La CEDEAO, une si longue tradition interventionniste
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a su, tout au long de son histoire, se doter de forces capables de mener des opérations d’interposition et de stabilisation à travers toute la région ouest-africaine. Des entités comme l’Ecomog en Sierra Leone, au Liberia puis en Côte d’Ivoire, et l’Ecomib en Guinée-Bissau et la Micega ont tenté de pacifier différentes crises politico-militaires avec le risque d’apparaitre comme une force d’occupation ou d’oppression dans les pays où elles sont déployées.
La possible intervention des troupes de la CEDEAO au Niger risque de plonger la sous-région dans le chaos. Les pays dirigés par les juntes du Burkina Faso et le Mali se sont engagés à défendre le pouvoir militaire nigérien face à la force de la CEDEAO que devrait sans surprise commander le Nigeria. Sur le papier, si cette intervention parait inédite, elle n’est cependant pas une nouveauté pour la CEDEAO.
Si au début de sa création, elle avait une vocation économique et sociale liée à l'intégration de la région ouest-africaine, l’instabilité chronique qu’a connue la région dans les années 90, a nourri chez les responsables de la CEDEAO la création d’une force régionale afin de faire régner l'ordre ou de protéger les populations dans les pays ouest-africains en crise. La force d’attente de la CEDEAO créée en 2004 et regroupant près de 5 000 hommes issus des rangs des pays membres devrait parachever cette volonté des chefs d’État ouest-africains de disposer d’un outil sécuritaire pour conjurer les défis dans la région. Toutefois, des problèmes de financement et de recrutement de troupes ont retardé son renforcement.
Auparavant, la CEDEAO a surtout fait appel à l’Ecomib. Cette force entre en droite ligne de la volonté de la CEDEAO d’assurer la paix et la sécurité dans l’espace ouest-africain. Ainsi, les troupes de la CEDEAO ont pu se déployer à travers diverses forces d’intervention afin de garantir la stabilité dans son espace.
Qu’il s’agit de l’Ecomog, dans les conflits au Liberia, en Sierra Leone puis en Côte d’Ivoire, de l’Ecomib en Guinée-Bissau et Micega en Gambie.
Sierra Leone, Liberia : une force d’interposition très controversée (1990-1999)
L’Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group (ECOMOG) ou Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la CEDEAO, sous commandement nigérian, a été déployé pour faire de l’interposition dans la guerre civile qui secoue le Liberia de 1990 à 1997. Conçue au départ comme une solution temporaire, l'organisation en fait une force permanente en 1999. Ses objectifs sont d'abord de superviser les cessez-le-feu, mais aussi de maintenir et construire la paix, d'effectuer des déploiements préventifs ou de désarmer les forces armées non régulières au Liberia puis en Sierra Leone.
Composé au départ de quelques centaines d'hommes, baptisés les "Casques blancs", il compte au plus fort de son engagement, en 1994, près de 20 000 soldats et officiers. Le Nigeria assure le financement, l'équipement et la moitié du contingent qui regroupe une dizaine de pays ouest-africains. L’Ecomog va s’interposer entre le gouvernement et la National Patriotic Front of Liberia (NPFL) dirigé par Charles Taylor. La présence de l’Ecomog permet aussi la mise en place de négociations qui vont aboutir à la signature de l’Accord d'Abuja II, signé le 17 août 1996, sous l'égide de la CEDEAO, établit un cessez-le-feu effectif sur le terrain dès le début du mois de septembre. En mars 1997, après un processus de désarmement de toutes les factions, les élections sont organisées le 19 juillet. Charles Taylor recueille 75,3 % des voix et devient président le 2 août 1997.
L’Ecomog sera au cœur de vives controverses liées aux comportements et aux bavures contre les populations. Elle a perdu plusieurs centaines d'hommes à la suite de la guerre civile au Liberia.
À partir de 1997, elle va intervenir en Sierra Leone, plongée dans une guerre civile entre les rebelles du Front révolutionnaire uni (Ruf) et les forces gouvernementales. L’Ecomog réussit, avec l’aide des troupes gouvernementales, à contenir les différentes offensives du groupe rebelle dirigé par Fodé Sankoh qui tente de s’emparer de Freetown. La force ouest-africaine va céder sa place à une mission de l'ONU en 2000. L’Ecomog va se retirer des deux pays sans avoir résolu entièrement les conflits. La guerre va repartir au début des années 2000 et ne prendra fin que quelques années plus tard avec l’instauration d’un processus de paix viable et durable sous l'égide des Nations Unies et de l’Union africaine.
