Publié le 12 May 2020 - 01:54
OUSTAZ ALIOUNE SALL

Plaisant au micro

 

Il est le prêcheur préféré de la plupart des Sénégalais, de par la clarté de son discours, sa manière d’interpréter le Coran, ses anecdotes qui font souvent rire ses auditeurs, etc. Oustaz Alioune Sall fait partie des rares prédicateurs sénégalais qui n’ont pourtant jamais quitté le pays en quête de savoir religieux. ‘’EnQuête’’ s’est intéressé à cet homme religieux dont la voix berce chaque aube, et cela depuis plus d’une décennie, les auditeurs de la radio Sud Fm.

 

Humble, jovial, disponible, véridique, franc… Les qualificatifs ne manquent pas, quand il s’agit de faire un témoignage sur Oustaz Alioune Sall. ‘’C’est un homme gentil qui maitrise son art, qui sait comment parler aux gens et plein de sagesse. Il est très humble. C’est ce qui m’a le plus plu chez lui. Il est franc et véridique. C’est vraiment quelqu’un de bien. Franchement, Alioune Sall est formidable, pieux et sincère en amitié. Il m’a toujours soutenu et ne m’a jamais lâché dans les moments difficiles. Il cherche des solutions à mes problèmes et ne se repose que quand il en trouve’’, affirme Oustaz Taïb Socé, qui fut le premier prêcheur à co-animer avec Oustaz Sall une émission à radio Dunya, en 1997.

Plus de 20 ans de radio, connu et aimé, l’homme n’en reste pas moins simple et humble. Celui que tout le monde appelle Alioune, s’appellerait en réalité Alla. Du moins, son homonyme s’appelait ainsi et la déformation de ce nom qui a donné Alioune. Et même le principal intéressé se l’est aujourd’hui approprié. ‘’Je m’appelle Alioune Sall’’, se présente-t-il. En outre, il a tenu à préciser qu’il n’occupe pas le rang qui lui est dédié. ‘’On m’appelle Oustaz, parce que je fais des prêches à la radio. Au Sénégal, les gens ont l’habitude d’élever un apprenant au rang d’oustaz, mais parfois on n’atteint pas ce niveau. Les Sénégalais considèrent que toute personne qui parle de religion est un oustaz ou serigne. C’est pourquoi on m’appelle communément Oustaz. Mais je n’ai pas à ce rang’’, se départit-il en souriant. 

Très à l’aise pour parler de sa profession, il ne l’est pas pour autant, quand il s’agit de parler de son âge. ‘’Je cache toujours mon année de naissance aux journalistes. Je ne veux pas qu’en la donnant, des gens commencent à se comparer à moi, en disant que je suis plus âgé qu’eux ou le contraire. Cela fait partie des secrets de notre travail’’, confie-t-il, toujours souriant.

On sait quand même qu’il est né à Thialé, un village situé dans l’arrondissement de Kahel, dans le département de Mbacké. Oustaz Alioune Sall est le fils de Serigne Mbaye Sall et d’Astou Sall. L’enseignement du Coran est comme un legs chez Alioune Sall. Son père était certes chauffeur de profession, mais dispensait aussi des cours de Coran. Il a grandi à Mbacké, à Santhi Mor Lissa. Son père a quitté leur village alors qu’Oustaz Alioune Sall n’avait que 7 ou 8 ans. C’est là où il a grandi et entamé ses études à l’école coranique de Mbacké. Il y était également scolarisé pour apprendre l’arabe. Il a aussi fréquenté l’école française, mais ni lui ni ses frères n’y ont duré.

‘’On n’a passé que 3 jours à l’école. J’y suis allé le mercredi, le jeudi et le vendredi. Mon père nous a demandé après d’arrêter les cours’’, narre-t-il. Cela était dû à l’influence d’un des amis de son père, Serigne Moustapha Fall et père de l’ancien directeur de Sud Fm Oumar Diouf Fall.  ‘’Ce dernier est venu lui rendre visite à la maison. Quand il a demandé à mon père où étions-nous, il lui a dit qu’on était allé faire cours. Il était trop heureux. Mais quand on est descendu et qu’il nous a vus avec nos ardoises, il a été trop déçu. Et il a convaincu mon père de nous sortir de l’école et de nous amener à apprendre le Coran’’, se souvient-il. C’est ainsi qu’ils ont été conduits à Mbar, village de l’ami de leur papa. Ce dernier les a emmenés à Coupe-Coupe, une autre contrée dans le département de Gossas, située entre Mbar et Colobane. Et c’est auprès du maître coranique El Hadj Maguette Dièye qu’il apprit les bases de l’enseignement coranique.  

