Le miracle de Sweet Beauté

N’ayant aucun intérêt dans une bipolarisation de l’espace public avec Ousmane Sonko, Macky Sall a tout intérêt à ramener dans le jeu ‘’les deux K de la République’’, Khalifa et Karim. Le seul acteur qui avait beaucoup à perdre avec un tel retour (Ousmane Sonko) aura du mal à s’y opposer, après avoir mobilisé beaucoup de jeunes pour réussir à tordre le bras à la justice et à l’Etat.
Un vent nouveau souffle pour Khalifa Sall et Karim Wade. Depuis quelques jours, ils sont nombreux, les acteurs, à raviver le débat sur une possible amnistie de ces deux leaders de l’opposition sénégalaise. Même si le sujet ne date pas d’aujourd’hui, il a rarement fait l’objet d’un consensus aussi large. L’on se rappelle que, pendant le dialogue politique, le sujet a été sur la table, mais n’a pas été débattu, compte tenu des voix discordantes. La patate chaude a finalement été filée au président de la République.
Vendredi dernier, en recevant des représentants de la société civile, le sujet a été au cœur des discussions. Aux responsables de la société civile qui l’ont interpellé dans ce sens, le chef de l’Etat s’est montré ‘’très ouvert’’. Président de l’Observatoire de suivi des indicateurs de développement économique en Afrique, Cheikh Oumar Sy témoigne : ‘’Le président de la République a dit qu’il est ouvert aux discussions. C’est maintenant aux juristes de voir les mécanismes de mise en œuvre et aux autres acteurs concernés de jouer leur rôle.’’
Pour sa part, la société civile n’a pas attendu pour travailler dans ce sens. D’ores et déjà, renseigne un des responsables, il y a des réflexions qui sont en train d’être menées. Il précise : ‘’Il faut savoir que c’est une demande qui a été faite par l’opposition et la société civile. Il s’agira de la formaliser et de la poser sur la table. Cela demande quand même une étude. Il y a différentes voies qui sont possibles. Pour ce qui est de l’amnistie, rien ne s’y oppose. Mais ce n’est pas la seule voie possible. D’autant plus que certains acteurs concernés comme Karim Wade, avaient dit qu’ils ne voulaient pas de l’amnistie. Mais toujours est-il qu’il revient à tous les acteurs de réfléchir sur la formule la meilleure : légale et légitime’’.
Abondant dans le même sens, le directeur exécutif de l’ONG 3D, Moundiaye Cissé, estime que l’amnistie n’est pas la seule voie possible pour ramener dans le jeu les leaders du Parti démocratique sénégalais et de Manko Taxawu Senegaal. En plus de l’amnistie, souligne-t-il, il y a la révision du Code électoral en ces articles L31 et suivants, entre autres moyens.
Un consensus qui reste à être formalisé
Si la voie à emprunter n’est pas encore claire, les différentes parties semblent s’accorder sur l’opportunité de passer à l’acte. Après plusieurs mois de tergiversations. Le président d’Afrikajom Center, Alioune Tine, déclare : ‘’Pour moi, ceci aurait dû être fait depuis très longtemps. Depuis la rencontre de Massalikul Jinane avec le président Wade, c’était dans le pipeline. Le sujet était aussi au menu, dans le cadre du dialogue politique. Mais le président est lent à la détente.’’
Selon lui, ce serait une excellente chose que le chef de l’Etat accède enfin à cette demande. ‘’Cela fait partie des éléments qui pourraient consolider la paix civile. C’est quelque chose qui doit se faire dans les meilleurs délais. Il faudrait, dans son cabinet, qu’il y ait des colombes qui l’aident dans ce sens, des gens qui ont un courage politique et qui travaillent pour la concorde nationale. Malheureusement, on a l’impression que dans son cabinet, les gens qui sont dans les calculs, sont hégémoniques’’.
