Publié le 2 Nov 2023 - 21:01
RADIATION D’OUSMANE SONKO

Le bras de fer continue

 

Alors qu’on n’a pas fini de parler du respect de la décision rendue par le juge de Ziguinchor Sabassy Faye, l’État devra également se justifier de son refus de ne pas obtempérer aux injonctions de la Commission électorale nationale autonome (Cena).

 

La guerre fait rage entre Ousmane Sonko et l’Administration. Depuis quelque temps, cette guerre est essentiellement juridique et procédurale. Elle se joue aussi bien sur le territoire national, devant les services administratifs et les autorités judiciaires, que sur le plan international, devant notamment la Cour de justice de la CEDEAO. Et pour le moment, l’opposant semble tenir le bon bout. L’État de plus en plus dans l’embarras.

Après la décision du juge de Ziguinchor qui a déclaré illégale la radiation d’Ousmane Sonko des listes électorales, c’est à la Commission électorale nationale autonome (Cena) d’entrer dans la danse et d’enjoindre à l’Administration, en l’occurrence la Direction générale des Élections (DGE), de tirer toutes les conséquences de droit qui s’attachent à cette décision rendue par le tribunal d’instance de Ziguinchor, notamment en remettant au candidat de la coalition Sonko Président ses fiches de parrainage. Mais les services du ministère de l’Intérieur tiennent bon et s’en remettent aux textes. 

Dans sa réponse à l’organe chargé du contrôle et de la supervision des élections, la DGE se défend en rappelant que rien n’a changé dans la situation qui l’avait poussée à ne pas remettre au mandataire de Sonko ses fiches. En conséquence, elle ne saurait adopter une position contraire sans risque d’être en contradiction avec sa première position qui, de surcroit, a été confortée par une décision de la plus haute juridiction du pays.

‘’La DGE n’avait pas remis de fiches de parrainage au mandataire de monsieur Ousmane Sonko du fait que ce dernier n’était pas sur les listes électorales. Cette position a été confirmée par l’ordonnance n°23 du 6 octobre 2023 du président de la première Chambre administrative de la Cour suprême…’’, précise le document.

La DGE file implicitement la patate chaude à la Daf

Selon ce service dirigé par monsieur Thiendella Fall, en l’état actuel des choses, M. Sonko ne figure pas dans le fichier électoral. ‘’Ce défaut de présence sur le fichier ayant été le fondement de la position de la DGE, vous conviendrez que celle-ci ne peut évoluer actuellement sur cette question. Dès lors, tout autre acte serait en contradiction avec la décision de la Chambre administrative de la Cour suprême’’, informe le service, qui ajoute à l’attention du président de la Cena : ‘’Je tiens à souligner que la DGE n’a pas de compétence pour mener une quelconque action sur le fichier électoral.’’

En effet, le service chargé du fichier, c’est la Direction de l’automatisation des fichiers (Daf).

Deux enseignements principaux sont à retenir de cette lettre-réponse de la DGE. D’abord, le service argue que sa position de ne pas remettre de fiche au mandataire du candidat Sonko a été confirmée par la plus haute juridiction, en l’occurrence la Cour suprême. Ensuite, que l’argument qui lui avait servi de base légale est toujours d’actualité. Il s’agit de l’absence du maire de Ziguinchor des listes électorales.

Certains, comme l’expert Ndiaga Sylla, n’ont pas manqué de parler de dilatoire et de défiance de l’Administration. ‘’… Il est regrettable que la DGE persiste dans son refus d'exécuter l'ordonnance du juge et l'injonction de la Cena. Plus triste quand notre administration électorale joue au dilatoire dans l'espoir d'une décision de la Cour suprême qui justifierait son acte illégal. Il suffisait que le ministre de l'Intérieur, chargé des élections, commande pour que les services centraux (DGE et Daf), qui ont procédé à la radiation d'office, intègrent automatiquement l'électeur concerné’’, soutient l’expert électoral qui regrette un recul de 30 ans dans le système de gestion des élections au Sénégal.

La Cena peut se substituer à la DGE et remettre à Sonko des fiches de parrainage

Même si la critique ne manque pas de pertinence, il est à noter que la DGE, non plus, ne manque pas d’arguments dans son refus d’obtempérer.

En effet, la question qui se pose est de savoir si, en l’espèce, la position de la Cena peut prévaloir sur la décision de la Cour suprême ? Laquelle estimait que le fait de ne pas être sur le fichier électoral peut bel et bien justifier la décision de la DGE de ne pas remettre de fiches à une personne. Il faudrait donc lever cet obstacle pour changer la donne.

Sous ce rapport, il convient de noter que c’est à la Direction de l’automatisation des fichiers (Daf) qui est chargée de la gestion du fichier électoral et non la DGE. Seulement, toutes les deux sont sous l’autorité du ministère de l’Intérieur qui aurait pu prendre les dispositions pour se conformer aux recommandations de la Cena.

C’est, en tout cas, la conviction du directeur exécutif de l’ONG 3D, Moundiaye Cissé, qui rappelle les dispositions de l’article L13 du Code électoral.

Selon cette disposition, la Cena est chargée de veiller à ce que la loi électorale soit appliquée aussi bien par les autorités administratives que par les partis politiques, les candidats et les électeurs. ‘’En cas de non-respect des dispositions législatives et réglementaires relatives aux élections ou référendums par une autorité administrative, la Cena lui enjoint de prendre les mesures de correction appropriées. Si l’autorité administrative ne s’exécute pas, la Cena dispose du pouvoir de dessaisissement et de substitution d’action dans le cadre des opérations électorales et référendaires à l’égard de l’agent responsable, nonobstant son pouvoir de saisine des juridictions compétentes’’, prévoit ledit article. 

En d’autres termes, dans le cas d’espèce, la loi permet à la Cena de se substituer à la DGE et de remettre au mandataire de Sonko tous les documents et outils dont il a besoin, dans le cadre du parrainage. Il faudra au préalable mettre en demeure l’autorité.

Après avoir rappelé cette disposition, M. Cissé tient à relever quelques points de vue discordants. Certains, selon lui, estiment que les services centraux comme la Daf et la DGE ne font pas partie des autorités administratives auxquelles la Cena peut substituer, dessaisir ou sanctionner. À partir de ce moment, précise-t-il, ‘’de deux choses l’une : la Cena considère la DGE comme autorité administrative. Elle lui donne une injonction sur la base de l’article L13. Soit elle ne la considère pas comme autorité administrative. Dans ce cas, on peut comprendre l’option d’une invitation à la place d’une injonction. Si la Cena est conséquente, elle doit aller jusqu’au bout de sa logique, user de son pouvoir de dessaisissement, de substitution et même de sanction, si elle estime que la DGE et la Daf, parce qu’il n’y a pas que la DGE, sont des autorités administratives.’’

Ces développements prouvent, en tout cas, que l’État est dans les dispositions de ne faire aucun cadeau à Ousmane Sonko. Un débat qui remet au gout du jour la pertinence de confier l’organisation des élections au ministère de l’Intérieur dirigé par des responsables politiques partisans.

MOR AMAR   

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