Les mystères d’une candidature
Sans appareil politique, sans réseaux politiques connus, à quelques mois de la Présidentielle, Mahammed Boun Abdallah Dionne, qui s’est toujours présenté comme un ‘’baye fall’’ du président, décide de quitter Macky pour entrer dans le maquis.
La vie politique peut parfois réserver bien des surprises. Il y a quelques mois, avant la spirale autour du candidat de Benno Bokk Yaakaar, peu d’observateurs auraient parié sur Mahammed Boun Abdallah Dionne, perdu de vue presque depuis son départ du poste de secrétaire général de la Présidence en octobre 2020. Boun Dionne aura disparu des radars pendant un bon moment, malgré quelques sorties sporadiques.
À la faveur du choix du successeur du président Sall, celui qu’il faut désormais présenter comme ancien homme de main de Macky Sall est revenu au-devant de l’actualité, grâce notamment à un intense lobbying politico-médiatique. Dans la réalité, Boun ne semblait présenter qu’un atout : sa proximité et une fidélité inébranlables au président de la République. C’est d’ailleurs pour cette même raison que beaucoup d’observateurs n’en reviennent pas avec sa rébellion. Qu’est-ce qui s’est donc passé pour que Boun s’émancipe de Macky, pour entrer dans le maquis ? Une question à mille balles.
Au niveau de l’Alliance pour la République (APR), la déception et la surprise semblent être les sentiments les mieux partagés. La plupart croyaient que Boun Dionne serait la dernière personne à oser aller à l’encontre d’une décision du président de la République.
Responsable APR à Rufisque, Abdoul Aziz Konaté exprime toute sa colère : ‘’Je ne m’attendais pas du tout a une déclaration de Boun Dionne. C’est pourquoi je suis extrêmement déçu, quand j’ai lu sa réaction. Il faut dire que Boun Abdallah Dionne a toujours fait montre de fidélité envers le président de la République. Jamais il n’a posé un acte qui montre qu’il nourrit des ambitions ou des velléités de succession. Moi-même, un jour, il m’a juré sa fidélité, qu’il ne posera jamais un acte contraire à la volonté du président de la République. Je suis extrêmement surpris et déçu.’’
De l’avis de M. Konaté, Boun a surtout fait preuve de malhonnêteté en participant au processus de désignation du candidat de la majorité. Il aurait dû faire comme Idrissa Seck, en prenant très tôt son destin en main de manière loyale et courtoise. ‘’C’est très malhonnête, à mon avis. Tout le monde avait donné carte blanche au président de la République pour choisir le candidat de la majorité, lui y compris. À partir de ce moment, quand le président décide, il n’a pas à aller à l’encontre. S’il était déjà sûr qu’il veut y aller contre vents et marées, il ne devait pas participer au processus’’, soutient M. Konaté.
Il assure que ‘’le président a déployé tous ses efforts pour montrer aux candidats que le meilleur choix pour la victoire de la coalition BBY réside en Amadou Ba. Je pense qu’aujourd’hui, tous les Sénégalais doivent être surpris de cette décision. L’acte qu’il a posé est tout simplement un acte de félonie, un acte de trahison.’’
Pour en savoir un peu plus sur les motivations profondes de cette rébellion, ‘’EnQuête’’ a essayé de contacter le concerné, mais en vain. Dans tous les cas, ils sont nombreux les observateurs à croire que les chances de l’ancien Premier ministre et homme de confiance de Macky Sall sont très minces.
S’agit-il d’un coup de tête dû à une certaine frustration ou d’une candidature soutenue dans les flancs de l’Alliance pour la République ? Pour Aziz Konaté, Boun Dionne n’a pas à être frustré, car il a tout eu du président de la République, sans avoir enduré ce que beaucoup de responsables comme Alioune Badara Cissé (ABC), Mbaye Ndiaye et Cie ont enduré. ‘’Quand, en 2008, le président Macky Sall décidait de prendre son destin en main, Boun Dionne était son collaborateur à l’Assemblée nationale (directeur de cabinet). Les premiers Sénégalais sur qui il devait pouvoir compter devaient être ses collaborateurs, à l’image d’ABC, Mbaye Ndiaye, Cissé Lo, Thérèse Faye… Tous se sont sacrifiés pour l’accompagner, pendant que Boun l’abandonnait pour aller à l’étranger. C’est après la victoire qu’il est revenu. Il ne fait donc pas partie des gens qui ont mouillé le maillot pour que le président soit là où il est. Aujourd’hui, il ne devait même pas se considérer comme un héritier, parce qu’il n’était pas là quand le président avait besoin de lui’’.
