''De 2006 à 2011, nos maisons de justice ont accueilli 72750 usagers''
Mademba Guèye, magistrat, conseiller technique chargé de la justice de proximité, a apporte son éclairage sur le fonctionnement et l’impact des Maisons de justice dans le dispositif judiciaire du Sénégal.
Pouvez-vous revenir sur le contexte dans lequel les Maisons de justice ont été créées ?
Il faut noter que les premières maisons de justice, appelées maisons-pilotes (HLM, Diamaguene-Sicap Mbao et Rufisque), ont été créées par l’Onudc (Office des Nations Unies contre la drogue et le crime), avant 2004. Lorsque le programme sectoriel de justice a été mis en place en 2004 dans le cadre de la modernisation de la justice, les rédacteurs avaient noté, dans leur étude, que la justice n’était pas suffisamment proche du citoyen, pour plusieurs raisons. On faisait allusion notamment au coût de la justice, à la lenteur et à l’inadaptation des modes de régulation des conflits utilisés par la justice classique, par rapport au contexte social qui est le nôtre. Ils ont alors pensé intégrer, dans le programme, un objectif spécifique qui permettrait de faciliter l’accès à la justice. C’est ce qu’on appelle plus précisément accessibilité de la justice.
En quoi consiste cet objectif spécifique?
Cet objet comprend lui-même deux aspects. Le premier c’est la réforme de la carte judiciaire et le deuxième, la mise en place d’un dispositif de justice de proximité. Ce dispositif entend répondre aux griefs qui sont formulés par rapport aux difficultés d’accès à la justice par les populations. Par rapport au coût, ce sont des structures où tout est gratuit. Ensuite du point de vue des modes pour régler les conflits, on a fait une mixture entre les modes de régulations classiques du tribunal et les modes de régulations traditionnelles à l’arbre à palabre ou ''pencc''. En effet, on met en œuvre les modes alternatifs de règlement des conflits que sont la médiation et la conciliation. Ce ne sont pas des jugements qui sont rendus au niveau de ces structures, mais un travail de rapprochement, de facilitation, pour trouver une solution consentie entre les parties, qui est mis en œuvre. Ce qui est en phase avec notre culture traditionnelle, c’est-à-dire recoller les morceaux, faire en sorte que les gens se retrouvent. On informe également les populations sur leurs droits et leurs devoirs, on les aide à régler les problèmes juridiques auxquels elles sont confrontées dans leur vie quotidienne. L’autre aspect de la proximité consiste en un rapprochement géographique. Les maisons de justice sont installées dans les quartiers, le plus proche possible des populations, de telle sorte que, sans avoir à payer le transport, elles puissent avoir, dans le voisinage immédiat, une structure capable de prendre en charge leurs problèmes. Le dernier aspect est ce que nous appelons le rapprochement sur le plan temporel. A ce propos, le reproche qui est souvent fait à la justice, c’est sa lenteur même si, comme nous le savons, une bonne justice ne peut être expéditive. Ici le temps de règlement est plus court, et tout peut s'arranger le même jour.
Après plusieurs années d’existence, avez-vous fait une évaluation du fonctionnement de ces Maisons de justice ?
Nous faisons une évaluation annuelle. Chaque année, l’ensemble des maisons de justice envoient un rapport annuel. Ce rapport d’activités passe par le procureur de la République dont relève le lieu d’implantation de la maison de justice, car c’est lui qui est l’autorité de tutelle de la maison. Il faut noter que le rapport est validé d’abord par le comité de coordination qui regroupe l’ensemble des autorités administratives et judiciaires au niveau local, mais aussi par les membres de la société civile. Ensuite ce rapport est transmis au niveau du ministère, pour voir le volume d’activités, les problèmes qui ont été soulevés et les solutions à préconiser.
Quels sont les problèmes les plus récurrents, soulevés par les Maisons de justice ?
En général ce sont des problèmes de moyens humains, financiers et matériels mais aussi d’implication de nos partenaires institutionnels.
Quel est l’apport réel des Maisons de justice dans le dispositif judiciaire ?