Sachant que ‘’la chose la plus importante à toute la vie est le choix du métier : le hasard en dispose’’, comme le disait Blaise Pascal, Oustaz Alioune Sall est revenu à Mbacké pour apprendre une profession, après ses études coraniques. Il n’est pas allé chercher loin. Comme on dit, ‘’tel père, tel fils’’ ; il voulait devenir chauffeur. Mais ce dernier y opposa son véto et lui proposa la mécanique qu’Oustaz a aussi déclinée. ‘’Je lui ai dit que les mécaniciens ne portaient pas d’habits propres. Il a essayé de me convaincre en me faisant comprendre qu’il s’agit de tenue de travail. Mais avec la fougue de jeunesse de l’époque, je ne me voyais pas mécanicien’’, confie-t-il.

N’ayant pu trouver un accord avec son père sur le métier à exercer, il est resté sans rien faire pendant un moment. Heureusement, la nature faisant bien les choses, une école dédiée à l’enseignement arabe a été ouverte dans son village natal. Donc, il y est retourné et au bout de 5 ans, pour y décrocher son Certificat de fin d’études élémentaires en arabe. A l’époque, au Sénégal, ceux qui avaient le certificat en arabe était autorisé à enseigner cette langue. C’est ainsi que se sont ouvertes pour lui les portes de l’enseignement. Il sera affecté à Diawdé Couta, à Ndiaw Séyaan, à Louga, à Keur Mbarick, à Nième Cissé, avant de revenir à Louga, à l’école An Khanaafi de Serigne Abass Sall, puis à Manar Al Houda et à Ndiaré Touba Ndiaye, sur la route de Dahra Jolof.

Ambitieux et persévérant, il a continué à étudier tout en enseignant. C’est ainsi qu’il réussit au Bfem et ensuite au Bac arabe. Entre l’obtention de ces deux diplômes, il a eu aussi à faire des études à Mbacké auprès d’Oustaz Ahmet Ousseynou Bousso. D’après lui, tout ce parcours s’explique par les failles qu’il y avait avec l’enseignement de l’arabe au Sénégal.

Comment son projet de commerce de moutons est tombé à l’eau

Dans ses prêches, Oustaz Alioune Sall a l’habitude de dire que le hasard n’existe pas et son propre vécu l’illustre à souhait. En effet, l’enseignement ne lui ayant pas permis de s’épanouir financièrement, il décida alors d’aller à Tambacounda pour se trouver un autre travail. Mais, cette fois, il avait déjà en tête un projet bien ficelé. Il s’agissait pour lui d’aller retrouver un de ses amis, Mamadou Sarr. Une fois sur place, il était prévu que ce dernier lui prête de l’argent pour qu’il débute un commerce de moutons.

Cependant, le jeune aventurier n’avait pas les moyens financiers de payer son transport de Louga à Tamba. Donc, il se rapprocha du gouverneur de Louga, Ibrahima Malamine Tandiang, afin qu’il l’amène à Tamba lors de ses déplacements. ‘’Ce dernier venait passer le mois de ramadan à Dakar pour assister aux conférences religieuses qui se tenaient à l’aéroport Léopold Sédar Senghor. Il avait prévu de passer deux ou trois semaines à Dakar avant de continuer sur Tamba. Donc, je lui ai dit que cela m’arrangeait’’, explique-t-il. 

Pendant tout ce temps, Oustaz ignorait que la Puissance souveraine avait réglé d'avance le cours des choses et qu’il ne sera jamais à Tamba et ne deviendra guère vendeur de moutons. En effet, quand il est arrivé à Dakar dans les années 1980 avec le gouverneur, un évènement anodin marquera le début d’une autre carrière pour lui.

