Le Sénégal ne peut se permettre d’enterrer sa mémoire et sa créativité

Depuis l’avènement au pouvoir du président Bassirou Diomaye Faye et de son Premier ministre Ousmane Sonko, une immense attente habite les acteurs culturels du Sénégal. Espoirs, engagement, mobilisation beaucoup ont cru, sincèrement, qu’un nouveau souffle allait être donné à un secteur longtemps relégué au rang de parent pauvre des politiques publiques. Mais, après 15 mois de gouvernance [ vers les deux ans ] post l’alternance, force est de constater que la culture sénégalaise continue de végéter dans une léthargie inquiétante.
La première faute stratégique a été de fusionner le ministère de la Culture avec celui des Sports, comme si l’Art, l’Histoire, la Création, le Patrimoine, la Transmission… pouvaient être administrés comme une extension des compétitions sportives. Cette décision a envoyé un signal désastreux à toute une communauté : celui d’un manque de considération, voire d’un mépris à peine voilé, pour les enjeux fondamentaux de la culture dans notre pays.
Pire encore, la ministre en charge dont les compétences ne sont pas à remettre en cause dans d’autres domaines semble totalement dépassée sur le terrain culturel. On ne sent aucune vision d’ensemble, aucun cap, aucun souffle porteur. Les acteurs culturels, eux, tournent en rond, dans le brouillard d’une gouvernance cloisonnée et désincarnée. Plus grave encore : les postes stratégiques restent largement occupés par les anciens barons de l’ancien régime, parfois même par des partisans notoires du troisième mandat. Ce système contre lequel nous avons tous lutté n’a pas été renversé : il a simplement changé de logo.
Pendant ce temps, les projets s’enlisent, les initiatives se meurent, les jeunes créateurs sont contraints à l’exil ou à l’abandon. Les scènes sont désertées, les centres culturels fermés, les cinémas à l’abandon, les artistes appauvris, les mémoires orales oubliées. L’absence de budget, de ligne directrice, de dialogue permanent entre la tutelle et les professionnels crée un sentiment d’abandon, voire de trahison.
Pourtant, la culture est un pilier fondamental de tout projet de transformation sociale. Elle est le reflet de l’âme d’un peuple, le ciment de sa cohésion, le vecteur de sa dignité et de sa souveraineté. Un pays qui ignore sa culture abdique sa souveraineté symbolique. Il se condamne à l’amnésie, à l’acculturation, à la dépendance idéologique.
Nous ne pouvons pas continuer à faire du neuf avec du vieux, à reconduire les erreurs que nous avons combattues avec tant d’acharnement. Nous n’avons pas mené cette lutte historique pour revivre les mêmes logiques clientélistes et les mêmes réflexes autoritaires que ceux que nous dénoncions hier.
Il est encore temps. Mais il y a urgence à rectifier le tir.
Nous appelons le président Bassirou Diomaye Faye, dépositaire du titre Constitutionnel de "Protecteur des Arts et Lettres", garant de la souveraineté nationale, à rétablir un véritable ministère de la Culture, autonome, audacieux, ancré dans une vision claire de ce que doit être le Sénégal du 21e siècle.
Nous appelons le Premier ministre Ousmane Sonko à faire de la culture un pilier de son programme de transformation radicale. Car sans culture, il n’y aura pas de refondation.
Nous demandons :
• Une refonte complète de la gouvernance culturelle, avec des nominations fondées sur la compétence, la légitimité, l’expertise et la proximité avec les réalités du terrain ;
• L’organisation d’États généraux de la culture, co-construits avec les artistes, producteurs, chercheurs, diffuseurs, techniciens, éditeurs, conservateurs, formateurs… pour dessiner ensemble une politique culturelle ambitieuse, inclusive et décentralisée ;
• La mise en place d’un fonds d’urgence pour la relance culturelle, notamment pour les jeunes créateurs, les espaces culturels indépendants, les productions audiovisuelles, la musique, le théâtre, les arts visuels, la danse, la mode, le patrimoine et l’édition ;
• La création d’un observatoire national de la culture, garant de la transparence, du suivi et de l’évaluation des politiques publiques culturelles ;
• La promotion des industries culturelles et créatives comme secteur stratégique pourvoyeuse d’emplois, de rayonnement et de développement économique.
Il ne s’agit pas de simples doléances. Il s’agit d’un cri d’alerte, porté par une génération d’acteurs culturels qui ne veulent ni se taire, ni baisser les bras, mais qui refusent d’être réduits à des figurants dans leur propre pays.
Le Sénégal mérite mieux.
La culture sénégalaise mérite mieux.
Et le projet politique porté par PASTEF mérite mieux s’il veut rester fidèle à ses promesses d’émancipation, de justice et de rupture.
Parce que sans culture, il n’y a pas de nation vivante. Seulement un territoire vide de sens, livré à la consommation passive et à l’oubli organisé.
Agissez. Maintenant.
Par Maky Madiba Sylla cinéaste et acteur culturel