La saga interminable
Entre Amadou Ba et son fils Khadim, on se rend coup pour coup, depuis quelques années. Le dernier rebondissement de cette saga familiale est favorable au fils. Mais jusqu’à quand ?
Le vent a tourné dans la saga Locafrique. Alors que Khadim Bâ semblait avoir tout perdu dans la bataille familialo-juridique qu’il l’oppose à son père Amadou, la justice vient de lui donner un avantage décisif.
En effet, l’entreprise Locafrique lui a été restituée par le juge des contentieux du Registre de commerce. Et dans le même temps, selon ‘’’Les Échos’’, le procureur de la République a donné une suite à la plainte qu’il a déposée contre des membres de l’équipe de son père Amadou Bâ.
Ainsi, Imencio Moreno et Jean-Michel Borelli, respectivement directeur général de Locafrique et administrateur de la société, sous le magistère de son père, ‘’sont aujourd’hui entre les mains de dame justice’’, informe-t-on. Ils sont placés en position de garde à vue par la Sureté urbaine, pour ‘’vol, violence et voie de fait’’. Khadim Ba les accuse d’avoir défoncé la porte de son bureau à Locafrique, sans ordonnance d’ouverture de porte, lorsqu’ils ont voulu exécuter l’ordonnance d’expulsion dont avait bénéficié son père.
Cette affaire remonte à environ cinq mois, lorsqu’Amadou Bâ a obtenu une ordonnance du juge des requêtes statuant en référé, prononçant l’inscription au Registre de commerce de la société Locafrique SA des noms d’Imencio Moreno, Jean-Michel Borelli et Amadou Bâ. Dans la foulée, une décision d’expulsion de Khadim Bâ a été rendue, rapporte-t-on. Deux décisions confirmées en appel. Voulant exécuter cette ordonnance d’expulsion, Amadou Ba a commis un huissier. Il y a eu de la résistance. Sur ces entrefaites, selon le plaignant, le directeur général Imencio Moreno et Jean-Michel Borelli ont défoncé sa porte, sans y être autorisés par une ordonnance du juge.
Le père Amadou Bâ s’était également plaint des agissements de son fils qui, accusait-il, ne voulait pas s’exécuter et quitter les lieux malgré l’ordonnance d’expulsion qui a été brandie devant lui.
Selon le père, son fils avait fait venir des nervis pour empêcher l’exécution de la décision.
Toutefois, cet épisode n’est que le dernier d’une âpre bataille que se livrent le père et le fils, depuis quelques années.
De procédure en procédure
En effet, cette affaire va de procédure en procédure. En août 2021, Amadou Ba avait été entendu par la Section de recherches de la gendarmerie, en même temps que Me Amadou Diagne, greffier, et Imencio Moremo, à la suite d’une plainte de Locafrique. Le milliardaire fondateur de Carrefour Automobile et les susnommés avaient été accusés d’avoir, de connivence, produit de faux documents, afin de faire condamner Khadim Ba et d’accaparer une partie des biens de l’entreprise.
Cette procédure intervenait en réponse à une autre procédure qui a valu, le 8 juillet de la même année, à Khadim Ba d’être jugé devant la Chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Dakar, pour association de malfaiteurs et escroquerie au jugement. Amadou Ba réclamait à son fils aîné Khadim Ba et à ses coprévenus Ramin Sedeghi et Momath Sarr le montant de 100 milliards F CFA. À l’occasion, le père avait vilipendé le fils absent.
À l’origine de ce problème familial, il y a eu le mariage d’Amadou Ba qui, après avoir épousé une seconde femme, s’était rendu en France. Au lendemain de son retour, il avait été interpellé par les éléments de la Division des investigations criminelles (Dic). À la police, les enquêteurs lui avaient fait savoir qu’il faisait l’objet d’une plainte de la part de son fils Khadim Ba, pour détournement portant sur 28 milliards de francs CFA, au préjudice de Carrefour Automobile.
En effet, il ressort de la procédure qu’Amadou Ba, qui présidait le Conseil d’administration de Locafrique SA, a nommé son fils Khadim Ba au poste de directeur général de la société. Celui-ci venait fraîchement de terminer ses études à Montréal.