En effet, il s’est trouvé que la personne préposée à la traduction du Coran à la mosquée située en face du commissariat de Dieuppeul, est allé à La Mecque pour la Umrah. Il n’y avait personne pour la remplacer. Les responsables de la mosquée se sont mis à la recherche d’un interprète. Ils se sont rendus chez El Hadj Cheikh Touré. Malheureusement, ce dernier leur a fait comprendre que son état de santé ne lui permettait pas de rester assis pendant une longue durée. Et le destin a fait que son ami Oustaz Ahmeth Dame Ndiaye était sur place. C’est ainsi, qu’il leur a proposé Oustaz Alioune Sall. ‘’Ils m’ont proposé de me donner chaque jour 2 000 F CFA sur ceux que donneront les fidèles et tout montant qui se rajouterait à cette somme reviendrait à la mosquée. C’était la condition qu’ils m’ont présentée et j’ai acceptée. La première fois, je n’avais pas de livre de traduction, j’utilisais mon Coran que j’avais par-devers moi. C’est par la suite que j’ai commencé à acheter des livres pour la traduction. Donc, j’ai travaillé pour eux pendant tout le mois de ramadan’’, rapporte le prêcheur.

Pensant qu’il faisait juste ce travail pour une période bien déterminée, il continua de nourrir son ambition d’aller à Tamba pour le commerce de moutons. Il décida alors de réaliser son rêve après la fête de Korité. Car il estimait aussi que le revenu qu’il gagnait ne l’arrangeait pas. Mais lorsque le commissaire Ibrahima Diallo, qui était alors le patron du bureau des passeports, a eu écho de cette nouvelle, il s’est opposé et lui a proposé de l’aider à réaliser ses projets à Dakar. Ainsi, le commissaire de police qui était un de ses fidèles auditeurs, établit une liste des fidèles qui venaient à la mosquée écouter son interprétation du Coran. Il en a réuni environ 80 et leur a demandé ce que chacun était prêt à débourser pour lui à la fin du mois. Et personnellement, il s’est engagé à apporter sa propre contribution au-delà de ces cotisations. Il a alors demandé à leur prêcheur de leur proposer des cours de Coran à la mosquée de Dieuppeul, au lieu de se rendre à Tamba. ‘’Ce dernier fait partie, grâce à la volonté divine, des gens qui m’ont retenu à Dakar. Parmi ceux qui avaient signé cette liste, il y avait Amadou Diaw qui était à la RTS, Assoumana Badji qui travaillait à l’aéroport, Ibrahima Ndiaye à la Sicap, etc.’’, confie-t-il.

Grâce à ses prêches à la mosquée de Dieuppeul, il sera repéré par Ben Bass Diagne, ancien président-directeur général de la radio Dunya. ‘’Il m’a dit qu’il n’allait pas me demander mes diplômes. Ce dont il avait besoin, c’était juste que je passe la nuit du vendredi à la radio, en répondant aux questions des auditeurs. La condition était que si les auditeurs me critiquent, je quitte et s’ils apprécient, je reste. J’ai accepté en remettant tout entre les mains de Dieu ’’, dit-il.

Le bon Dieu a été de son côté et grâce à sa maitrise du Coran, à son art de capter l’attention de son auditoire, de le séduire, il fut retenu. Il travailla pour Ben Bass entre 1997 et 1999, année où Cheikh Chérifou Khalifa est venu au Sénégal. A cette période, Sud Fm avait un problème avec leurs Oustaz et les avait tous libérés. Il fut appelé, car ayant séduit les responsables de cette radio, lors de son passage à une de leurs émissions. Il démarra une nouvelle collaboration avec Sud Fm le 22 juillet 1999 où, jusqu’à présent, sa douce voix apaise le cœur des auditeurs chaque matin, après la prière de Fadjr (aube).

Un homme disponible et sociable avec ses collaborateurs

Oustaz Alioune Sall intervient également à la télévision nationale RTS, notamment durant le mois de ramadan, et les médias font généralement appel à lui pour parler des faits de société en rapport avec la religion. ‘’C’est une personne sociable qui considère tous ses collaborateurs comme ses égaux. Il est très disponible à parler, quand il s’agit d’une question qui touche la société. Quand on l’appelle, il se déplace ou téléphone pour répondre et éclairer l’opinion. Il a l’habitude de dire qu’on doit reconstruire la société. Il y joue un rôle important. Il est présent à chaque fois que quelqu’un de ses collègues à une cérémonie familiale’’, témoigne un de ses collaborateurs, Moussa Thiam, par ailleurs journaliste à Sud Fm.

