Le Sonko “nouveau” arrive avec un “livre-vision sur la décentralisation”
Dans un post porté, par transfert, à notre connaissance, le tonitruant membre du mouvement national des cadres de PASTEF, Amadou Ba, aurait écrit que « l’acte 2 et 3 [de la décentralisation] se sont révélés être de vrais leurres économiques et de vraies escroqueries politiques, pensés uniquement pour affaiblir des adversaires politiques ». Pour avoir payé l’injure par une faute de grammaire dans son très bref exposé des motifs, le cadre de PASTEF peut annoncer - comprenne qui pourra - « une révolution en matière de décentralisation avec la création de grands pôles régionaux qui ne s'occupent pas de tâches subalternes de ramassage des ordures uniquement, mais seront dotés de véritables pouvoirs économiques, sociaux et urbanistiques ».
Au nom de tous ses amis, M. BA dit « retourner (…) à la bataille des idées (…) [et au] panafricanisme » que leur aurait inspiré l’œuvre du Professeur Cheikh Anta DIOP. Si telle est la nouvelle donne, nous la trouvons assez recevable pour ne pas nous y intéresser avec nos propres mots. Histoire de montrer que l’antériorité en la matière existe et que l’humilité scientifique qu’elle confère est loin d’être une tare dans la bataille (annoncée) des idées.
Une offre territoriale en cours d’exécution…
Docteur ès sciences économiques (Paris, 1969), Makhtar DIOUF avait été enseignant-chercheur à l'Institut Fondamental d'Afrique Noire (IFAN) et, au début des années 1980, Professeur au Centre de recherche d’économie appliquée (Crea) de la Faculté des sciences juridiques et économiques de l'Université Cheikh Anta DIOP de Dakar. Les thèmes (économie politique, sciences sociales, savoir et érudition, science politique, religion, histoire, géographie, etc.) en relation avec les travaux de ce grand universitaire toujours parmi nous - qu’il en soit ainsi pendant de très nombreuses années encore - renvoient à son œuvre exemplaire. Lié à Samir Amin en tant qu’ami, préfacier et co-animateur du Forum du Tiers Monde à Dakar, le Professeur Makhtar DIOUF fait partie des grands intellectuels sénégalais plus que recommandables pour les jeunes diplômés de grandes écoles au Sénégal et/ou à l’étranger et qui, librement, ont décidé d’investir le champ politique pour faire don d’une bonne partie de leur temps social à leur pays.
Et quoi d’autre pour expliquer la très succincte présentation du Professeur Diouf plutôt que celle d’un(e) collègue sur la longue liste d’aînés aussi remarquables les uns que les autres ? C’est qu’en juin 2014, Makhtar Diouf publia dans les colonnes de Sud Quotidien un article dont l’intitulé - « Acte III de la décentralisation, l’ombre de Cheikh Anta DIOP » - en dit assez sur celui - le Président Macky SALL - qu’inspira vraiment, au moment où il prenait une décision politique pour agir, notre regretté savant. « Les promoteurs du projet Acte III de la décentralisation, écrit Makhtar DIOUF, semblent, ce qui est tout à leur honneur, s’être inspiré de la proposition de Cheikh Anta Diop » qui suggéra « un schéma d’intégration de la production d’une grande pertinence, par un découpage de l’Afrique au sud du Sahara en huit pôles de développement ». S’y ajoute - ce qui n’est pas rien pour appeler au calme le jeune lieutenant d’Ousmane Sonko Amadou BA - que le Professeur DIOUF, plutôt distant du pouvoir politique sous tous les régimes, du président Senghor au Président Sall compris, ne peut être suspecté de parti pris et d’incompétence par les cadres de PASTEF quand on sait qu’il avait été lui-même l’auteur, en 1981, d’une étude sur « la planification régionale au Sénégal [dans laquelle il approuvait] pleinement la politique de développement à la base annoncée avec la création des communautés rurales (Acte II) » à la suite « du découpage territorial de 1960 ( Acte I) ».