De 2006 à 2011, en six ans de fonctionnement, nos maisons de justice ont accueilli quelques 72.750 usagers (hypothèse minimale où il y a deux protagonistes : il arrive qu’il y ait un différend opposant plusieurs personnes). C’est également 21.035 dossiers de médiation, 30.680 personnes qui sont venues demander des informations par rapport aux questions d’ordre juridique comme le mariage, le divorce etc. Pour l’année 2011, les maisons de justice ont traité 7.370 dossiers de médiation et ont accueilli 2.793 personnes. Pour ce qui est du recouvrement des créances qui constitue l’essentiel des affaires traitées par les maisons de justice (petits loyers, problèmes de tontine, de créance portant en général sur de faibles montants allant de 2000 FCfa à 50000 FCfa), c’est un montant de 166 millions 378 mille 274 F Cfa qu’elles ont aidé à recouvrer dans le cadre des médiations-conciliations. Donc aujourd’hui, les maisons de justice ont fini de démontrer leur pertinence et leur utilité pour les populations. Et on peut considérer que ce sont autant de dossiers qui auraient pu aboutir devant les juridictions compétentes. Aussi pourrait-on dire, sans risque de se trompe,r qu’elles délestent les juridictions d’un nombre important de petits litiges et, ce faisant, elles impactent positivement sur le fonctionnement des juridictions qui vont pouvoir dégager du temps à consacrer aux dossiers plus complexes, sans compter la préservation de la paix sociale ; car les médiations-conciliations permettent de recoller le lien entre le parties en conflit.
En perspective, qu’est-ce qui est prévu pour ces Maisons de justice ?
Aujourd’hui, en terme de perspectives au niveau du ministère, on s’oriente vers deux directions. La première direction qui est une constante est de continuer le maillage du territoire national en installant des maisons de justice un peu partout. La deuxième c’est de renforcer l’offre de service ; c’est notamment d’aller vers des prestations beaucoup plus pointues. Aujourd’hui par exemple, on est en train d’installer des bureaux d’écoute pour les questions genres, pour prendre en charge les femmes victimes de violences basées sur le genre. Nous envisageons également de travailler en partenariat avec des institutions comme le médiateur de la République. Au total, en dehors de l’extension du dispositif, notre objectif c’est d’aller vers une diversification et une amélioration du plateau de service.
Les Maisons de justice fonctionnent sur la base d’un partenariat avec la collectivité locale. Comment cela est-il organisé ?
Le ministère de la justice négocie avec la collectivité locale et, lorsqu’on est d’accord sur l’implantation, la collectivité met à la disposition de la maison de justice un local fonctionnel. En outre, le personnel d’appoint, composé d’au moins une secrétaire, un gardien , un coursier, et le ministère prennent en charge le coordonnateur et le médiateur ainsi que le budget de fonctionnement de la structure. Cet accord est d’ailleurs matérialisé par une convention d’installation signée par le ministre de la Justice et le maire de la commune concernée.
Qu’en est-il des 11 coordonnateurs qui attendent d’être édifiés sur leur statut ?
L’option du ministère de la Justice c’est d’intégrer ces acteurs dans la fonction publique. Les actes idoines ont été posés par l’autorité dans ce sens. Vous savez, ces coordonnateurs sont des jeune qui ont au moins une maîtrise en sciences juridiques et en qui nous avons investi en terme de formation ; et ces personnes ont acquis une expertise certaine dans le dispositif. D’ailleurs nous avons, aujourd’hui, un excellent coordonnateur qui a été pris comme conseiller technique par un ministre, un autre a réussi au concours du barreau, d’autres ont eu des offres dans d’autres structures. Mais puisque les Autorités, notamment Madame le ministre de la Justice, ont montré leur engagement pour pérenniser et renforcer ce dispositif justice de proximité, nous avons espoir par rapport à l'amélioration de la situation juridique de ces coordonnateurs dont il faut rappeler, au demeurant, qu’ils perçoivent une indemnité mensuelle de 200.000 FCFA.
Quels sont les critères qui prévalent à l’installation de la maison de justice ?
Lorsque nous les installons, nous regardons les localités assez populeuses ; le critère de vulnérabilité est intégré, le critère de l’éloignement des juridictions aussi. Nous mettons en avant également des critères d’ordre économique. Par exemple,vous pouvez avoir une localité où il y a une importante activité économique et qu'il n’y ait pas de juridiction qui règle les problèmes. C’est le cas de Sicap-Mbao-Diamaguene où il y a le foirail à côté ,qui génère des activités économiques assez importantes, avec souvent de petits conflits ; et les juridictions les plus proches sont à Pikine ou à Rufisque, pour ne donner que cet exemple.
PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE BIRAME DIOH
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