D’après lui, sur le terrain, ils entendent souvent les gens dirent ‘’beaucoup de bien de lui’’. ‘’Sans le savoir peut-être, il a aidé beaucoup de gens à prendre conscience de l’importance des enseignements religieux et à appliquer ce que l’islam leur conseille. On croise des personnes qui nous demandent de lui transmettre leurs remerciements’’, ajoute-t-il.

Si l’homme arrive à capter et même faire passer des leçons, c’est parce qu’il a une façon particulière de prêcher. Pour paraphraser le poète latin Horace, disons qu’Oustaz Sall corrige les mœurs par le rire. ‘’Le rire est thérapeutique. C’est pourquoi quand j’anime mes conférences, je fais de telle sorte que les gens, même s’ils ne guérissent pas, aillent mieux grâce au rire. Ce que les gens ignorent, c’est que lorsqu’une personne est heureuse et qu’elle rit, à ce moment-là, elle retiendra tout mot qu’on lui dira. Mais quand on fait pleurer quelqu’un, il ne retiendra rien de ce qu’on lui raconte et donc, ces paroles n’auront aucun effet sur lui’’, fait-il comprendre.

Très jovial, Oustaz ne se fâche que deux jours dans l’année. Il s’agit du 24 et du 31 décembre. Parce que ce qui se passe lors de ces fêtes l’énerve.

Si le prêcheur est aussi proche de la société sénégalaise, on peut admettre quelque part que cela est dû au fait qu’il a tout appris et tout fait ici. Il a été témoin de sa transformation et de tous les événements religieux et sociaux. ‘’Je ne considère pas cela comme une chance. Parce qu’on voit parfois des gens qui vont à l’étranger pour étudier et en reviennent métamorphosés. Dieu a dit dans le Coran : ‘N’apprenez pas tous le même métier. Apprenez des professions différentes, mais que certains d’entre vous aillent à la quête du savoir pour qu’ils puissent enseigner leurs proches au retour.’ Malheureusement, certains partent, mais en revenant, deviennent d’autres personnes’’, regrette-t-il.

Il avait certes la possibilité d’aller à l’étranger y étudier, mais il ne voulait pas, au retour, ‘’être arabisé’’ ou ‘’francisé’’ au point qu’il ne puisse pas vivre avec ses proches, les guides religieux sénégalais ou ne parle que ‘’le français et ne porte que des costumes et cravates’’. ‘’Dieu m’a épargné de tout ceci en me permettant de rester dans mon pays pour acquérir du savoir. Ce qui m’a aidé à connaitre un peu le pays. J’ai fait des recherches par rapport aux enseignements de nos religieux. J’ai eu à les côtoyer et j’essaie de tenir le même discours qu’eux’’, partage-t-il. Cependant, il a voyagé à travers le monde. Il a été en France, en Espagne, au Portugal, en Italie plusieurs fois. J’ai fait escale en Mauritanie et au Maroc, en Gambie.

Sa relation avec les différentes familles religieuses du pays et sa bonne compréhension des paroles divines ont fait de lui un prédicateur ‘’neutre’’. Le Coran n’appartenant à aucune famille religieuse, de même que les Hadiths du Prophète (PSL), il souligne que les prêcheurs le rappellent souvent alors qu’ils ne l’appliquent pas. ‘’Nous devons suivre l’exemple du Prophète (PSL). Quand on interprète le Coran, nous devons faire de telle sorte que le tidjane, le mouride, le khadre, le layenne, l’ibadou, le sunnite s’y retrouvent. De même que les enfants, les ménagères, bref, toutes les couches de la société. C’est ainsi que nous devons faire les choses. Et c’est ce que recommande d’ailleurs le Prophète (PSL)’’, dit-il.

Oustaz Alioune Sall est également connu pour son discours taquin à l’endroit des hommes monogames. Polygame, il milite toujours pour que les hommes épousent 4 femmes, s’ils en ont la possibilité. Ancien membre du Conseil économique, social et environnemental (Cese), il a conduit les pèlerins à La Mecque pendant 18 ou 19 ans, aux côtés de l’association Fissabilillah des douanes. Pour participer à l’expansion de l’enseignement coranique au Sénégal, il a créé une association appelée Ali Imran avec 4 ‘’daaras’’ déjà fonctionnels, d’autres en chantier. Celle qui est à Daara Thioub est la plus grande, l’une est implantée à la Cité ouvrière de Thiès, l’autre à Mboro, au quartier Darou Khoudoss, et une autre à Thialé, son village natal. 

MARIAMA DIEME

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