Toutefois, s’est-il empressé de se réjouir, l’espoir est permis, car le discours a littéralement changé.
Dans le discours du président Sall, Alioune Tine a, en effet, décelé une tendance lourde à l’apaisement. ‘’Il y a des motifs réels de croire que le président est dans de bonnes dispositions. D’abord, il y a la tonalité, la posture, les propositions, l’humilité... Je pense qu’on a un autre Macky Sall. Et au-delà du discours, il y a les actes qui ont été notés dans le sens de la libération des détenus et de la décrispation de la situation politique. Il faudrait juste que chacun puisse jouer son rôle… On peut dire que la tendance lourde est à l’apaisement’’.
Le patron de 3D confirme : ‘’Aujourd’hui, on ne trouve aucune voix discordante. Et le président s’est montré très ouvert. Il faut juste se pencher sur les modalités de mise en œuvre pour régler ce problème une bonne fois pour toutes, car il a trop pollué l’atmosphère ces dernières années.’’
Ce qui est clair, renchérit M. Cissé, ‘’c’est que quand le président veut, il peut’’. Et de souligner : ‘’Je pense que le moment est très propice pour matérialiser cette forte demande des populations.’’
Une demande forte de la population et des acteurs politiques
A ceux qui seraient tentés de croire que ce serait une manière de s’immiscer directement ou indirectement dans les affaires de justice, de fouler aux pieds le droit, le président de l’Observatoire de suivi des indicateurs de développement économique en Afrique rétorque : ‘’Si on a connu le cas Sonko qui a été l’élément déclencheur de ces émeutes, c’est parce qu’il y a eu les affaires Khalifa Sall et Karim Wade. Quand on interroge les manifestants, ils s’appuient tous sur ces dossiers pour justifier la thèse du complot. C’est à cause de ces précédents que les gens ont pensé que toute cette affaire Sonko n’a pour objectif que d’écarter un autre concurrent. C’est une perception très forte. Voilà pourquoi cette demande figure dans toutes les plateformes de l’opposition comme de la société civile.’’
Pour lui, cela permettrait de rendre le jeu démocratique beaucoup plus ouvert et les Sénégalais pourraient choisir en toute liberté et en toute transparence. L’ancien député de préciser : ‘’Nous n’avons fait que relayer les demandes d’une bonne partie de la population. Le problème fondamental, c’est que la justice ne fonctionne pas comme il se devait. Si c’était le cas, on n’en serait pas à réclamer les réhabilitations de Khalifa et de Karim. Je pense que le travail de fond, c’est de faire en sorte que la justice redore son blason.’’
A en croire nos interlocuteurs, l’affaire Sweet Beauté devrait permettre un renouveau de la justice sénégalaise mise à rude épreuve. C’est la conviction du président d’Afrikajom Center, Alioune Tine. Il fulmine : ‘’Il faudra bien tirer les conséquences de cette crise. Dans ce cadre, je me félicite de la capacité de résilience du peuple sénégalais ainsi que de tous les acteurs. On sent que tout le monde est dans la réflexion, la proposition, l’inspiration pour une refondation de l’Etat, des droits humains… C’est là d’ailleurs la différence fondamentale entre les crises au Sénégal et celles que l’on voit ailleurs. Il y a une capacité de résilience et de raison énorme. Et je pense que la situation est idéale pour construire avec les Sénégalais et les jeunes un Sénégal meilleur.’’
Selon l’ancien président de la Rencontre africaine pour la défense des Droits de l’homme, le président Sall devrait prendre exemple sur Abdou Diouf qui, dans la période 1998-2000, a réussi à écrire avec tous les acteurs l’une des plus belles pages de la démocratie sénégalaise.
Ainsi, l'affaire Adji Sarr, après avoir mis le pays sens dessus dessous, est en passe de réussir là où beaucoup de bonnes volontés avaient échoué : ramener Karim et Khalifa dans le jeu politique et électoral.
MOR AMAR