Des étals de fruits aux rayons de livres
Né le 7 janvier 1976 à Dakar, le patron de la maison d’édition l’Harmattan Sénégal, le Dr. Abdoulaye Diallo, ne se plaint pas. Pour dire vrai, il est même un homme heureux. Lui, le fils d'un commerçant fruitier du Plateau, historien de formation, est en train de réaliser son rêve.
Devenir écrivain et éditeur... Un chemin qui n’a pas été sans embûches mais dont la finalité, selon lui, est de recueillir les «mémoires individuelles et collectives» qui serviront à écrire la véritable histoire nationale du Sénégal.
Clair de peau de par son héritage guinéen, dont il se dit fier du reste, Abdoulaye Diallo est un enfant du Plateau, là où il fit ses études primaires à l'école Ibrahima Diop (ex Clemenceau), puis secondaires au lycée Lamine Guèye. «J’ai toujours été soit premier, soit deuxième de ma classe», lance-t-il, l’air de rien… En effet, élève studieux devant l’éternel, le patron de L’harmattan Sénégal, explique cette excellence académique par les «bonnes conditions» de travail dans lesquelles ses parents, et particulièrement son père l’ont très tôt mis. Aujourd'hui encore, il dit en être encore marqué. «Mon père n’est jamais allé à l’école et pourtant il attachait une importance capitale à l’éducation, autant française que coranique. Il est mon modèle, dans la vie, dit-il. C'est lui qui a su m’inculquer des valeurs positives comme le travail, l’éthique, la morale, la fidélité en amitié et, surtout, la modestie.»
En dépit d'un parcours brillant, le Dr. Diallo n'a pu se présenter, une première fois, au Baccalauréat du fait du décès de son père. Il avait alors tout juste 17 ans et passera deux ans à manager le business familial, entre vente de fruits en gros et vente au détail, au marché Kermel, où la famille Diallo possède un étal. «Je me souviens que les clients toubabs que j’avais s’étonnaient toujours de me voir un livre à la main… Je lisais surtout des classiques africains à cette époque», raconte-t-il, un sourire nostalgique aux lèvres.
Candidat libre au bac en Première
Il n’empêche, le destin a voulu qu’il poursuive ses études. Bien qu’ayant seulement le niveau de la classe de Première, il s’inscrit deux ans plus en candidat libre au baccalauréat littéraire et le décroche, en 1997, en tant que major de sa promotion. Diplôme en poche, il s’inscrit alors au département d’Histoire de l’Université Cheikh Anta Diop, où il valide toutes ses années académiques à la session de juin. Perfectionniste, le futur Dr. Diallo n’est néanmoins pas tout à fait satisfait de la qualité de son cursus. Par exemple, la bibliothèque du département à laquelle il a accès et dont il se sert pour ses recherches, il la trouve «trop pauvre» en documentation, les quelques tomes disponibles étant inusités. Le déclic sera pour plus tard.
«Un jour, en deuxième année, un professeur étranger est venu nous dispenser un cours et je me suis rendu compte qu’il a remis en cause tous nos acquis grâce à des résultats de recherche qui se sont révélés avérés. Quand j’ai soulevé ce point, l’enseignant m’a fait comprendre que cette différence était due au fait que nous travaillons, au Sénégal, avec des documents qui étaient tellement vieux qu’ils n’étaient plus utilisés en France depuis plus de dix ans», raconte Abdoulaye Diallo. Ce même soir, il décide qu'il irait poursuivre ses études en France, malgré une réticence initiale à cette idée. Dans ce pays, il restera de 2001 à 2009, soit 8 ans.
Petits boulots
Au pays de Marianne, il dit ne pas avoir souffert outre mesure pendant ses années de vie estudiantine. «Une succession de petits boulots m'a aidé à avoir une certaine indépendance», souligne-t-il. Ces petits boulots, ce sont : faire le ménage dans une salle de cinéma, manutentionnaire, chargé de clientèle, en plus d’un passage éclair dans la restauration. Une vie relativement tranquille qui, cependant, lui a ouvert les yeux sur les conditions déplorables dans lesquelles végétaient certains de ses compatriotes étudiants sénégalais… Une expérience qui est d'ailleurs à la base de son ouvrage «Les diplômes de la galère - De l'Afrique à la jungle française» (L’Harmattan, 2008). Un temps en France qui lui permet tout de même de franchir des étapes : mariage à 24 ans, Licence, DEA puis Doctorat en Histoire... avant de postuler pour un stage aux éditions l'Harmattan à Paris.
Cette fulgurance peut sembler surprenant, mais ne l’est pas en réalité. Pour le Dr. Diallo, l’édition est une continuité du métier d’historien. «En 2008, je suis allé voir le directeur de l’Harmattan à Paris et je lui ai parlé de mon envie de me former à l’édition parce que, pour moi, cette dernière et l’histoire, mon domaine de formation, se complétaient. Ce sont, réellement, les deux faces d’une même pièce», dit-il.
Complexe culturel
Stagiaire dans un premier temps, il est embauché au département africain de ladite maison d’édition. Mais loin de vouloir s’établir en France, il revient au Sénégal, en 2009, pour fonder sa propre maison d’édition grâce à l’expérience alors capitalisée. Le nom de l’Harmattan, il l’obtient via un partenariat de franchise auprès de son ancien employeur, estimant que le rayonnement de ce dernier peut lui servir. «Au lieu de créer une maison d’édition ex-nihilo, avec un nom à construire, je me suis dit qu’il était plus intelligent de profiter du label de l’Harmattan, qui est la première maison d’édition francophone au monde», explique-t-il à EnQuête.
Aujourd’hui, l’Harmattan Sénégal gère près de 200 titres, avec un catalogue qui est sorti du carcan purement académique pour s’ouvrir au roman, aux mémoires, à la poésie, à la biographie. Le challenge est clair : faire revenir le livre au Sénégal, avec ses lettres de noblesse… Le développement est en projet. A court terme, le siège de l’Harmattan Sénégal sera transféré sur la VDN. «On veut ouvrir non seulement une maison d’édition mais aussi une librairie et un café littéraire. Ce complexe culturel a pour vocation d’être le centre de la vie littéraire de Dakar, si Dieu le veut», conclut, Abdoulaye Diallo, en toute modestie.
SOPHIANE BENGELOUN
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