L’inquiétude plane sur le Sahel
Après le départ des forces onusiennes du Mali, celui des 1 500 éléments français du Niger marque le début d’une nouvelle ère dans le Sahel. Une ère d’inquiétude.
C’est une nouvelle page qui s’ouvre pour les pays du Sahel. Depuis dimanche, la France a annoncé le retrait, d’ici la fin de l’année de la totalité de ses troupes encore disponibles sur le territoire nigérien, conformément à la demande du régime militaire en place, depuis le renversement du président Bazoum. Cette annonce, qui sonne comme une capitulation après plusieurs semaines de résistance, marque la fin de la présence française dans ce qui constitue l’épicentre de la menace terroriste.
Pour les autorités nigériennes, l’heure est plus à la célébration qu’à autre chose. ‘’Nous célébrons la nouvelle étape vers la souveraineté du Niger. C’est un moment historique qui témoigne de la détermination et de la volonté du peuple nigérien... Les forces impérialistes et néocolonialistes ne sont plus les bienvenues sur notre territoire national’’, fulmine la junte dans un communiqué. Saluant le courage et l’unité des Nigériens, le CNSP estime que ‘’la résistance sera sans faille et s’appliquera à toute institution ou structure tentant de remettre en cause les intérêts supérieurs de notre nation’’.
Au total, ce n’est pas moins de 1 500 soldats mobilisés dans le cadre de sa coopération avec le pays qui devront quitter le Niger en trois mois.
Il faut noter que jusqu’à la chute du président Bazoum, le Niger était l’un des pays les moins touchés par les attaques terroristes dans la zone la plus chaude qu’est la ‘’zone des trois frontières’’. D’ailleurs, à l’occasion de la présentation des vœux pour la nouvelle année, le chef d’État-major général des armées, le général de division Salifou Modi était largement revenu sur les performances du pays, sous la direction de Bazoum. ‘’Depuis la dernière présentation des vœux le 7 janvier 2022, la situation sécuritaire de notre pays s’est globalement améliorée, malgré l’exacerbation des tensions sociopolitiques et sécuritaires dans plusieurs pays voisins. Cette accalmie, nous la devons à votre politique de défense et de sécurité mise en œuvre par les ministères concernés et appliquée sur le terrain par les forces de défense et de sécurité’’, confiait le général Modi, saluant l’engagement personnel du président déchu. "Dans le cadre de l’atteinte des objectifs de sécurisation de nos populations et de préservation de l’intégrité de nos territoires, en plus de votre engagement constant à vous enquérir personnellement de la réalité de la situation sur le terrain à travers des visites dans les cantonnements et les réunions régulières du Conseil national de sécurité, au cours de l’année 2022, vos directives ont contribué à améliorer de façon significative le renforcement capacitaire de nos forces dans de nombreux secteurs’’, se félicitait à l’époque le patron des armées nigériennes.
Jusqu’à l’arrivée de la junte, le Niger était le pays le moins touché dans l’épicentre du terrorisme dans le Sahel.
Parmi les efforts consentis par le président Bazoum qui étaient à la base des performances du Niger par rapport au Mali et au Burkina Faso, il y avait l’amélioration des conditions de vie et de travail du personnel, l’acquisition sur fonds propres de l’État de moyens aériens, de drones stratégiques, des avions de chasse, des hélicoptères de combat, des véhicules de combat de l’infanterie de dernière génération… Aujourd’hui, le discours a complètement changé. Les militaires se sont retournés contre l’ancien président qui est tenu en otage et font tous acte d’allégeance au nouvel homme fort de Niamey, le général Tiani. Depuis leur arrivée au pouvoir, en tout cas, la situation s’est nettement dégradée. Avec le départ définitif des 1 500 éléments français, l’inquiétude plane, malgré l’enthousiasme ambiant.
En effet, depuis 2019, la coopération entre les deux pays a permis de réaliser des efforts importants dans la lutte contre les groupes armés terroristes. Globalement, les actions françaises au Niger tournaient autour de l’accompagnement au combat, du renseignement, de la formation et de la coopération civilo-militaire, expliquent des sources diplomatiques françaises. Dans un document parcouru par ‘’EnQuête’’, il est indiqué que, dans le cadre de l’accompagnement au combat, ‘’les armées françaises appuient les Fan (Forces armées du Niger) dans : sécurisation des axes et de zones ; escorte de convois ; appui aérien avec les moyens chasse et drone ; harcèlement de Gat (groupes armés terroristes) ; destruction d’IED ; patrouille conjointe et la reconnaissance de zones’’.