Côte d’Ivoire : Ecomog comme force intégrée aux troupes des Nations Unies (2004-2017)
L'Ecomog sera aussi de la partie dans la guerre civile ivoirienne qui a opposé le régime de Laurent Gbagbo et les rebelles des Forces nouvelles en 2003. Les accords de Marcoussis, signés en janvier 2003, prévoyaient que des Casques blancs de l’Ecomog s’interposent entre les belligérants pour éviter une reprise du conflit. Ces soldats de la CEDEAO ont été intégrés aux opérations de l'ONU en Côte d'Ivoire (Onuci) en 2004. La mission onusienne avait pour mission de surveiller la zone tampon qui séparait la zone sud sous contrôle du gouvernement de Gbagbo et la zone nord sous le contrôle des forces nouvelles dirigées par Guillaume Soro. L’Opération des Nations unies en Côte d'Ivoire (Onuci) sera déployée en Côte d’Ivoire entre 2004 et 2017. Cette force va jouer un rôle majeur en sécurisant le processus électoral qui, en 2011, va assurer la victoire d’Alassane Ouattara à l'élection présidentielle. L’Onuci, en collaboration avec les forces françaises, va jouer un rôle décisif dans la neutralisation des armes lourdes du camp Gbagbo qui refusait de reconnaître sa défaite. L’arrestation de ce dernier par les troupes des Forces nouvelles à la suite d’une offensive éclaire sur Abidjan, va mettre fin à la décennie noire en Côte d’Ivoire.
Guinée-Bissau : Ecomib, garante d’une décennie de stabilité (2012-2020)
La CEDEAO avait déployé la Mission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest en Guinée-Bissau (Ecomib) après le coup d'État d'avril 2012 qui a renversé le Premier ministre Carlos Gomes Junior entre les deux tours de l'élection présidentielle, dont il était le favori. Composée de plus de 1 000 soldats, gendarmes et policiers sénégalais, togolais, burkinabé et nigérians, cette force était chargée de la protection des chefs d'institution et des bâtiments publics bissau-guinéens. L'Ecomib a quitté le pays en septembre 2020, à la fin de son mandat, après avoir contribué à garantir la stabilité dans le pays durant toute cette période. Les troupes ont quitté le pays après l’investiture du président Umaro Sissoko.
Face à la résurgence des crises politiques avec une nouvelle tentative de coup d’État en février 2022 visant à renverser le pouvoir bissau-guinéen, la CEDEAO étudierait l’option d’un nouveau déploiement de troupes à Bissau. Néanmoins, aucune date de déploiement ni sa composition n'ont été fixées par la commission de la CEDEAO.
Par ailleurs, certaines organisations de la société civile et des partis politiques tels que le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC) se sont opposés au déploiement, estimant que le Parlement devait d'abord se prononcer sur la question.
Gambie : La Micega, la garde prétorienne du régime de Barrow (2017-)
La dernière intervention de la CEDEAO à travers le déploiement de la mission de la communauté ouest-africaine en Gambie (Micega) en 2017 avec le président Yahya Jammeh battu dans les urnes et qui refusait de quitter le pouvoir. Après plusieurs semaines de concertations, le Nigeria, le Ghana et le Sénégal ont envahi le territoire gambien afin de rétablir le président démocrate élu Adama Barrow. Face à ce déploiement de 4 000 hommes dont la moitié est fournie par les troupes sénégalaises, le président Yahya Jammeh a été forcé de s’exiler en Guinée équatoriale.
Aujourd’hui, la force ne compte qu’un millier d’hommes, dont un contingent de 625 soldats sénégalais. En février 2022, une embuscade tendue par le Mouvement des forces démocratiques de Casamance (MFDC) va entraîner la mort de trois soldats sénégalais membres de la Micega et l'enlèvement de sept autres soldats. La congrégation de Sant'Egidio, des représentants des forces armées gambiennes et de la Croix-Rouge internationale vont obtenir la libération des soldats de la CEDEAO. La Micega assure aussi des missions de maintien de la paix et de protection des institutions en Gambie.
Néanmoins, cette présence divise la classe politique. Si, dans le camp présidentiel, on juge sa présence rassurante pour le pouvoir qui a fait face, en décembre 2022, à une tentative de coup d’État, cette tentative de coup de force pourrait inciter la CEDEAO à prolonger la mission de la Micega qui parait essentielle afin de protéger les institutions gambiennes. Au sein de l’opposition, on dénonce une violation de la souveraineté nationale du pays, estimant que les forces gambiennes sont capables d’assurer la sécurité intérieure du pays.
AMADOU FALL