Les contours d’une décennie d’échecs et d’incompréhensions
Le Conseil de sécurité des Nations Unies a acté la fin de la Minusma dont le retrait devra être achevé d’ici la fin de l’année. Cette mission, qui a débuté en 2013, a surtout souffert d’une distorsion entre ses règles d’engagement et la nécessité sécuritaire face aux groupes djihadistes. Une situation qui a accentué les tensions avec le gouvernement malien qui reprochait l'absence d’un mandat beaucoup plus agressif dans un contexte sécuritaire lié au départ des troupes françaises de Barkhane.
Le 30 juin dernier, le Conseil de sécurité a adopté la résolution 2690, qui autorise la Minusma à entamer ’’un retrait sûr et ordonné’’ du Mali à la demande du gouvernement malien. Un retrait définitif qui doit s’achever le 31 décembre 2023. Ce départ des Casques bleus fait suite à l'échec de la tentative du secrétaire général de l’Organisation des Nations unies, Antonio Guterres, pour reconfigurer la Minusma vers un nombre de missions plus limitées et une augmentation des effectifs en janvier 2023. Cette décision fait suite à la demande faite par le gouvernement malien devant le Conseil de sécurité de l'ONU, le 16 juin dernier, demandant le retrait sans délai des troupes onusiennes.
Selon Abdoulaye Diop, ministre malien des Affaires étrangères, cette exigence du pouvoir malien s’explique par l’échec de cette mission onusienne. ‘’Le réalisme impose le constat de l'échec de la Minusma dont le mandat ne répond pas au défi sécuritaire’’, a-t-il déclaré devant les membres du Conseil de sécurité.
La Minusma, déployée au Mali depuis 2013, dans la foulée de l’opération Serval (2013-2014) puis Barkhane (2014-2022) n’a pas semblé convaincre de son efficacité la population malienne et le gouvernement de la transition. Créée en 2013, la Minusma compte 55 pays contributeurs et avait pour mission d’aider à stabiliser un État menacé d'effondrement sous la poussée djihadiste, protéger les civils, contribuer à l'effort de paix, défendre les droits humains...
Ainsi, face à la poussée des groupes djihadistes affiliés à l’État islamique au Sahel (EIS) et Jama’at Nusrat al Islam wal Muslimeen (JNIM) lié à Al-Qaeda, les populations étaient souvent abandonnées à elles-mêmes par les troupes onusiennes dont la mission de lutte antiterroriste n’était pas contenue dans ses règles d’engagement. Ce qui, au fil des années, a pesé sur la popularité des forces onusiennes devant les populations locales. Des troupes des Nations Unies souvent cantonnées dans des garnisons et places fortes dans le centre du Mali et le Nord-Mali.
De ce fait, les autorités maliennes ont exigé que la force de l'ONU assume un rôle antiterroriste beaucoup plus agressif, en soutien à l'armée nationale.
Toutefois, la réticence des pays contributeurs de la Minusma vers une mission de combat et le manque d’effectifs (13 000 hommes) ainsi que l’arrivée de la milice Wagner semblaient avoir freiné l’engagement de beaucoup de pays, notamment européens qui se sont progressivement retirés.
Ainsi, en décembre 2022, des pays comme la Suède et le Royaume-Uni avaient annoncé le départ de leurs contingents. Sans compter l’Égypte, la Côte d’Ivoire et le Salvador qui leur ont emboité le pas. Sans oublier l’affaire des 49 soldats ivoiriens qui devaient être déployés dans le cadre d’une mission de soutien du contingent allemand de la Minusma. Ils avaient été incarcérés à Bamako par la junte qui les accusait de vouloir fomenter un coup d’État en juillet 2022. Cette affaire fut au cœur d’une brouille entre Bamako et Abidjan qui réussit à obtenir leur libération en janvier 2023.
La Minusma et le spectre russe Wagner
L’autre gros point d’achoppement entre les autorités maliennes et les responsables de la Minusma demeure la présence des forces russes de Wagner. Même si leur présence est contestée par Bamako qui évoque des ‘’instructeurs russes’’, le récent rapport du Haut-Commissariat aux Droits de l'homme de l'ONU a pointé du doigt, en mai 2023, la responsabilité de l’armée malienne et des mercenaires de Wagner dans le massacre de Moura en mars 2022. L’armée malienne et des combattants ‘’étrangers’’ sont accusés d’avoir exécuté, entre le 27 et le 31 mars 2022, au moins 500 civils, à l’occasion d’un marché hebdomadaire à Moura, cercle de Djenné, région de Mopti. Le Haut-Commissariat aux Droits de l’homme avait appelé à l’ouverture d’une enquête approfondie et indépendante sur les incidents à Moura.
De leur côté, les autorités maliennes, qui avaient annoncé l’ouverture d’une enquête sur cet incident, parlent d’une opération de déstabilisation du régime de la part de la mission onusienne.
Un nouvel incident impliquant des soldats maliens et les mercenaires de Wagner a été aussi signalé dans le village de Ouenkoro, dans le centre du pays, les 23 et 24 mars 2023, dans le cercle de Bankass, région de Mopti, avec des accusations d’exactions contre les civils.
Selon plusieurs sources sécuritaires, une vingtaine de personnes aurait été tuée. Des accusations qui ont irrité les responsables maliens qui, sur le terrain, n’hésitaient pas à restreindre l’accès des soldats, officiels et représentants de la Minusma dans les zones de conflits au Mali. Ils doivent surmonter de nombreuses entraves comme des obstructions dans le cadre des investigations concernant les abus des forces maliennes, contrôle de la circulation du personnel de la Minusma et la délivrance des autorisations de déplacement dans l’espace aérien.
Le groupe Wagner, qui est très actif sur les réseaux sociaux et dans des opérations de désinformation, n’a pas aussi manqué de pointer du doigt l’inaction de la Minusma accusée d’être le pion de l’Occident contre le régime malien. Cette opération vise à renforcer le sentiment anti-occidental qui, en filigrane, a réussi à décrédibiliser la Minusma face à la poussée de l’EIS dans la région de Ménaka et les velléités séparatistes des groupes touaregs dans le Nord-Mali. La récente brouille entre le président russe Vladimir Poutine et Evgueni Prigojine, le chef du groupe Wagner, peut soulever des questions sur l’avenir du groupe paramilitaire en passe d’être dissout sur le territoire russe, après la rébellion avortée de Prigojine.
‘’Le départ de la Minusma va créer un vide en matière d’investigation des violations des Droits de l’homme et d’exactions contre les civils (...) Il est à craindre une hausse des violences contre des civils dans une situation qui va se rapprocher, malheureusement, de celle qu’on connaissait au début de la crise en 2012’’, a affirmé Niagalé Bagayoko, présidente du Réseau africain pour la sécurité.
AMADOU FALL