Les indomptables
Le Gladiateur se prendrait il pour un dieu, une puissance infaillible, ou serait-il atteint du syndrome du roi Christophe ? Sa propension à neutraliser tous les pouvoirs individuels et collectifs, institutionnels et citoyens peut déboucher sur une tragédie.
Ses limites humaines l’exposent à commettre une erreur de jugement, qui l’amènera à verser la goutte de trop susceptible d’induire une crue populaire, ou à actionner un levier fatal par plaisir ou par inadvertance, parce qu’aucune précaution juridique, politique ou sociale ne serait opérationnelle pour l’en empêcher.
Obligé souvent d’intervenir pour ramener à la raison la multitude de velléités guerrières de ses partisans et souteneurs, il sait plus que quiconque l’importance des garde-fous dans la gouvernance des hommes. Mais pourquoi donc tient-il tant à se débarrasser de toute opposition objective ou subjective à sa volonté ? Pourquoi cette obstination scandaleuse à bâtir un homme fort au détriment d’un état fort de ses institutions indépendantes ?
L’actualité à Ndoumbélaan, c’est sans aucun doute ce nouveau croque-en jambe du Gladiateur à un concurrent sur la ligne de départ. S’agit-il d’un geste antisportif ou d’un banal fait divers dans un calcio tropical où tous les coups seraient permis ? La question mobilise en tout cas, des spécialistes politiques, économiques, judiciaires et syndicaux de Ndoumbélaan qui s’y penchent comme des potaches sur un sujet d’examen. Mais le sujet en question ici, n’est ni politique ni économique, ni judiciaire et encore moins syndical. C’est une opération militaire, une option stratégique de guerre d’un officier qui a choisi de monter au front.
En prenant la décision de s’attaquer de manière frontale à son vis-à-vis à partir de son bunker, le Gladiateur cherche à s’emparer de la position d’un adversaire en le délogeant de sa tranchée avec des armes en sa possession. Bien sûr il aimerait ne pas se salir les mains, économiser ses forces pour d’autres fronts et d’autres batailles qui jalonneront immanquablement le cours de cette guerre pour le pouvoir. Mais il s’est rendu compte que ni la décision de la cour de prononcer la peine capitale, ni les salves du peloton d’exécution ne pouvaient le dispenser d’asséner lui-même le coup de grâce. Et c’est ce qu’il vient de faire en décrétant la mise hors service d’un sujet inconvenant.
Peut-on parler d’une frappe préventive contre un adversaire encore pas tout à fait prêt, du réflexe naturel d’un taureau repu qui rue sur tout ce qui bouge dans l’arène, ou d’une simple opération punitive destinée à intimider d’autres sujets un peu trop regardants sur sa gestion ? Beaucoup d’observateurs penchent pour la seconde hypothèse, tant le Gladiateur se montre de plus en plus allergique aux critiques et à l’expression des potentiels challengers à son trône. Mais sait-il seulement que le foulard rouge cache l’épée du torero et que le matador qui met à mort ne surgit qu’aux derniers moments, quand hommes et bêtes auront fini de se donner en spectacle et de faire du spectacle ?
Le Gladiateur est boulimique. Le qualificatif vient de ses propres alliés de plus en plus marginalisés même si la critique a été subtilement adressée à ses partisans. Il a avalé et digéré ses compagnons de lutte sans les mâcher, anesthésié ses alliés et étouffé ses adversaires politiques traditionnels. Il s’apprête à mettre en place une seconde chambre de parlementaires dont près de la moitié sera désignée selon son bon vouloir. La seconde partie qui fait un peu plus de la moitié, sera dit-on « démocratiquement choisie » par et parmi des élus locaux pour siéger et parler au nom des conseils. Mais les potentiels candidats à ce semblant de scrutin dit indirect, doivent d’abord bénéficier du quitus du Gladiateur qui promet l’enfer à tous ceux qui désobéiraient à sa fatwa.
Autant dire que nous assistons en direct au légendaire partage de Bouki où le fourbe animal s’était octroyé « démocratiquement » toute une carcasse dont il avait la charge d’en faire la répartition, en affectant toutes les parts à des pseudonymes qui ne désignaient autre que lui-même. Et pourtant, malgré la publication des règles de cette vaste blague pour mettre en place ce machin démocratique, incapable de jouer le moindre rôle positif dans l’équilibre des pouvoirs, personne n’a encore levé le petit doigt si ce n’est que pour réclamer sa part. Les bourgeons politiques affleurant sur son champ que le Gladiateur croyait aplani ne peuvent dans ces conditions que le mettre franchement hors de lui. Et c’est ce qui l’amène à agir aussi brutalement et aussi maladroitement contre un fonctionnaire objecteur de conscience.
