui a été remise en cause par des esprits malveillants qui ont cherché à mettre en mal le Cheikh avec son compagnon de première heure. Ils lui ont fait part de ses ambitions de lui porter ombrage. Le professeur Mountaga Ly, membre de la ligue des oulémas du Sénégal, rapporte à cet effet, que ‘’lorsqu’il arriva à l’accueil du Cheikh, Alpha Oumar descendit de son cheval et marcha jusqu’au Cheikh, ce dernier se détourna de lui pour le tester par rapport à ce qu’on dit de lui ; il continua à converser avec un autre sans lui prêter attention. Alors que ce dernier attrapait la queue du cheval en le suivant pieds nus, la tête poussiéreuse, jusqu’à ce qu’une épine l’atteignit au pied et il s’accroupit pour l’enlever… Mais le Cheikh finit par le rassurer : ‘’Je sais que tout ce qu’on dit de mal à ton sujet n’est que mensonges et calomnie, tu es un disciple sincère dans sa foi et son allégeance, alors monte pour ne plus descendre.’’ Ainsi, selon Madani Tall Ly, ‘’le Cheikh avait trouvé en lui le compagnon idéal pour parfaire son projet de guerre sainte en Afrique’’. Mais pour le professeur Iba Der Thiam, il est important de retenir de cet homme l’image d’un grand combattant ‘’animé d’un sens élevé du sacrifice, d’un courage téméraire, d’une fine connaissance des hommes, d’un humanisme éclairé, marqué de pudeur, d’ascétisme, de scrupule, de sincérité et de vérité’’. ‘’Il a assuré, avec intégrité et droiture, pendant deux ans, son intérim à Nioro avant de rendre l’âme en mars 1863, c’est-à-dire onze mois avant qu’El Hadj Oumar ne disparaisse par la volonté d’Allah dans les falaises de Bandiagara, le 12 février 1864’’, explique l’historien. Son décès en martyr a mis fin au Jihad omarien. |
Matel BOCOUM