Bola Tinubu succède à Muhammadu Buhar
Le président sortant de la première puissance africaine évite le piège d’un troisième mandat.
D’un coup d’État en 1983, à une élection démocratique en 2015, le président nigérian cède la place à son successeur, à la suite de la publication des résultats officiels de l’élection présidentielle du 25 février 2023. Bola Tinubu, candidat de l'APC, le parti au pouvoir au Nigeria, va succéder à Muhammadu Buhari, après le décompte final de la Commission électorale nationale (Inec) publié hier. Une leçon démocratique que l’ex-chef d’État promettait à la tribune des Nations Unies, en septembre dernier, lorsqu’il affirmait qu’en tant que président, ‘’je me suis fixé comme objectif que l’un des héritages durables que j’aimerais laisser est d’ancrer un processus d’élections libres, équitables, transparentes et crédibles grâce auquel les Nigérians font leur choix’’.
Des discours, l’ex-leader du pays le plus peuplé d’Afrique est passé aux actes. Muhammadu Buhari n’a pas cédé à la tentation d’une troisième candidature, répétant à plusieurs reprises que la Constitution du Nigeria le lui interdisait. En septembre 2020 déjà, le président nigérian d’alors sermonnait ses homologues ouest-africains (Côte d’Ivoire, Guinée) qui annonçaient une troisième candidature. Lors du Sommet la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) qui s'est tenu à Niamey, la capitale du Niger, le président Buhari soutenait : "Il est important qu'en tant que dirigeants de nos différents États membres de la CEDEAO, nous respections les dispositions constitutionnelles de nos pays, notamment en ce qui concerne la limitation des mandats. C'est un domaine qui génère des crises et des tensions politiques dans notre sous-région."
Les félicitations de la CEDEAO
Le président Nigérian s’évite ainsi, et à son pays, une crise pré et post-électorale à l’image de celles qu’ont connu ses deux voisins, avec des fortunes diverses pour les présidents Alassane Ouattara et Alpha Condé. Il promeut surtout une transition démocratique qui voit Bola Tinubu prendre les rênes du pays. Il a reçu hier les félicitations de la CEDEAO par le biais de son président en exercice, le président de la Guinée-Bissau Umaro Sissoco Embaló. ‘’Nous avons accueilli avec une grande joie et un espoir cette grande victoire de la démocratie’’.
Si le vote s'est globalement déroulé dans le calme, quelques incidents sécuritaires et des couacs logistiques ont provoqué des retards dans le décompte qui a pris trois jours, attisant les craintes de manipulation des votes.
D’ailleurs, les deux principaux partis d’opposition, PDP et LP, sans attendre l’intégralité des résultats, ont conjointement demandé l’annulation du scrutin, dénonçant des fraudes et des manipulations des chiffres à grande échelle.
Dans un communiqué, l'Inec reconnaissait, lundi, des "problèmes techniques" liés à l'utilisation de nouvelles technologies de collecte et de centralisation des résultats de quelque 176 000 bureaux de vote pour la première fois dans une élection nationale. Elle a toutefois assuré que "ces résultats sont en sécurité (...) et ne peuvent pas être falsifiés".
Néanmoins, la CEDEAO, qui avait exprimé mardi sa préoccupation au sujet de tensions grandissantes, a demandé à toutes les parties de promouvoir la paix et d’user des moyens constitutionnels pour contester le scrutin.
5e président démocratiquement élu du Nigeria
Asiwaju Bola Ahmed Tinubu, de son nom complet, a obtenu 8,8 millions de voix, devançant ses principaux rivaux Atiku Abubakar du PDP (6,9 millions de voix) et Peter Obi du Parti travailliste (6,1 millions de voix), selon une compilation des suffrages État par État. Il a été élu avec 36 % des voix sur l’ensemble des suffrages exprimés, dont 25 % des voix dans au moins deux tiers des 36 États de la fédération, ainsi que le territoire de la capitale Abuja, comme le veut la loi électorale. Avec un taux de participation très bas (seules 25 millions de personnes ont voté sur 85 millions d’inscrits), il remporte l'une des élections les plus disputées de l'histoire du pays.
Surnommé "Le Parrain" à cause de son immense influence politique, le richissime Bola Tinubu (70 ans) n’est pas un inconnu de la scène politique. D’ailleurs, son apport à la candidature de Buhari en 2015 a beaucoup participé à la victoire de ce dernier, selon des analystes politiques du Nigeria. D’où son slogan de campagne ‘’E Mi Lon Kan’’ (c'est mon tour, en yoruba). Il a également reçu le soutien du président sortant.
Ancien gouverneur de l’État de Lagos (1999-2007), le plus riche de la fédération du Nigeria, plus riche que la grande majorité des pays africains, Tinubu y connaît un développement économique prospère, malgré des accusations de corruption. Une réussite qu’il a promis d’étendre à tout le pays, avant de bénéficier de la confiance de ses compatriotes. Musulman marié à une chrétienne, il s’est tout de même gardé de se porter garant du bilan de président sortant. Les gigantesques pénuries d'essence dans un pays premier producteur de pétrole sur le continent et de billets de banque ont alimenté un ressentiment contre le parti au pouvoir.
Tinubu se démarque du bilan de Buhari
Lors de son accession au pouvoir, Muhammadu Buhari avait fait de la sécurisation du pays et de la reconquête de l’ensemble du territoire national un grand objectif. À son départ, la bataille pour la sécurité est loin d’être gagnée. Si le mouvement terroriste Boko Haram a reculé, le terrain du nord-est du pays est désormais occupé par un autre groupe djihadiste. Le Nord-Ouest et le Centre sont en proie à des attaques de gangs criminels. De plus, la corruption est toujours pointée du doigt.
Malgré sa victoire au premier tour, le président Tinubu fera face à une opposition forte, Atiku Abubakar du PDP et Peter Obi (61 ans) du Parti travailliste ayant fait de très beaux scores. Ce dernier, candidat des jeunes, a battu le président élu dans son fief, dans l’État de Lagos. Aussi, l’état de santé du nouveau président et son âge assez avancé inquiètent beaucoup de Nigérians, vu les soucis de santé du président sortant et ses innombrables voyages pour se soigner en Europe.
Lamine Diouf