En ce qui concerne la formation, les Fan auraient bénéficié de formations dans les domaines suivants : lutte contre les IED, secourisme au combat, tir et guidage aérien’’.
Selon le document, l’appui français a produit des résultats concrets. ‘’Grâce aux actions menées conjointement, les Fan ont pu reprendre pied dans la zone des trois frontières, précédemment abandonnées aux Gat. Les armées françaises ont ainsi établi en février 2023 un point d’appui à Tabarey-Barey, depuis lequel les Fan ont pu soutenir leurs actions dans une zone jusqu’alors délaissée. Cette position et les patrouilles menées dans cette zone ont conduit à un net recul des Gat qui n’ont pu mener d’actions dans cette zone depuis l’établissement du poste. Les postes de Tiloa et de Inates, dans le Nord nigérien, devaient faire l’objet de renforcements substantiels de la part des armées françaises’’.
Toujours, informe le document, à la demande du partenaire nigérien, l’armée de l’air et de l’espace française a mené de nombreuses missions d’appui aux troupes au sol, qu’il s’agisse de réassurance ou de frappes sur des objectifs identifiés. ‘’La combinaison des actions de soutien, de construction de postes et d’appui direct a permis, pour la population pastorale, un retour à une vie normale, sans être soumise à la prédation des Gat’’, lit-on dans le rapport.
Avant ce départ des éléments français du Niger, les juntes avaient également chassé les forces onusiennes du Sahel.
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Requiem
Comme pour répondre aux détracteurs de la France qui semblent minimiser les résultats de sa présence dans le Sahel, les sources françaises listent de nombreux faits d’armes réalisés par les forces nigériennes, grâce notamment à l’appui actif des forces françaises.
Depuis leur départ du Mali et du Burkina Faso, il faut dire que la France avait tout misé sur le Niger pour redorer son blason dans le Sahel. La coopération a permis de mener pas mal d’actions. Depuis janvier, informe-t-on, trois formations par semaine ont été organisées par les éléments français au Niger au profit des Fan sur le guidage aérien (formation Gata = guidage aérien tactique avancé). En mars, les éléments français au Niger ont aussi appuyé leurs homologues nigériens à travers le génie de combat. ‘’Les missions des éléments du génie sont d’assurer la sécurité des convois et d’intervenir en cas de suspicion de pièges ou d'engins explosifs improvisés (IED). Lors de l’opération Agab en mai 2023, la section génie des armées françaises est intervenue sur les points dangereux identifiés par les Fan, elle a aussi exploré les habitations potentiellement piégées’’, souligne le rapport des services français.
Autre opération à succès selon toujours la source française, c’était en avril avec la formation de 30 parachutistes du Batpara des Fan ; une formation avec le 2e Rep. ‘’À l’issue de leur formation, dans le cadre de l’opération Agab, le Batpara Fan, appuyé par les éléments du 2e Rep, a mené une opération aéroportée dans le Liptako nigérien, à une vingtaine de kilomètres au sud de la frontière avec le Mali. Cette opération a permis aux Fan de reprendre un poste militaire renforcé qu’elles n’occupaient plus depuis deux ans à la suite d’une attaque de l’EIGS. Cette opération aéroportée conjointe a été effectuée à la demande du chef de l’opération nigérienne Almahaou’’, se félicitent les Français, qui n’ont pas manqué de mentionner d’autres faits d’armes réalisés par la coopération militaire avec le Niger.
Parmi ces autres faits d’armes, il y a les patrouilles conjointes dans les zones d’Aguelal, de Tillabery, de Ouallam et de Téra ; des opérations dans les localités de Tin Gara, In Ates et de Tongo qui ont permis de surprendre les groupes armés terroristes. ‘’Les éléments français au Niger ont systématiquement appuyé les Fan dans leurs opérations de lutte antiterroriste : Agab, Mouna Tare, Imaghazz et Eghahane. Ces opérations ont systématiquement eu pour résultat la saisie et la destruction d’armes, de motos et autres matériels logistiques des Gat permettant la confection d’IED. Ces opérations ont aussi permis de récupérer du bétail volé par les Gat, qui a pu être remis à leurs propriétaires’’, se sont réjouies les sources diplomatiques françaises dans le rapport.
