Publié le 19 Apr 2018 - 13:15
PROJET DE REVISION DE LA CONSTITUTION

Les limites techniques de la loi Ismaïla Madior Fall

 

Pour l’élection présidentielle à venir, il y aura deux filtres : la caution d’une part, le parrainage de l’autre. Du moins, si la volonté de la majorité de modifier la Constitution, aujourd’hui, aboutit. Au-delà de la bataille politique, des spécialistes du droit analysent, pour ‘’EnQuête’’, les aspects techniques de la loi relative au système de parrainage.

 

La guerre fait rage entre pro et anti parrainage. En attendant la bataille politique aujourd’hui à la place Soweto, celle des idées ne s’estompe toujours pas. Loin de la polémique politique-politicienne, l’ancien inspecteur du Trésor, Mamadou Abdoulaye Sow, se cramponne, lui, sur les aspects techniques qui doivent accompagner le vote de la loi.

D’abord, il faut souligner, comme le rappelle l’inspecteur dans sa contribution, que tout ne sera pas réglé aujourd’hui à l’Assemblée nationale. C’est, en effet, la première manche qui se joue à l’Hémicycle. Il s’agit de la partie ‘’révision de la Constitution’’. Celle relative au Code électoral va suivre dans les jours à venir. Un député, sous le couvert de l’anonymat, de nous apprendre que dans le projet de révision constitutionnelle, il est bien prévu le taux exigé ainsi que les grands axes de la loi sur le parrainage. ‘’Mais rien n’est encore joué, atténue-t-il, Certes, le projet a été adopté en commission, mais des amendements peuvent y être apportés en séance plénière. Pour ce qui est du taux, c’est pour le respect du principe de parallélisme des formes. Dans la loi en vigueur, le nombre de parrains est fixé par la Constitution. On ne peut donc le modifier par une loi autre que constitutionnelle. Toutefois, les modalités du contrôle ainsi que l’organe habilité à en assurer la mise en œuvre seront fixés dans le cadre du Code électoral’’.

Mamadou Abdoulaye Sow décrie, pour sa part, les insuffisances notées dans l’exposé des motifs de la loi. Il explique : ‘’Il ne donne pas des développements précis sur les dispositions substantielles qui justifient les conditions de parrainage. A noter que la terminologie employée dans le projet de texte est partagée entre parrainage et signature. En mettant en place un filtre juridique par voie de parrainage, a-t-on évalué les nombreux problèmes qui ne manqueront pas de surgir ?’’.

 Ce n’est pas tout, l’ancien ministre délégué chargé du Budget déplore également des carences sur les moyens mis en œuvre pour le contrôle et l’authentification des signatures. A ce propos, il liste une multitude de questions. A partir de quelle date les formulaires de signatures devront être distribués ? Quel délai leur sera imparti pour aller chercher des signatures ?...

Ainsi, point par point, M. Sow décrypte les projets de révision de la Constitution et du Code électoral. Il corrige les imperfections et propose des solutions pour quelques lacunes.

Autres carences de la loi

En sus de ces manquements, Alioune Souaré, ancien député, a également déchiré la ‘’loi de Macky Sall’’. Il déclare : ‘’Avec le parrainage, il y aura un double verrou qui ne s’expliquerait pas. Dans toutes les démocraties, il y a soit la caution, soit le parrainage, mais pas les deux à la fois. La caution est largement suffisante pour éviter les candidatures fantaisistes. Il ne faut pas oublier qu’elle est à 65 millions de francs Cfa. Et on la perd si on ne parvient pas à obtenir 5 % des suffrages exprimés’’.

Aussi, à en croire l’ancien parlementaire de Rufisque, on ne saurait avoir deux dispositions constitutionnelles pour une même motivation. Il estime que le parrainage pour les indépendants obéit à d’autres exigences liées à la nécessité pour les potentiels chefs de l’Etat de justifier d’une présence sur l’ensemble du territoire et sans aucune forme d’exclusion. ‘’Les candidats indépendants sont des individus qui veulent devenir président de la République. Pour les partis politiques, ils sont déjà présents sur l’ensemble du territoire national. C’est contradictoire de demander aux candidats une attestation d’investiture et en même temps la signature de 1 % de l’électorat. Quand on est investi par un parti politique, on est l’émanation de la volonté d’un groupe de citoyens’’.

En cela, l’ancien député rejoint le professeur de droit constitutionnel, Ndiogou Sarr, qui défendait dans nos colonnes que la loi sur le parrainage n’est pas conforme à la Constitution sénégalaise. Il affirmait que ‘’c’est la Constitution qui dit que les partis politiques contribuent librement à l’expression du suffrage. Le parti est donc une institution et sa vocation principale est de conquérir le pouvoir et de l’exercer. Si vous regardez le fonctionnement du système politique, vous vous rendrez compte que les partis occupent une place importante. C’est ce qui est prévu par la Constitution. Donc, en prévoyant ce parrainage, on veut limiter ces prérogatives accordées aux partis par notre charte fondamentale’’.

Avec une telle loi, reprend Alioune Souaré, le Sénégal risque ‘’d’être la risée du monde’’. ‘’C’est un recul sur le plan démocratique. C’est même ridicule, si elle passe. Pourquoi on met tant d’embûches sur le chemin de la présidence ? Pourquoi multiplie-t-on les obstacles pour les candidats aux élections ? Si on avait mis en place le parrainage avant, Macky Sall ne serait pas actuellement président’’. Selon lui, c’est une loi ‘’dangereuse qui viole le secret du scrutin. Il est aussi en contradiction avec les règles et principes qui gouvernent le fonctionnement des élections au Sénégal’’.

D’après l’ancien député libéral, le parrainage n’est pas le seul écueil pour l’opposition. Il y a également la caution qui doit être déposée entre les mains du frère du président. ‘’C’est contraire à l’éthique et à la morale’’, peste-t-il. Il attire enfin l’attention sur le business qui pourrait exister autour de la recherche de signatures. Il dit : ‘’Avec cette loi, on est en train d’encourager la corruption dans le domaine des élections et cela va fausser le jeu démocratique.’’

Pour sortir de cet engrenage, élucider quelques incongruités du texte, Mamadou Abdoulaye Sow propose de fixer un nombre de signatures qu’aucun candidat ne saurait dépasser. Il précise : ‘’La Constitution et la loi électorale devraient fixer le maximum de signatures que chaque candidat est autorisé à recueillir, sinon le système de parrainage risque d’être perverti dans son application par certains partis politiques et coalitions de partis politiques.’’

Cette proposition intervient dans un contexte où déjà du côté de Benno Bokk Yaakaar, le ministre de la Jeunesse a prévu d’apporter 1 million de signatures. Qu’adviendrait-il si d’autres sections de la majorité lui emboitent le pas et qu’au finish, ladite coalition s’accapare l’écrasante majorité des électeurs inscrits sur le fichier ?

En sus de cette recommandation, M. Sow requiert également la prévision de sanctions pénales pour les candidats et électeurs qui seraient tentés de donner ou de recevoir de l’argent moyennant signature. Selon lui, il est temps, également, de revoir les attributions du Conseil constitutionnel pour lui donner compétence de pouvoir statuer en matière de révision constitutionnelle. ‘’Nous estimons que la Constitution devrait être modifiée pour prévoir explicitement la compétence du Conseil constitutionnel sur les lois constitutionnelles non approuvées par référendum’’, a-t-il suggéré.

Mor Amar

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