Publié le 22 Sep 2015 - 13:36
MOTS CHOISIS

« La Nuit Sacrée »  de Tahar Ben Jelloun Prix Goncourt 1987 Editions Seuil

 

Au crépuscule de sa vie, Zahra  décide de parler, d’expulser les mots pour se sentir moins lourde. Elle se décide d’avouer pour se soulager parce qu’une « mémoire remplie de silence et de regards arrêtés pouvait devenir un sac de sable rendant la marche difficile » et qu’en définitive, ce qui  importe, c’est la vérité.

Pour nous aiguillonner, elle nous rappelle qu’elle a été une enfant à l’identité trouble, une fille masquée par la volonté d’un père qui se sentait humilié parce qu’il n’avait pas de fils. Et elle devint le fils qu’il n’a pas eu et se camoufla sous  le nom d’Ahmed.

La Nuit du Destin, cette nuit sacrée de la vingt-septième du mois de Ramadan allait marquer le tournant d’une vie, celle d’Ahmed. Son père mourant, l’appela pour l’affranchir et profiter des bienfaits de cette nuit propice au pardon. Il se confessa pour effacer vingt ans de mensonge afin de partir propre, lavé de cette honte qu’il portait  durant une bonne partie de sa vie pour entretenir cette ambition devenue idée fixe : avoir un fils.  Tous les souvenirs de l’enfance de Zahra rejaillissent dans la mémoire de ce père qui prolonge sa confession toute cette nuit durant, temps certainement nécessaire  pour apurer vingt ans de mensonge. Il veut que son enfant lui accorde « la grâce de l’oubli », en d’autre terme, le pardon avant l’heure ultime. De cette nuit, décréta-t-il  aussi la renaissance de Zahra ci-devant Ahmed et lui intima l’ordre de quitter la maison et de voyager, de partir loin. A l’aube, il rendit l’âme.

La Nuit du Destin fut ainsi libératrice pour elle bien qu’elle sut ce qui l’attendait : continuer encore à jouer le jeu le temps des funérailles, le temps de régler les problèmes de succession et d’héritage.

A l’enterrement de son père, elle est enlevée par un cavalier sur une jument blanche dans le cimetière même,  suscitant la stupéfaction de ses oncles. C’était certainement la Nuit du Destin qui le lui avait envoyé, peut-être aussi le travail de l’imaginaire.

Le village dans lequel elle est transportée est un lieu secret où ne vivent que des enfants et où n’accèdent que ceux dont le cœur a souffert. Le principe de l’oubli y est érigé en règle et les mémoires y sont réinitialisées.

Elle entreprit alors la longue marche des rescapés pour quitter  le village abritant cette tribu hors du temps, à l’abri des vivants. En définitive, ce village n’a pas de nom et n’existe pas. Il est en chacun de nous parce que nous sommes tous des rescapés.

La veille de l’Aïd, elle retourna au cimetière non pas pour  prier sur la mémoire de son défunt père mais pour enterrer les objets qui accompagnaient cette simulacre de vie : une chemise d’homme, un pantalon, un extrait de naissance, une photo de la cérémonie de circoncision, sa carte d’identité, des chaussures, des chaussettes….les bandelettes de tissus qui serraient sa poitrine pour empêcher ses seins de sortir et de grossir. Elle avait creusé la tombe de son  père pour y loger tous ces objets qui compactaient sa poitrine et concouraient à parfaire son mensonge.

Sitôt  après,  elle alla à la conquête de la vie, le corps neuf…

Elle offrit sa virginité au premier homme rencontré, un homme   trouvé dans les bois en une nuit. Zahra ne vit jamais son visage parce que celui-ci était derrière elle. Elle découvrit l’amour physique pour la première fois, une première qui apparaissait comme « un poignard caressant le dos ». Le sang qui coulait entre ses cuisses était l’œuvre de son premier homme, un homme sans visage.

Recueillie par l’Assise, gardienne d’un hammam, une femme forte avec un fessier impressionnant, d’où son nom, elle loua ses services pour s’occuper de son frère  adoré devenu aveugle, appelé le Consul en référence  au rang  que sa sœur voulait qu’il occupât. Elle avait  décidé de le nommer ainsi et l’affecta à ce poste, dans une ville imaginaire. Il était un homme à part qui considérait le Coran qu’il enseignait jadis aux enfants comme une poésie superbe. Aussi exprimait-il son horreur de voir des gens qui l’exploitent en parasite et qui limitent la liberté de la pensée.

Une affection caressante finit par lier le Consul à Zahra et la rencontre de leur chair fera dire à l’héroïne ces sublimes mots : « Le miracle avait le visage et les yeux du Consul. Il m'avait sculptée en statue de chair, désirée et désirante (…). Je n'étais plus un être de sable et de poussière à l'identité incertaine, s'effritant au moindre coup de vent. (…) Il m'avait fallu l'oubli, l'errance et la grâce distillée par l'amour, pour renaître et vivre. »

La proximité de Zahra avec le Consul va éveiller une jalousie chez l’Assise qui, il faut le dire,  entretient des relations troubles avec son frère, à la limite de l’inceste. Pour écarter celle qui est  une intruse, elle se déploie à découvrir  une partie du passé de Zahra. 

« Le Consul » finira par quitter sa sœur pour s’affranchir et  retrouve Zahra à la fin avec en contre-point,  l'image de la mer, véritable symbole de liberté. Dès lors, tout est possible entre ces deux êtres qui s'aiment, qui s'attendaient et qui, maintenant, peuvent vivre pleinement l'un avec l'autre, débarrassés définitivement d'un passé trop pesant.

Ce  roman est un  vrai  conte oriental. Et Tahar Ben Jelloun, au travers de ce récit, nous restitue un pan de la mythologie arabe, cette culture millénaire où les contes ont contribué à forger une certaine identité.

On comprend davantage comment Schéhérazade a pu hypnotiser  « Mille et Une Nuits » durant le  sultan Shahryar….jusqu’à sauver sa tête.

Enfin, pour les besoins d’une Collection, l’auteur écrivait ces mots à l’attention des lecteurs :

« Je souhaite aux lectrices et aux lecteurs de faire une belle et surprenante rencontre avec Zahra et le Consul, le couple qui va jusqu’au bout de l’amour et de la passion dans « La Nuit Sacrée ». J’espère qu’ils aimeront ce territoire étrange et proche qu’est le Maghreb et qu’ils se laisseront habiter par ce conte des jours et des dunes où la lune est toujours pleine.

Amis ! Faites un bon voyage. »

Ce fut un  beau voyage !!!

Tahar Benjelloun est un écrivain  marocain. Sa  production littéraire  est riche  de plusieurs publications.

 « La nuit sacrée »  est couronnée du Prix Goncourt 1987.

Ce livre est la suite de « l’Enfant de sable » publié en 1985 et qui nous révéla l’histoire d’Ahmed racontée par différents personnages. Dans « La Nuit Sacrée, c’est Ahmed lui-même qui nous raconte son histoire….

Ameth GUISSE

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