Après 2012, Macky Sall a donc fait appel à son ancien collaborateur. D’abord nommé ministre chargé du Plan Sénégal émergent, il sera promu plus tard Premier ministre, avant la suppression du poste en 2019, puis recyclé à la présidence en tant que secrétaire général.
Il a donc été pendant longtemps l’un des piliers du régime et du bilan du président Sall.
Le chantier politique
Toutefois, sur le plan politique, Boun est un véritable nain, dont le seul fait d’armes reste la conduite de la liste de Benno Bokk Yaakaar aux Législatives de 2017, en sa qualité de Premier ministre (2014-2019). La coalition s’était alors imposée en remportant 125 députés sur les 165 que compte l'Assemblée nationale. À l’époque, Amadou Ba dirigeait la liste de la majorité à Dakar et donnait à la coalition l’une de ses rares victoires dans la capitale.
Quoiqu’insignifiant politiquement parlant, cette dissidence peut faire mal à la majorité et à son candidat Amadou Ba. D’abord, elle peut donner des idées dans une coalition qui, jusque-là, a réussi à faire montre d’une certaine discipline, malgré quelques notes discordantes. D’ailleurs, certains se sont demandé si l’ancien PM ne bénéficie pas de soutiens à l’intérieur du parti ou de la coalition. C’est là un gros mystère.
En effet, contrairement à un Amadou Ba et à un Abdoulaye Daouda Diallo qui ont toujours entretenu ce que l’on pourrait considérer comme des cellules dormantes à l’intérieur même de la majorité, Boun n’est pas connu pour avoir des réseaux solides dans les ressorts du parti au pouvoir. À en croire Aziz Konaté, ce ne sera pas aujourd’hui qu’il va retrouver des soutiens qu’il n’a jamais pu avoir.
‘’Ces gens (les dissidents) se trompent lourdement. Depuis que le président a fait son choix, il n’y a que quelques réactions sporadiques insignifiantes. Je peux vous assurer que l’essentiel du parti a validé le choix du président. C’est d’ailleurs un choix qui n’a pas surpris les Sénégalais, encore moins les gens du parti. Tout le monde sait qu’Amadou Ba avait le meilleur profil parmi ceux qui étaient sur les starting-blocks. Ce n’est pas un choix partisan, c’est un choix d’un homme d’État qui a toujours dit qu’il met la patrie avant le parti’’.
Très remonté contre l’ancien SG de la Présidence de la République, il ajoute : ‘’Il n’aura personne, aucun soutien, ni des militants ni des responsables. Ces gens qui s’agitent ignorent que les militants sont avec le président de la République. Pas avec eux. Tout responsable qui décide d’aller à l’encontre de la décision du président de la République verra qu’il est dans l’erreur. Boun n’est pas plus populaire que moi, il n’est pas plus représentatif que les militants à la base, les responsables départementaux qui ont toujours géré le parti à la base. Lui ne peut même pas passer le cap des parrainages.’’
Il faut noter que si globalement le choix d’Amadou Ba semble faire l’unanimité chez les principaux alliés dans BBY (PS, AFP, LD, PIT…), dans les rangs de l’Alliance pour la République, beaucoup d’observateurs relèvent un défaut d’enthousiasme autour du choix du président Macky Sall.
Avant le choix, des voix très autorisées comme Abdoul Mbow étaient montées au créneau pour lui reprocher d’être un militant de la 25e heure, contrairement à quelqu’un comme Abdoulaye Daouda Diallo. Alors que le président de la République a fait des pieds et des mains pour convaincre ce dernier de rentrer dans les rangs, pour les autres dissidents, il semble plutôt faire preuve de mépris, en tout cas publiquement. Ce qui ne doit pas être pour apaiser les rancœurs des uns et des autres.
MOR AMAR