Sénégal, les élections d’une République à rebâtir
Enfin, on entre dans le tunnel pour espérer voir son bout : que les Sénégalais puissent voter le 24 mars 2024. Mais les rumeurs les plus folles courent pourvu qu’elles n’en soient qu’ainsi.
Le début de la campagne avec cette liesse populaire montre que nous attendions ce moment et voulons que les élections aient lieu quitte à restreindre les délais impartis par la loi. On peut donc être fier du génie citoyen sénégalais qui a su s’adapter et éviter tous les pièges tendus par les partisans du report sine die. Le 24 et puis c’est tout ! On avance. Le temps de la politique politicienne doit pouvoir marquer le pas et laisser à l’action transformatrice de notre société : les débats de programme.
Comment pendant trois ans les manœuvres politiciennes ont-elles pu attiser autant de tension fratricide permanente entre deux types de Sénégalais, une bipolarité meurtrière et fractionniste ? Une fracture profonde où la défiance a supplanté la confiance ? Les germes de ce sectarisme ont été semés sans que les forces politiques et sociales régulatrices ne prennent fait et cause allant dans le sens des populations.
Une crise sociale et politique attisée par une horde de chasseurs de prime.
Que dire quand les figures publiques brillent par l’inculture haineuse et voir des gens dont le tort est d’avoir une opinion contraire à celle du pouvoir réserver le pire des sorts à d’honnêtes citoyens ? Contre eux, on a voulu nous mythifier des forces occultes, spéciales, Commandos, une trilogie à la Rambo sans jamais mettre sur la table des preuves. Le mal est profond et la perception ne peut être que négative. La conséquence, cette dualité entre un camp du bien et celui du mal et c’est selon, une dictature de la pensée unique qui, en fin de compte, est le défouloir d’une volonté de faire justice soi-même. Dans ces moments, tout débat fondé sur les enjeux du Sénégal de demain, un Sénégal à l’économie introvertie, souveraine et ouverte sur des partenariats équitables pouvait être perçu comme herculéen. En face des rodomontades faussement républicaines d’affirmation de la force de la loi cachent les carences d’un attelage largués par le tempo du débat public.
Trop de temps perdu entre deux batailles dont le seul perdant reste le Sénégal. La force régulatrice de la justice a brillé par ses simulacres dans la fonction qui est la sienne : arbitrer. Une justice à géométrie variable. Les germes d’une violence et de cette crise vécue ont été les résultantes de l’absence de justice pour remettre tout à l’endroit. Enfin que dire de l’embargo d’une région entière pour des raisons politiciennes ? De l’administration partisane sans aucun sens du principe de l’obligation de service ?
Nous venons de vivre trois ans de mauvaise foi au détriment de la vérité. Une culture haute de la citoyenneté est la seule garante d’un fraternalisme sincère qui doivent constituer les prochains vecteurs du changement de notre société.
Depuis plus de deux ans, le pays est l’otage « de rentiers de la tension ». Cette situation les arrange et ils préfèrent ce business juteux, mais ô combien mortifère et à la source des toutes les divisions et instabilités actuelles. Heureusement que le vent d’apaisement à rectifier ce tir. Prions que cela continue !
Congédier ce clientélisme rentier pour l’affirmation de l’équilibre politique du vivre ensemble
Le système, nommons-le comme il est, est en train de craquer (il suffit de voir les composants du dernier dialogue), une gérontocratie qui n’en a cure des problèmes de l’écrasante majorité des Sénégalais. Nous sommes bien tentés de dire cette parodie d’Amadou Hampâté un vieillard politicien envoyé à la retraite est une chance pour la paix sociale et politique du pays.
Cette génération de vieillards politiciens qui ne veulent capituler au risque d’entamer la stabilité institutionnelle du pays va nous foutre la paix par force. Ce pays, cette frange majoritaire vous l’arrachera de vos mains et vous en êtes conscients. C’est pourquoi vous vous débattez comme un gnou dans les crocs d’un guépard. Le feu de l’espoir brûle. Crise de valeurs, crise de l’engagement et crise de la citoyenneté, en définitive crise de la vérité ; tout espoir est permis avec cette jeunesse déterminée pour leur rétablissement. C’est pourquoi comme l’a si bien dit le Dr Abdourahmane Diouf, qui on ne peut plus exact en constat : un consortium d’intérêts qui se bat contre une génération d’idées. Deux forces antagonistes, l’une qui utilise faussement la prévalence de l’intérêt général et l’autre qui s’est réellement appropriée les aspirations collectives du peuple sénégalais et avance sans complexe dans leur réalisation.
Toutefois, reconnaissons qu’entre 2012 et 2024, la démocratie sénégalaise aura au moins sécurisé, dans la douleur et hélas avec trop de victimes par la faute des « rentiers de la tension », deux acquis majeurs qui sont : l’impossibilité politique et constitutionnelle de faire un 3e mandat et l’impossibilité constitutionnelle de modifier la durée du mandat.
Les prochaines étapes doivent s’articuler autour du rééquilibrage des pouvoirs en diminuant ceux du Président, le renforcement les contre-pouvoirs, la territorialisation intégrale de l’élection des députés, et pourquoi pas donner une assise juridique aux initiatives citoyennes pour mieux garantir les libertés constitutionnelles.
Par Oswald SARR