Vaccin à tout prix !
Avec le dernier communiqué du Conseil des ministres, les Sénégalais se demandent si l’Etat ira jusqu’à faire appel aux forces de l’ordre pour imposer le vaccin au Sénégalais. Aux obstacles liés aux droits humains, il se pose une question de faisabilité.
Contre vents et marées, l’Etat a fait changer le régime de l’état d’urgence et de l’état de siège, en modifiant la loi 69-29. Contre vents et marées, il met en branle sa stratégie pour la vaccination des populations sénégalaises. Mais jusqu’où ira le pouvoir dans sa volonté de faire vacciner les Sénégalais ? La question se pose de plus en plus. Et les appréhensions sont montées d’un cran, suite au dernier Conseil des ministres. Le gouvernement décide : ‘’Les forces de défense et de sécurité seront mises à contribution pour accompagner le déploiement rapide de la stratégie de vaccination.’’
Qu’est-ce à dire ? Quel sera le rôle de l’armée dans cette opération ? Aucune autre précision pour le moment. Mais pour le secrétaire exécutif de la Ligue sénégalaise des droits humains, la réponse coule de source. Le défenseur des droits humains ne veut même pas envisager l’hypothèse où l’Etat, par le biais de l’armée, essaierait de contraindre les gens à se vacciner. ‘’Pour moi, c’est juste un problème de compréhension et de communication. Je n’ose pas croire que c’est pour une vaccination forcée des populations. Je pense plutôt que c’est pour aider à la logistique et à l’organisation. Dans le monde actuel, on ne peut imaginer qu’un Etat puisse forcer les gens à se vacciner’’, relativise-t-il.
Pour lui, il n’y a donc pas péril en la demeure. Le rôle de l’armée, normalement, va juste consister à aider à l’organisation. Car celle-ci est plus outillée pour ce genre d’opération. ‘’A supposer même que l’Etat veuille utiliser l’armée pour contraindre les populations à se vacciner, il aurait du mal à le matérialiser. Nous sommes quand même plus de 15 millions d’habitants. On ne peut leur imposer de se vacciner, même avec l’armée. C’est impossible’’, souligne-t-il non sans préciser qu’il est lui-même prêt à se faire vacciner.
Pour sa part, le président d’Afrikajom, Alioune Tine, trouve ‘’hallucinatoire’’ cette idée de forcer les gens à se vacciner. Egalement pro-vaccin pour faire face à la propagation de la pandémie, il n’imagine pas non plus l’usage de la force pour appliquer le vaccin. ‘’De mon point de vue, soutient-il, on ne doit pas obliger les gens à se faire vacciner, parce que leur corps leur appartient. Moi, je suis prêt à me faire vacciner. Cela ne me pose aucun problème. Mais vouloir mobiliser les forces de l’ordre pour vacciner la population, c’est hallucinatoire. Je pense que nous n’allons pas en arriver à cet extrême’’.
Toutefois, recommande le droit de l'hommiste, pour des raisons liées au droit à la santé, au droit à la vie, qui est sacré, il faudrait que tout le monde s'implique dans la sensibilisation. "On doit prendre toutes les dispositions pour barrer la route à la propagation de cette pandémie. Maintenant, s’il y a des gens qui, pour une raison ou une autre, refusent de se faire vacciner, on ne peut les forcer à le faire. Il faut surtout miser sur la sensibilisation".
‘’Si Macky Sall est le premier à se faire vacciner…’’
Ce, d'autant plus que de telles réticences au vaccin ne datent pas d'aujourd'hui. Monsieur Tine en veut pour preuve la sagesse que le défunt khalife des tidjanes, Serigne Abdoul Aziz Sy Al Amine, lui avait rapportée. "Il me racontait que, du temps de la colonisation, les Sénégalais ne voulaient pas se faire vacciner. L’origine, signale-t-il, c’est que, la plupart des médicaments, il faut le dire, on les essayait sur les Africains comme des cobayes. Raison pour laquelle les gens étaient toujours réticents. Mais Serigne Abdou m'a expliqué que quand les ‘’Toubabs’’ (NDLR : Blancs en langue française) voulaient réussir une campagne de vaccination, ils en parlaient à El Hadj Malick pour qu'il puisse le dire à ses talibés. Ce dernier leur disait qu’il ne peut pas le faire, mais il allait lui-même se faire vacciner. Ainsi, il parvenait à convaincre les gens".
Et d'ajouter : "Aux Etats-Unis, Biden a dit qu’il sera le premier à se faire vacciner. Si Macky Sall est le premier à se faire vacciner, cela peut donner confiance aux gens. Mais il faut éviter d’utiliser la force."
Il faut relever que l'article 7 de la Constitution sénégalaise ne permet pas de trancher la question. En effet, celle-ci dispose en son alinéa 1 que : "La personne humaine est sacrée. Elle est inviolable. L’Etat a l’obligation de la respecter et de la protéger." De l'alinéa 2 de la même disposition, la loi prévoit : "Tout individu a droit à la vie, à la liberté, à la sécurité, au libre développement de sa personnalité, à l’intégrité corporelle, notamment à la protection contre toutes mutilations physiques."
Et parce que le droit à la vie est sacré, on n’a même pas le droit de choisir de mourir quand on est gravement malade, par exemple. Cela peut-il légitimer l'exigence du vaccin pour protéger la population ? Nos interlocuteurs s'accordent à dire que cela manquerait de base légale. "Chaque personne a le droit à l’inviolabilité de sa personne. Rien ne justifie qu’une personne soit contrainte à la vaccination. Franchement, je ne vois pas l’intérêt d’impliquer les forces de l’ordre pour faire peur aux populations", dit le Dr en Droit, spécialisé en histoire du Droit et des Institutions, Mbaye Cissé.
Aussi, signale-t-il, ‘’imaginez les risques d’une telle opération de vaccination par la force. On contraint quelqu’un à se faire vacciner, alors qu’il traîne des pathologies incompatibles. S’il lui arrive quelque chose, ces gens engagent leur responsabilité’’.
Au-delà de ces considérations juridiques et de Droits de l’homme, pendant même que les États mènent une course effrénée au vaccin, certains experts s’interrogent sur l’efficacité de ce vaccin, dans un contexte où on note de plus en plus de variants du virus.
MOR AMAR