Publié le 7 Sep 2015 - 11:09
REPRISE DU PROCES HABRE

Empoignades en perspective

 

Après 45 jours de suspension, le procès de Hissein Habré reprend ce lundi. Eu égard à la détermination de récuser les avocats commis pour sa défense, la tension sera certainement vive avec des empoignades.

 

Après 25 ans d’attente, les victimes présumées du règne de Hissein Habré étaient heureux de voir le procès de l’ex-président tchadien s’ouvrir le 20 juillet dernier. Mais au bout de deux jours d’audience, leur enthousiasme a été douché, avec la décision de la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires (CAE) de suspendre le procès pour 45 jours. Etant donné que les avocats constitués par l’ex-président tchadien (Mes François Serres et Ibrahima Diawara) ne s’étaient pas présentés à l’audience sur mandat de leur client, le président de la Chambre, Gberdao-Gustave Kam et ses assesseurs avaient commis d’office trois avocats (Mes Mbaye Sène, Mounir Ballal et Abdou Gningue) pour l’inculpé. Dans le dessein de leur permettre de s’imprégner du dossier, un délai de 45 jours leur a été accordé.

Me Ibrahima Diawara : ‘’Lundi (aujourd’hui), nous saurons quelle attitude adopter’’

Le délai a pris fin et le procès reprend ce lundi. Une reprise qui risque de ne pas se passer sans anicroches. De belles empoignades s’annoncent avec la détermination de l’ex-Président, jugé pour crimes internationaux, de récuser ses avocats commis d’office. Hissein Habré a déjà donné le ton en les éconduisant, il y a quelques semaines. Le 25 août passé, Me Sène, Gningue et Balal s’étaient rendus à la prison du Cap Manuel pour rendre visite à leur ‘’client’’, mais celui-ci avait refusé de les recevoir. Hissein Habré va persister dans cette volonté de récuser les avocats commis par la Cour. ‘’Sa décision prise de garder le silence et ne pas se faire assister par ses avocats restent maintenus’’, confie Me Ibrahima Diawara. Lui et Me François Serres restent les seuls avocats, car ceux commis n’ont pas mandat pour parler au nom de leur client. ‘’Lundi (aujourd’hui), nous saurons quelle attitude adopter, s’ils persistent à parler de notre client, alors que même le Bâtonnier leur a fait savoir qu’ils ne peuvent pas défendre un accusé qui ne veut pas être défendu’’, renseigne Me Diawara à la question de savoir ce qu’ils vont faire, si leurs confrères décident de se conformer à leur mandat.

Cependant, certains observateurs craignent que cette position dégagée officiellement ne cache une autre réalité. Il n’est pas exclu que Mes François Serres et Ibrahima Diawara) se présentent aujourd’hui à la barre, non pas pour plaider, mais pour montrer aux juges qu’ils sont les conseils ‘’légitimes’’. Une belle façon de rendre la tâche difficile aux juges.

Me Abdou Gningue : ‘’Nous sommes vraiment zen. Nous nous attendons à tout’’

Mais d’un autre côté, il y a la détermination des avocats commis d’office d’exécuter, d’autant plus qu’ils ne peuvent pas être récusés par l’accusé. L’article 14 de la loi du 4 janvier 1984 portant création de l’Ordre des avocats du Sénégal, modifiée par les lois du 28 décembre 1987 et 8 juillet 2009, stipulent que ‘’les avocats commis ne peuvent être révoqués que par le président du Tribunal ou le bâtonnier. S’ils décident de ne pas défendre l’accusé, sans avoir au préalable obtenu l’approbation du magistrat commettant ou du bâtonnier, ils encourent des sanctions disciplinaires’’. D’ailleurs, l’un des avocats commis, Me Abdou Gningue, confirme qu’ils vont exécuter leur mandat, tant qu’ils sont maintenus par la Chambre. ‘’Nous sommes désignés par une réquisition de la Cour. Nous lui devons notre mandat et non à l’inculpé’’, dit-il, tout en laissant entendre qu’ils s’attendent à tout. ‘’Nous sommes vraiment zen. Nous nous attendons à tout, mais quoi qu’il en soit, c’est la Cour qui va arbitrer.’’

Me Daouda Kâ a déjà tranché le débat. Dans une contribution publiée dans l’édition de EnQuête du week-end dernier, l’avocat soulignait que ‘’la commission d’office des avocats sera nulle et de nul effet, si à l’audience de renvoi, le Président Habré présente à la Chambre ses propres avocats’’. L’avocat fonde son argumentaire sur les dispositions de l’article 257 du Code de procédure qui dispose que ‘’la désignation d’office est non avenue, si l’accusé choisit ses conseils’’. Quoi qu’il en soit, un magistrat interrogé flaire déjà un piège des avocats de Habré qui tenteront de les tourner en bourriques, en se retirant après s’être présentés. Mais notre interlocuteur reste convaincu que le président Kam saura éviter ce piège.

Quid de l’attitude de Habré ? Pour certains observateurs, il ne serait pas surprenant que Hissein Habré rompt le silence, non pas pour se défendre mais pour s’opposer fermement à la volonté des avocats commis de le défendre sans son consentement. ‘’Que les avocats et les juges se préparent à boucher leurs oreilles, car Habré risque de déverser sa bile sur les CAE dont il a toujours contesté la légitimité‘’, raille un juriste. 

FATOU SY

 

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