Drôle de scènes, théâtre de survie
C'est comme s'il est né pour être comédien. Le seul métier qui a réussi à Lamine Ndiaye après en avoir tâté plein d'autres. Itinéraire d'un dandy, pensionnaire de Daaray Kocc, fils unique et orphelin qui s'est assumé seul.
Il a tant fait rire des générations de spectateurs qu'on le croirait inusable. Car en dépit des vicissitudes que traverse la troupe Daaray Kocc du Théâtre national Daniel Sorano, le comédien Lamine Ndiaye tient encore son rôle. Ses divers rôles. Mouhamadou Diarra, de son vrai nom, a signé ses débuts dans le théâtre un peu avant le début des années 1970. Il a fait ses armes comiques à la Maison des jeunes de l'époque dans le populeux quartier de la Médina. Il y côtoie des étudiants et d'anciens pensionnaires de l'École nationale des arts qui avaient monté une troupe. Ne se contentant pas de ce qu'il apprend dans les échanges avec les étudiants, Mouhamadou Diarra s'achète des livres de théâtre pour se parfaire. Et acquiert de fil en aiguille ses lettres de noblesse dans le quatrième art.
Les Sénégalais le découvrent sur le petit écran dans le téléfilm ''La collégienne'' comme un dandy sans scrupules, qui exploite une jeune fille sans défense, qu'il déflore et engrosse avant de le jeter dans la rue sans un sou. Dans une autre pièce théâtrale de Daaray Kocc, il est découvert aux côtés de la talentueuse Awa Sène Sarr et de la démonstrative Joséphine Zambo. Lamine Ndiaye y tient le rôle d'un homme aux gestes efféminés. Mieux, il a fait l'homme portant une grossesse dans une autre production. Un parti pris osé, tant les mentalités sont machisme indécrottable. Lamine Ndiaye lui n'en a cure, et enfile sans fioriture ces casquettes. Au point même de faire douter, par moments, les téléspectateurs sur son orientation sexuelle. C'est le revers du métier quand les gens ne font pas la part du ''je'' et jeu. Car Mouhamadou Diarra est un autre hors champ de la caméra.
Senghor, Wade et Mao...
Âgé aujourd'hui de 63 ans, dont quarante d'expérience dans le milieu théâtral, Lamine Ndiaye le clame haut et fort : ''Le théâtre me fait vivre''. Mais le natif de la Médina n'est pas que comédien. Il est aussi acteur et s'est illustré dans différents films. Dans sa quête de voie, il a aussi été commercial, secrétaire et même courtier. Des ''coups'' tentés quand il s'est amusé à ''jouer'' au rebelle avant la grève de 1968. Membre d'un groupe dénommé ''Lat-Dior'', Mouhamadou Diarra était fan de Mao Zedong et, à l'instar de beaucoup de jeunes de sa génération, croyait fort aux idéaux du Grand Timonier. ''On était très imbus des valeurs maoïstes. On était très rebelles'', se souvient-il.
Ses amis et lui ont ainsi essayé de tenir tête au premier Président Léopold Sédar Senghor, en un temps où le communisme se vivait en clandestin. Les séditieux se sont mis à taguer, sur les murs de la capitale, des messages dénonçant le monopartisme qu'imposait Senghor. ''On s'était fait la voix de la masse populaire. On portait leurs réclamations auprès de l'autorité en écrivant des messages sur les murs. Ce n’était pas des messages tendres mais des dénonciations légitimes'', se convainc-t-il encore. Mais ce n'était pas un jeu pour le régime senghorien qui sévit. Lamine Ndiaye et ses amis sont cueillis par la police lancée à leurs trousses. Et l'anecdote amuse : ''Abdoulaye Wade était à l'époque l'avocat du gouvernement et avait requis dix ans de prison ferme.'' Mais celui qui deviendra bien plus tard le lointain successeur de Senghor ne sera pas suivi par le juge qui libère Lamine et Cie. Fin de la récré.
''Je priais pour partir avec mes parents''
Revenu à la réalité, Lamine traverse une mauvaise passe. Il perd deux êtres chers : ''J'ai perdu mon père en 1967, et ma mère dix ans plus tôt'', fait-il savoir sur un ton de tristesse. Fils unique, l'orphelin se forge seul : ''Il n'y avait personne avec moi. Je priais pour partir avec mes parents, plus rien ne m'intéressait'', révèle-t-il. Le jeune Diarra abandonne le chemin de l'école au moment de faire la classe de Terminale. Mais la comédie lui redonne goût à la vie : ''Je dois tout au théâtre, il m'a tout appris. Le théâtre ma donné des valeurs intrinsèques d'homme. Ça m'a aidé à maîtriser ma pensée, ma parole et à m'inspirer de la règle des trois P : pensée, parole et plastique. C'est assez technique, je ne peux vous expliquer'', dit-il. Avant d'ajouter, ferme : ''Je veux mourir comédien.''
Lamine Ndiaye ne mourrait donc pas chanteur. Il a poussé de la chansonnette avec le Sorouba de Louga, dont il était le lead vocal pendant quatre ans. L'expérience tourne court à cause de problèmes familiaux qui le ramènent à Dakar. Puis retour à son milieu, comme qui dirait naturel, avec son idole Abdoulaye Seck. ''J'ai beaucoup de respect pour ce vieux. Mon plus grand souhait est de le voir être honoré aujourd'hui. Il le mérite'', plaide le Médinois.
Vu par certains comme un dandy qui aime la sape, il se défend. ''Je suis né à la Médina et originaire de Saint-Louis. Ma grâce, je la dois à mes origines'', avance-t-il. Ses origines lui vaudraient aussi allure fière et altière en dépit de sa taille moyenne doublé d'un embonpoint de viveur. Si certains le prennent pour un naïf, c'est que Lamine Ndiaye est très serviable d'après des collègues et proches. ''Il faut revoir la situation des artistes, je suis pour leur promotion dans les structures. Je déteste foncièrement voir un artiste quémander'', lance celui qui ne souhaite pas que l'on organise une quête en sa faveur au crépuscule de sa vie. Ce n'est pas dans son rôle.
BIGUÉ BOB
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