Publié le 11 Jun 2021 - 20:07
LUTTE CONTRE LE TERRORISME

Macron s’agace et acte la fin de Barkhane 

 

Après huit ans d’existence et de controverse, l’opération Barkhane vit ses derniers jours sur les terres hostiles du Sahel, où son bilan mitigé n’a pas permis de renforcer sa légitimité auprès des opinions publiques.

 

Alea jacta est ! Barkhane ne sera plus, dans les jours et semaines qui viennent. Elle sera remplacée par une force d’appui et de soutien. Telle est l’annonce faite, en conférence de presse, hier, par le président français Emmanuel Macron. Il déclare : ‘’Avec nos partenaires, notamment américains et européens, nous amorcerons une transformation profonde de notre présence militaire au Sahel, dont les modalités et le calendrier seront précisés dans les semaines à venir. Cette transformation va se traduire par un changement de modèle qui impliquera le passage à un nouveau cadre. C’est-à-dire la fin de l’opération Barkhane, en tant qu’opération extérieure, pour permettre une opération d’appui, de soutien et de coopération aux armées des pays de la région qui le souhaitent.’’

Dans la même veine, le président Macron a informé qu’il sera mis en œuvre ‘’une opération militaire et une alliance internationale strictement concentrées sur la lutte contre le terrorisme’’. Ce nouveau cadre, a dit Emmanuel Macron, ‘’préservera nos engagements auprès de nos partenaires de la force Takuba et de l’opération EUTM (Mission de formation de l’Union européenne au Mali) qui devront poursuivre leur montée en puissance. EUTM pour continuer la formation des éléments partenaires. Takuba sera un des piliers de cette force de lutte contre le terrorisme. Les armées françaises en seront la colonne vertébrale, mais elles seront complétées par les forces spéciales des armées partenaires qui le souhaiteront et qui le pourront’’.

Revenant sur l’historique de l’engagement de la France au Mali, le président français a rappelé que ce fut, il y a huit ans, à la demande de l’Etat malien et de la Communauté économique des Etats de l’Afrique l’Ouest (CEDEAO). ‘’Nous arrivons aujourd’hui, dit-il, à un moment qui impose de mettre en œuvre ce que j’avais commencé à définir à Pau, ce que nous avions construit en fin de l’année dernière et que nous avons partagé avec nos partenaires, parce que le temps est venu. Nous allons, avec nos partenaires, tirer les enseignements de ce qui a fonctionné, mais aussi de ce qui n’a pas fonctionné’’.

 Pour lui, la France n’a pas vocation à s’éterniser dans le Sahel. ‘’La présence durable, dans le cadre des opérations extérieures, ne peut pas se substituer au retour des Etats. Nous ne pouvons pas sécuriser des zones qui retournent dans l’anomalie, parce que l’Etat refuse de prendre ses responsabilités’’. Le nouveau dispositif français va être présenté, dans le cadre de la Coalition pour le Sahel mis en place, lors du sommet de Ndjamena.

Quelques chiffres de l’opération Barkhane

‘’8 ans de guerre, plus de 50 soldats français morts, plus de 5 milliards d’euros dépensés, plus de 2 millions de civils déplacés…’’. Tel était le bilan noir de la force Barkhane rappelé, récemment, à l’Assemblée nationale française, par le président de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, qui questionnait les objectifs de la France dans la région sahélo-sahélienne, les modalités d’un possible retrait, entre autres.

Dans la même veine, l’opposant au président Macron soulignait le budget de deux millions d’euros par mois dégagés par son pays pour les besoins de fonctionnement de cette opération. Mis en place depuis janvier 2013, sur demande du président de l’époque (François Hollande), l’opération Barkhane comptait 5 100 soldats français.

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DECRYPTAGE AVEC REGIS HOUNKPE

‘’Travaillons au sursaut des armées africaines dans leur globalité’’

Analyste géopolitique et communicant politique, le Béninois Régis Hounkpé, fondateur d’InterGlobe conseils, décrypte la nouvelle donne pour ‘’EnQuête’’. 

Le président Emmanuel Macron a annoncé la fin de l’opération Barkhane qui sera remplacée par une force d’appui et de soutien. Qu'est-ce qui va changer ? 

C'était une décision prévisible, même si elle n'était pas attendue aussi vite. En réalité, cette décision du redéploiement de Barkhane aurait pu intervenir au dernier Sommet de Ndjamena de février 2021. Certains signaux indiquent que le Sommet de Pau de janvier 2020 avait prévu de réduire la voilure de l'intervention française au Mali et au Sahel. Cela va forcément redéfinir la stratégie de lutte contre les groupes armés terroristes et, incidemment, doit davantage responsabiliser les armées africaines du G5 Sahel. Je me dis que cette nouvelle situation doit constituer une opportunité formidable pour les États-majors des armées africaines et des pouvoirs politiques de la région. Plus que jamais, le désir de souveraineté peut se transformer en réelle prise de conscience, avec des actes et des résultats.

Sortons des incantations artificiellement souverainistes et travaillons au sursaut des armées africaines dans leur globalité.

Peut-on craindre une aggravation de la situation ou bien vous diriez qu'il n'y a pas à s'inquiéter outre mesure, puisque Barkhane avait déjà montré ses limites, en huit ans d’existence ?

Il serait inconséquent de penser que Barkhane ne servait à rien. L'opération, malgré des résultats mitigés, a permis de freiner la poussée djihadiste qui aurait pu écraser le Mali et au-delà. Barkhane a permis de contenir Aqmi, Al-Qaida au Maghreb islamique et son concurrent aussi nuisible EIGS, l'Etat islamique dans le Grand Sahara qui auraient pu créer dans la région un djihadistan tropical.

Barkhane subirait, selon le président Emmanuel Macron, une transformation profonde et on peut s'attendre à une implication plus grande des Européens et donc de la force Takuba. 

Et les Etats de la sous-région dans tout ça ?

Le président burkinabé Roch Marc Kaboré a appelé récemment au sursaut, après le drame de Solhan. L'Afrique doit maîtriser sa sécurité et prévenir ses crises et conflits. Après huit ans, le bilan de Barkhane est sujet à multiples interprétations.

Mais qu'ont fait concrètement les armées africaines et du Sahel ? Interrogeons-nous lucidement sur notre rôle pour vaincre le péril djihadiste. 

Quelles sont, selon vous, les raisons qui expliquent cette décision française ?

Il y a certainement des raisons stratégiques et politiques pour la diplomatie française et l'armée française qui président à ce redéploiement dont il est indiqué que, d'ici 2023, la force passerait de 5 100 militaires à 2 500. La situation d'enlisement est certaine. La mort du président tchadien Idriss Déby, considéré comme le gendarme du Sahel, le soupçon d'entente et de négociation entre les militaires maliens au pouvoir et les islamistes constituent des motifs du retrait gradué de Barkhane.

Il y a également une raison beaucoup agitée dans les milieux politiques français sur la désaffection et le déclin de l'influence française dans la région au profit de rivaux stratégiques comme la Russie. Il est tôt de lier les critiques antifrançaises au Mali, par exemple, par l'émergence de nouveaux acteurs. Mais ce qui est certain, c'est bien que la vision française ne correspond plus aux attentes politiques et sécuritaires dans la région. Je répète que cela peut permettre plus largement une redéfinition des relations entre pouvoirs africains et français.

MOR AMAR

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