Tribun à venir
Pas facile d’évacuer la question de l’héritage. Un reproche récurrent qu’il réussit à faire ''oublier''. Mais surtout un motif de fierté à ne surtout pas renier car son engagement et son éducation politiques se sont faits à côté du père, Cheikh Abdoulaye Dièye. Une ''relation quasi fusionnelle'', confie-t-il.
Dans son bureau situé au siège de son parti niché dans le quartier de Bopp, cet homme de 47 ans totalise 20 années de pratique et d’expérience sur le terrain politique. Enchaînant les interviews avec l’aisance d’un candidat bien rodé, il rappelle une triple participation à toutes les élections (locales, législatives et présidentielle). Comme pour se démarquer des tares de la jeunesse en terme ''d’impulsivité, d’instabilité et d’inexpérience''.
Son parcours politique se confond avec l’histoire de son parti. Lorsque son père crée en 1990 l’association ''Front Sauwé Sa Dëk'' (Front pour Sauver Sa Ville), en vue de développer sa ville natale de Saint-Louis, Cheikh Bamba Dièye revient fraîchement d’Alger, diplôme d’ingénieur des travaux publics en poche. La formation, écartée des joutes locales parce que les candidatures indépendantes n’étaient pas autorisées, a dû être transformée six ans plus tard en parti, reconnu officiellement le 9 avril 1996. Pour ensuite descendre dans l’arène politique, gagner un siège au Conseil municipal puis à l’Assemblée, intégrer une coalition et gagner le vote des conseillers municipaux après d’autres élections locales gagnées sous le label ''Benno''.
«Doomu Ndar»
En devenant, en 2009, maire de sa ville natale de Saint-Louis, la revanche est prise. Diriger sa ville natale, comme Cheikh Abdoulaye Dièye en avait rêvé, en ardent ''doomu ndar'' (fils de Saint-Louis). Mais la comparaison s’arrête là. Lui, il veut plus que cela : devenir président de la République. Il y travaille, s’y consacre et possède une détermination qu’il puise sans doute de son enfance. Petit ''quand je me levais le matin, je me fixais un objectif et je me disais : je vais me comporter de telle sorte que, au soir, aucun adulte ne pourra me reprocher quelque chose'', se souvient ce disciple de Cheikh Ahmadou Bamba.
L’accident de voiture tragique qui a coûté la vie, le 27 mars 2002, à Cheikh Abdoulaye Dièye et dont il est sorti pratiquement indemne - il était lui aussi dans le véhicule ainsi que d’autres membres de la famille - n’a pas laissé de séquelles visibles. Mais le deuil passé et le traumatisme surmonté, l’avenir du parti, héritage du père, a failli être menacé. Trois mois après le drame, le 9 juin 2002, à l’issue d’une assemblée générale démocratique, le fils, père fondateur, militant, chauffeur, colleur d’affiches, garde du corps, porte-parole, conseiller et élu local devient secrétaire général du FSD/BJ.
Cette transition faite, il poursuit le combat et imprime son style à une formation rendue plus fédératrice et qu’il a su moderniser et rajeunir, abandonnant le slogan paternel ''Allahou Wahidoune'' (Dieu est Unique) à consonance islamique.
Le culte de la liberté
Sa rupture avec la coalition Benno Siggil Senegaal dont il revendique la paternité du nom est désormais consommée. L’unité prônée s’est brisée sur l’autel des clivages partisans et, dépité par le choix opéré au profit ''des candidatures d’expérience, d’argent, de grandes formations politiques...'', il a préféré ''prendre ses responsabilités''. Mais sa popularité est loin de correspondre à son poids électoral. Aux législatives de 1998, le parti avait obtenu un siège à l’Assemblée nationale. En 2000, son père avait réussi à attirer 1% de l’électorat. L’année suivante, le parti recueille 0,42%, soit 7 923 voix et parvient à en obtenir 10 000 de plus en 2007, soit 17 233 représentant 0,50%.
Acteur de l’Alternance et anciennement membre de la Cap 21 (Coalition de partis qui soutiennent le Président Abdoulaye Wade) jusqu’en 2006, après la politique de la ''main dans la main'', il mène à présent celle des poings fermés et sait donner des coups avec des formules chocs distillées grâce à ses talents d’orateur, autre héritage familial. ''Dans la famille, c’est de tradition, on pratique un concours de ''wolof ndiaye''. Avant, c’était avec ses frères et sœurs, au nombre de 11. A présent, le jeu continue avec ses trois filles et son garçon. L’homme est pourtant un timide qui se soigne. ''Le feu politique qui bout en moi est supérieur à ma timidité''.
De la langue de Kocc Barma comme de la langue de Molière, il en fait bon usage, en bon amateur de littérature qui s’essaie parfois à l’écriture de la poésie, en français et en wolof. Prenant soin de son discours comme de sa mise, cet homme de taille moyenne, mince, à l’allure énergique, cultive un style vestimentaire qui épouse les tendances de son époque sans tomber dans l’extravagance ou les fautes de goût. Côté nouvelles technologies, il est sur Facebook, et avoue avoir conservé le même numéro de téléphone, que ce soit pour le Président, un ministre ou un simple citoyen.
Monogame issu d’une famille polygame, Cheikh Bamba Dièye assure vouloir faire montre, envers ses enfants, du même esprit démocratique et de la même qualité de la pratique politique dont il a bénéficié avec son père. En espérant qu’ils sauront faire les bons choix.
Cette exigence qui semble mener sa vie, il ne l’applique pourtant pas à ses goûts culinaires. Il mange de tout et, un brin ascète, se contente souvent d’un seul repas par jour, pour un homme qui confie savoir cuisiner aussi bien que n’importe quelle dame. ''Une partie de ma vie m’a éduqué dans un style où celui qui est libre, c’est celui qui n’est pas dépendant de quoi que ce soit ou de qui que ce soit''. Une autodiscipline qu’il tient de ses années au daara.
Évoquant son coup d’éclat médiatique lors de son enchaînement sur les grilles de l’Assemblée nationale, il consent la préméditation d’une action dont il a eu l’inspiration le matin même. A la ''bourse des valeurs politiques'', sa cote est encore montée en flèche, ce jour-là.
Karo DIAGNE-NDAW