Des interrogations et des doutes sur cette série de libérations de détenus politiques
La vague de libération de détenus liés aux événements sociopolitiques de ces dernières années est au cœur de nombreuses interrogations sur la nature de ces élargissements qualifiés par la ministre Aïssata Tall Sall de liberté provisoire. Une mesure qui entre dans le cadre du processus d’apaisement prôné par Macky Sall.
Le processus de libération des détenus dits politiques suit son cours. En effet, aux dires de la garde des Sceaux, ministre de la Justice, près de 272 prisonniers incarcérés depuis les émeutes de mars 2021 et de juin 2023 sont en attente d’être libérés, a-t-elle fait savoir hier en conférence de presse.
Selon Aïssata Tall Sall, près de 344 prisonniers détenus à la suite de ces événements ont déjà bénéficié d’une liberté provisoire, pour la seule région de Dakar. D’autres libérations devraient aussi suivre dans les autres centres de détention du pays, notamment à Thiès, Ziguinchor, Louga et Mbour.
Cette déclaration est loin d’éteindre la polémique concernant ces libérations massives de détenus qui ont pris part aux émeutes de juin 2023. Alors que toute la communication gouvernementale était axée sur la présence de ‘’forces occultes’’ et de ‘’forces spéciales’’, dont le but manifeste était de remettre en cause la bonne marche de l’État et des institutions de la République.
Cette vague de libérations a plus que tardé. ‘’De notre avis, il ne devrait pas y avoir d’incarcération pour des délits d’opinion politique. En outre, cette libération vient mettre à nu l’opération de diabolisation contre ces détenus qualifiés à l’époque de ’terroristes’, de ’forces spéciales’ ou de ’forces occultes’ et qui sont maintenant libres’’, affirme Lucie Sané, coordonnatrice des familles des détenus politiques.
Mais selon la ministre de la Justice, chaque cas de détention a été examiné minutieusement par les autorités judiciaires, en conformité avec le Code pénal sénégalais, a-t-elle précisé. L’ancienne responsable socialiste s’est défendue que les libérations ne sont pas le fruit de pressions politiques, mais plutôt le résultat d’une analyse approfondie de la situation pénale de chaque détenu.
Selon plusieurs témoignages sur les réseaux sociaux, la plupart des détenus libérés apparaissent comme de jeunes manifestants et disent être victimes de rafles des forces de défense et de sécurité lors des événements de mars 2021 et de juin 2023.
Polémique autour des procédures de libération
Ces libérations massives ont déclenché une guéguerre dans le petit monde de la justice.
En effet, certains juristes consultés par nos soins s’étonnent de la libération de ces détenus incarcérés depuis plusieurs mois, voire des années sans avoir été entendus sur le fond. Normalement, renseignent-ils, le principe de la liberté provisoire se décline pour un suspect juste après avoir été entendu sur le fond par un juge d’instruction.
Par contre, d’autres spécialistes du droit soutiennent que c’est sur la base de réquisitions aux fins de mise en liberté provisoire d’office initiées par le parquet sur instruction de l’autorité. ‘’C’est tout à fait légal’’, se défendent nos interlocuteurs dans l'édition d’’’EnQuête’’ du 19 février 2024 qui ajoutent : ‘’Vous savez, un avocat peut demander pour son client une liberté provisoire. Dans ce cas, si le procureur n’est pas d’accord, il ne va pas sortir. En l’occurrence, c’est le parquet qui a requis les mises en liberté d’office. Les réquisitions ont été transmises aux juges d’instruction qui ont toute leur liberté de décision. S’ils ne sont pas d’accord, les personnes ne vont pas être mises en liberté.’’
Certaines demandes ont d’ailleurs été rejetées, selon des sources judiciaires, peut-on lire dans le même texte.
Toujours selon Lucie Sané, cette situation doit servir de base pour de plus larges élargissements de détenus dits “politiques” dont le seul tort est de vouloir défendre leurs opinions politiques. Poursuivant son propos, elle indique ne pas détenir le nombre exact de détenus politiques qui pourrait atteindre les 1 500 prisonniers dans tout le pays.
Sur ce, elle lance un appel au chef de l’État pour qu’il répare cette injustice et permette à ces jeunes citoyens de rejoindre leur foyer le plus vite possible.
Cette volonté de libérer des manifestants, selon certains analystes, doit être le préambule à la possible libération de Bassirou Diomaye Faye et Ousmane Sonko pressentis pour participer au dialogue politique que tente d’initier le chef de l’État à la suite du report de la Présidentielle.