Samarcande d’Alain Malouf
Editions : Lattès
Amin Maalouf nous conte ici la vie du grand poète, homme de science et philosophe Omar Khayyâm. Avec un plaisir immense, nous nous laissons transporter au cœur de la Perse du XIème siècle et ceci par des mots choisis, des formules imagées qui nous installent dans l’Orient de l’époque.
Omar Khayyâm, c’est l’homme aux robaïyats, poèmes dans lesquels il chante avec un talent inégalé son penchant pour une certaine forme de vie, ce goût prononcé qu’il a pour le vin et ceci dans une société musulmane comme la Perse de l’époque. Omar Khayyâm, c’est l’iconoclaste, qui osait « apostropher » son Créateur en ces termes :
« Quel homme n’a jamais transgressé Ta Loi, dis ?
Une vie sans péchés, quel goût a-t-elle, dis ?
Si Tu punis le mal que j’ai fait par le mal,
Quelle est la différence entre Toi et moi, dis ? »
Il est un personnage fascinant, un sujet à étudier pour comprendre comment un esprit libre comme lui a pu évoluer dans une société emprisonnée autour d’un certain dogmatisme musulman.
Samarcande, c’est l’histoire d’un manuscrit rédigé par Omar Khayyâm, égaré et retrouvé des siècles plus tard, le recueil contenant les quatrains du poète tel que le lui avait demandé le cadi Abou Taher qui lui offrit un livre de cinquante six pages vierges en le suppliant d’y accoucher les vers qui prendront forme dans son esprit. Il y retrace les évènements qui ont rythmé la vie de cette région et les différents personnages qui, de par leur originalité, donnent à l’histoire une allure extraordinaire.
Au travers de son récit, l’auteur nous révèle le contenu du Manuscrit de Samarcande, agrémenté de rencontres, outre celle d’Omar Khayyâm avec son protecteur le cadi de la ville, celle d’avec Djahane où l’amour va s’offrir et lui prodiguer des heures inoubliables d’une sensualité délicieuse, dans les bras de cette « femme, éblouissement dans le noir, (…) qui n’a plus d’autre voile que la nuit » et avec qui : « chaque baiser traîne un goût d’adieu, chaque étreinte est une fuite essoufflée. » Et celle d’avec Hassan fils d’Ali Sabbah qui va jouer un rôle déterminant dans sa vie et au profit de qui il va renoncer à un poste important offert par Nizam le grand vizir.
Hassane Sabbah est le fondateur du mythe des Assassins appelé parfois haschichiyoun « fumeurs de haschich ». D’ailleurs certains en ont vu l’origine du mot Assassin. Pour Amin Maalouf, la vérité est autre. En effet et d’après les textes parvenus d’Alamout (le bunker de Hassane Sabbah), Hassan aimait à appeler ses adeptes Assassiyoun, ceux qui sont fidèles au Assas, au « Fondement » de la foi, et c’est ce mot mal compris des voyageurs étrangers, qui a semblé avoir des relents de haschich. Voilà bien une version différente de celle rapportée par Jean d’Ormesson dans son roman « La création du monde » où il apparait qu’Hassan Ibn al-Sabbah était le chef d’une secte religieuse et guerrière qui appartenait à la frange la plus dure de l’Islam chiite. Plus connu sous le nom de « Vieux de la Montagne », il recrutait des jeunes entre douze et trente ans qui lui étaient dévoués corps et âme qui menaient des expéditions de sacrifice appelées fedayin, c’est-à-dire commandos-suicide. Les kamikazes du « Vieux de la Montagne » étaient appelés haschaschin, d’où le mot assassin.
Toujours selon d’Ormesson « Les fedayin arrivaient à Alamut et repartaient assommés de haschich et d’autres drogues similaires. Ils commençaient par dormir trois jours. Quand ils se réveillaient dans le jardin enchanté, au milieu des houris (amenées par Hassan ibn al-Sabbah et provenant de divers contrées), ils se croyaient au Paradis. Durant cinq ou six jours, ils jouissaient de tous les plaisirs que leur prodiguait le « Vieux de la Montagne ». Au terme de cet éclair de brève félicité, ils étaient renvoyés d’où ils venaient où sur les fronts où Hassan poursuivait son combat, le plus souvent en Syrie, à Bagdad et en Perse. Le maitre n’avait pas de mal à se faire passer auprès d’eux pour un magicien qui leur avait ouvert pour quelques heures les portes du Paradis d’Allah. Et il leur enseignait qu’il leur suffisait de mourir en combattant pour y retourner à jamais ».
Sous la plume d’Amin Maalouf, l’histoire de la secte des Assassins est retracée avec brio, l’époque d’Omar Khayyâm revisitée avec un souci d’exactitude pour coller au mieux à la réalité.
En tout état de cause, certains observateurs ont vite fait le lien pour rattacher le terrorisme intégriste d’aucuns se réclamant de la religion musulmane à Hassan ibn al-Sabbah, ce redoutable chef d’armée, solidement installé dans sa forteresse imprenable d’Alamout, admirablement décrite dans le livre. Aurait-il inspiré certains de nos contemporains ?
Samarcande est un livre magnifique, un bel hommage au fantastique libre penseur qu'est Omar Khayyâm, celui-là même qui adorait le vin et la vie et qui se lia d’amitié avec Hassan Sabbah, cet autre qui idolâtrait la mort, qui exigeait de ses hommes qu’ils ignorassent l’amour, la musique, la poésie, le vin…. , bref tout ce qui est beau dans la Création.
Samarcande nous conte la Perse du XIème siècle et l’Orient du siècle dernier où le besoin de liberté défie un certain fanatisme religieux. Ce livre, a certainement ouvert la voie à cet autre bouquin « Les Croisades vues par les Arabes » du même auteur.
Amin Maalouf nous étale ici toute la finesse de son écriture avec son style si chatoyant qui nous berçait dans « Léon l’Africain », « Le Rocher de Tanios » (Prix Goncourt 1993), « Les identités meurtrières », mais surtout dans ce livret d’opéra « L’amour au loin », formidable pièce que nous souhaitons voir un jour des réalisateurs / metteurs en scène sénégalais monter en langue wolof pour le grand bonheur du public connaisseur.
Amin Maalouf, écrivain franco-libanais est depuis 2011 élu à l’Académie française où il occupe le siège laissé vacant par Claude Lévi-Strauss.
Ameth GUISSE