Selon Amadou Ba, suite à son second mariage, son fils s’est prévalu d’un faux, sous la forme d’un protocole de cession d’actions du 24 novembre 2016, pour prétendre qu’il est devenu minoritaire dans le capital de Carrefour Automobile SA. L’accusation renseignait que son fils a fait croire qu’il a cédé ses actions aux membres de sa famille.
L’homme, qui est entré dans le monde des affaires en vendant des pièces détachées au Crédit foncier, dans les années 80, disait avoir découvert que Casone Finance, une société de droit anglais, réclame à Carrefour Automobile une créance de 12 milliards F CFA. Ce qui est faux, déclarait la partie civile qui soutient que Casone Finance n'a jamais eu de relation avec Carrefour Automobile, ni avec Locafrique. ‘’Carrefour ne doit rien à Locafrique. Les problèmes ont commencé lorsque j'ai pris une seconde épouse. Khadim Bâ est venu me dire : ‘Puisque les données ont changé, garde Carrefour, nous prenons Locafrique.’ Je lui ai dit qu’il n’en est pas question. Je ne suis pas encore mort pour qu'on pense à mon héritage’’, avait-il déclaré au prétoire, en l’absence aussi bien de son fils que de ses coprévenus.
Ainsi, les avocats de la partie civile avaient réclamé la somme de 100 milliards de francs CFA pour le dédommager. ‘’Il a eu le malheur d’épouser une seconde épouse. Ça fait cinq ans qu’il n’ose pas mettre les pieds chez lui où vit sa première femme. Khadim Ba a porté le combat de sa mère. Pour écarter le père, c’est Khadim qui a élaboré toute la manœuvre. Il a mis en œuvre son imagination pour dépouiller son père’’, avait martelé Me Baboucar Cissé.
Ainsi, cette procédure avait été perçue comme une riposte cinglante du fils Khadim Ba.
Alors que son père l’accusait d’avoir usé de faux pour organiser un putsch de la société Locafrique SA, Khadim soutenait que c’est leur père lui-même qui leur avait cédé ses parts, depuis décembre 2016, au cours d’une réunion tenue à la maison familiale, aux Almadies. ‘’C’est lors d’une réunion tenue à leur domicile aux Almadies qu’il (le père) avait finalement décidé de concrétiser son désir de se retirer devant tous les membres de la famille, à l’exception de Fatou Kiné Ba qui était en France’’, écrivait le journal ‘’Libération’’, lors de l’audition des parties à la Division des investigations criminelles (Dic).
À chaque partie son juge
Dans cette affaire qui a fini de désarçonner plus d’un dans les tribunaux et chez les spécialistes du droit des affaires, on a eu l’impression, par moments, que chaque partie avait son juge. Dans le volet commercial de cette affaire, les décisions se sont suivies, mais se sont rarement ressemblé. Alors que les ordonnances rendues par le tribunal de commerce hors classe de Dakar, sous l’égide du président Alioune Ndiaye, étaient plutôt favorables à Ba père, celles rendues par le premier président de la Cour d’appel, sous Demba Kandji, tranchaient, la plupart, en faveur de Ba fils. Ce qui avait finalement pris les airs d’une guerre des milliardaires par juridiction interposée.
Dans son ordonnance rendue le 29 avril 2020, le premier président de la Cour d’appel disait : ‘’Recevons l’appel formé par Khadim Ba ; infirmons l’ordonnance sans numéro rendue le 24 avril par le président du tribunal de commerce ; infirmons l’ordonnance n°458 du 17 avril rendue par le tribunal de commerce ; réitérons notre ordonnance en date du 1er avril qui garde son plein et entier effet ; ordonnons à M. l’administrateur du greffe de rétablir les noms de Khadim Ba…’’
Demba Kandji se prononçait ainsi, suite à une requête des conseils de Khadim Ba, aux fins de rétraction de l’ordonnance n°458 rendue par son homologue Alioune Ndiaye. Dans cette décision, le président du tribunal de commerce donnait injonction à l’administrateur du greffe chargé du RCCM, de rétablir à son registre les noms et qualités d’Amadou Ba et Cie. Cela faisait suite à l’ordonnance n°191 rendue par Demba Kandji le 1er avril 2020. Laquelle rétractait une autre décision du tribunal de commerce rendue le 10 mars 2020.
Un jeu de ping-pong qui n’en finit pas.
AMADOU FALL