Au-delà du Niger, le document indique que cette lutte directe contre les terroristes a également été le quotidien des éléments français quand ils étaient au Burkina Faso et au Mali. ‘’Les actions menées conjointement entre les militaires français et les forces armées partenaires ont porté des coups sérieux aux groupes terroristes EI-S et JNIM, réduit leur liberté d’action dans la région des trois frontières et ont permis l’arrestation ou la neutralisation de plusieurs cadres de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS)’’, détaille le document.
Selon la source, ces opérations ont permis d’affaiblir des structures de commandement des Gat. Entre autres exemples, il est cité plusieurs dizaines de grands chefs de réseaux terroristes du RVIM et de l’EIGS mis hors de combat ; plusieurs centaines de combattants djihadistes neutralisés ; plus d’une centaine de civils sauvés dans le cadre de tuerie de masse dans des capitales africaines (Ouagadougou et Bamako) ; une quinzaine d’otages libérés dans la sous-région. Le document se félicite également de plusieurs cas de neutralisation de terroristes, dont celui d’Issa Al Sahraoui, coordonnateur logistique et financier de l’EIGS, et d’Abdou Abderahmane Al Sahraoui en juillet 2021 ; Adnan Abou Walid al Sahraoui émir de l’EIGS en aout 2021 ; Oumarou Mobo Modhi chef de groupe au sein d’Ansarul Islam en octobre 2021 ; Saghid ag Alrhroro chef de la Saryat Gourma et adjoint d’Abou Hamza al Chinguetti émir du Gourma pour le RVIM en octobre 2021… La liste est loin d’être exhaustive.
REQUIEM Liste complète des exemples de neutralisation - En décembre 2014, neutralisation d’Ahmed El Tilemsi, membre fondateur du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) et émir d’Al Mourabitoune au Mali ; - En mai 2015, neutralisation d’Amada Ag Hama alias ‘’Abdelkrim le Touareg’’ et Ibrahim Ag Inawalen alias ‘’Bana’’, deux des principaux chefs d’Aqmi et d’Ansar Eddine ; - le 21 février 2019, le chef d’un des principaux groupes armés terroristes sévissant au Sahel, Yahia Abou el Hammam, numéro deux du RVIM (Rassemblement pour la victoire de l’islam et des musulmans) a été neutralisé ; - En octobre 2019, neutralisation d’Abou Abderahman al Maghrebi, considéré comme le numéro deux et leader religieux du RVIM ; - Le 3 juin 2020, neutralisation d’Abdelmalek Droukdel, ‘’émir’’ d’Aqmi, après avoir capturé, le 19 mai, le djihadiste Mohamed el Mrabat, cadre majeur de l’EIGS ; - le 10 novembre 2020, neutralisation de Bah Ag Moussa, chef militaire au sein du RVIM ; - Au mois de juin 2021, l’EIGS a subi de lourdes pertes au sein de son encadrement : Dadi Ould Chaib, chef de groupe plus connu sous le nom d’’’Abou Dardar’’, et Sidi Ahmed Ould Mohammed, alias ‘’Khattab al-Mauritani’’, ont été capturés, tandis qu’Almahmoud ag Baye alias ‘’Ikaray’’, important cadre de l’EIGS, a été neutralisé ; - En juillet 2021, Issa Al Sahraoui, coordinateur logistique et financier de l’EIGS, et Abou Abderahmane Al Sahraoui, second cadre de l’EIGS chargé de prononcer des jugements, ont été eux aussi neutralisés ; - En août 2021, Adnan Abou Walid al-Sahraoui, ‘’émir’’ de l’EIGS, a été neutralisé ; - En octobre 2021, neutralisation d’Oumarou Mobo Modhi, chef de groupe important au sein d’Ansarul Islam ; - En octobre 2021, neutralisation de Saghid ag Alrhroro, chef de la Saryat Gourma et adjoint d’Abou Hamza al Chinguetti, émir du ourma pour le RVIM ; - En décembre 2021, neutralisation de Soumana Boura, chef de groupe de l’EIGS et responsable de l’assassinat de 6 Français dans le parc de Kouré ; - En juin 2022, capture d’Oumeya Ould Albakaye, haut responsable de l’État islamique au Grand Sahara (EIGS). |
MOR AMAR