Ceux qui le critiquent ou l’approuvent n’ont point besoin d’évoquer ou d’invoquer le droit ou la morale. Il s’en fout, du moins pour l’instant. Ce qui l’intéresse, c’est d’arracher cette plante noble issue de semences antérieures que l’on croyait dormantes ou disparues à jamais, et que lui considère comme de la chienlit. Son objectif c’est de déloger un adversaire d’une tranchée à partir de laquelle il reçoit des tirs de plus en plus précis. Se contentera-t-il de le neutraliser ou ira-t-il jusqu’à en faire un prisonnier de guerre ? Parce qu’il s’agit pour lui d’une guerre, même si l’affrontement présent n’est encore qu’une bataille qu’il veut gagner à tout prix. Rien ne peut donc le faire revenir sur sa décision. Il n’écoutera aucun conseil, n’entendra aucun avis moral, et ne s’exécutera pas même si la justice d’ici ou d’ailleurs condamnait son geste. Il est conscient que même si un triomphe sans péril dans cette bataille ne lui garantit pas la victoire finale, il ne survivrait pas en la perdant malgré sa dimension trop modeste.
Que le Gladiateur ait suivi ou non l’avis de ses faucons, qu’il ait méprisé celui des colombes ou bombé le torse devant l’attitude des simples courtisans laudateurs, toujours prêts à le suivre dans ses humeurs, sa logique est simplement stratégique et stratégiquement simple : qu’est-ce qu’il gagne et qu’a-t-il à perdre dans cette opération ? Et il est évidemment convaincu ou s’est laissé convaincre que les profits attendus l’emportent sur les pertes du moment parce qu’une opinion publique désorganisée et sans meneur ne manquera pas de condamner sa décision à travers les médias, dans les grand ‘places ou autour d’une théière anisée en attendant le prochain évènement qui sera à coup sûr un nouveau scandale politique, économique ou social de ses partisans ou de sa famille.
Si les démocrates de Ndoumbélaan appartenaient à une seule race ou à une ethnie, notre Gladiateur national pourrait être amené à comparaitre devant la cour pénale internationale pour génocide ou pour nettoyage ethnique. Sa façon de gouverner a contribué à tuer le débat démocratique. La multiplication et la promotion de médias, supports et vecteurs traditionnels des idées, avec un personnel plus que médiocre souvent sans référence avec la profession, a introduit une nouvelle forme d’approche des questions politiques, économiques, juridiques, bref environnementales. Le débat contradictoire non sans référence exogène à la santé intellectuelle et morale des acteurs, a cédé la place aux insultes et aux invectives. Que ce soit à l’hémicycle dans les journaux ou sur les plateaux de télévisions, les acteurs s’identifient plus à des pugilistes au propre et au figuré qu’à des experts disposés à éclairer la lanternes des auditeurs. Cette culture de la violence physique et verbale, initiée sous l’ère de l’Empereur déchu avec ses célèbres coups de marteaux sur la tête des opposants, est une marque déposée d’un libéralisme dont la semence moribonde a essaimé le royaume.
Surtout n’oublions jamais que Ndoumbélaan sent du pétrole et que du gaz fortement inflammable se dégage de ses entrailles physiques et sociales. Comme une odeur de sang, il attire les prédateurs. Tel un cadavre en putréfaction, il attise l’appétit des charognards de toutes espèces. Peu leur importe qui a raison ou qui a tort, l’essentiel est que le vainqueur d’une potentielle confrontation fratricide, accepte de payer à coups de barils les armes sophistiquées gracieusement mises à sa disposition pour créer le chaos.
Dans ces conditions, évoquer la naissance, l’origine, ou la détention d’un passeport étranger comme critère d’éligibilité ou d’exclusion au trône de Ndoumbélaan peut être lourd de danger. Or, la double nationalité en particulier est une question complexe. Elle peut être innée ou acquise selon les états. Dans tous les cas, il est plus facile pour un citoyen de renoncer de son plein gré à ses droits et devoirs envers un état, que d’obtenir de lui qu’il mobilise son appareil judiciaire pour lui retirer ses attributs. C’est pourquoi, Goorgorlu est franchement indigné par la question. Il ne comprend pas que ses concitoyens se crêpent le chignon pour statuer sur le cas d’un groupe de personnes qu’on peut compter sur les doigts d’une seule main en oubliant son sort et celui de millions de ses semblables dont il est l’ambassadeur le plus connu.
Comme Alfred de Vigny, il a « malgré de grands noms, honte de son titre » en écoutant les dirigeants de son pays. S’il se réserve le droit d’accorder ou non sa confiance à des candidats au patriotisme douteux, Goorgorlu n’acceptera pour rien au monde, une loi scélérate qui affecte des bonus et des malus à ses compatriotes en fonction de critères de races, de religion ou d’origine. D’ailleurs, la question n’a même pas été abordée dans les quatorze points et demi du référendum du Gladiateur dont l’adoption tumultueuse ayant couté malgré tout, dix milliards de francs, tarde à produire d’autres résultats que la gestation d’une nouvelle chambre d’enregistrement à participation…. responsable.
Les chroniques de Bandia, Septembre 2016
Par Bassirou S. Ndiaye