Le Professeur Diouf a écrit sa tribune trois mois après le lancement, le 17 mars 2014, du Projet pôle de développement de la Casamance (Ppdc) par le président Macky SALL. Le PPDC matérialisa la « Réconcilia- tion des esprits et des cœurs ; Reconstruction d’une région troublée et meurtrie, corrélée à un Développement équitable parce que Durable (Rrdd) ». À moins de deux mois du scrutin départemental et municipal du 23 juin 2022, « la redynamisation de l’économie locale, l’appui à la réinsertion socio-économique des ex-combattants, la réhabilitation de 30000 ha de rizières, la réalisation de 350 km de pistes, la réhabilitation de 200 km de routes rurales, la promotion de l’emploi local, l’optimisation des chaînes de valeur, etc.) » donnent de sérieuses indications sur la mise en œuvre effective de l’offre territoriale « révolutionnaire » claironnée par le cadre de PASTEF.
En 2017, trois ans seulement après le lancement du PPDC, le Rapport d’évaluation citoyenne (novembre 2017) des Acteurs non étatiques (Ane) montre que la mise en œuvre des engagements pris à l’occasion du conseil des ministres délocalisé du 28 juin 2012 à Ziguinchor est satisfaisante. Sur 26 projets, 12 sont réalisés, 9 étaient en cours de réalisation et il en restaient seulement 5 à exécuter. Pour gagner à Ziguinchor et partout ailleurs au Sénégal, il suffit alors aux candidats de la majorité de montrer qu’une révolution des territoires bat déjà son plein au Sénégal et que la dernière ligne droite d’ici 2024 est celle de la confirmation des précédentes en dépit de la pandémie grâce au Programme d’urgence de développement communautaire (Pudc), le Programme d'urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers (Puma) et le Programme de modernisation des villes (Promovilles).
2024 en apothéose
Dans l’article susmentionné, s’appuyant sur un « exposé très didactique [de l’ancien] conseiller régional Ousmane Badiane » - ce sont les mots de l’intellectuel honnête qui cite ses sources -, le Professeur DIOUF fait état de manière détaillée du découpage du Sénégal en « (…) sept pôles-territoires de développement » : (1) Casamance (Ziguinchor, Sédhiou et Kolda) ; (2) Diourbel-Louga ; (3) Fleuve (Saint-Louis et Matam); (4) Sine Saloum (Kaolack, Fatick, Kaffrine) ; (5) Sénégal Oriental ; (6) Dakar avec la plateforme technique et industrielle de Diamniadio ; (7) Thiès, ne laissant plus rien ou presque au « livre-vision sur la décentralisation » de Sonko.
Et cela arrive au bon moment correspondant à celui où la restauration du désormais délicat et exaltant poste de Premier ministre est décidée par le Président de la République en conseil des ministres le 24 novembre 2021. Des pouvoirs délégués accrus permettraient à l’ami(e) des chevaux nommé(e) d’enfourcher enfin un cheval encore plus rapide sur une piste praticable mais parsemée d’embûches pour cause de crise sanitaire, en recul certes, mais toujours mauvaise pour l’économie et les plus défavorisés d’entre nous.
En permettant au nouveau chef du gouvernement de « [conduire] la politique générale de l'État » définie par le Président de la République et d’assurer, entre autres, « le développement équilibré et harmonieux de toutes les collectivités territoriales décentralisées », l’innovation (accélérée) serait synonyme d’apothéose (inattendue) en 2024. Bien loin des mauvais présages de jeunes « patriotes » très mal préparés à la vie politique qui n’est à leurs yeux, volontairement bridés, qu’une interminable compétition violente sur fond d’impunité en cas de flagrant délit sur la voie publique. Quelles collectivités territoriales (départements ou communes) exigeantes se risqueraient à leur ouvrir, le 23 janvier 2022, les exécutifs locaux qu’ils transformeraient le lendemain en rings pour boxeurs entraînés à ne pas respecter le règlement du noble art ?
Abdoul Aziz DIOP
Essayiste
SEN APR
Conseiller spécial à la Présidence de la République