Publié le 30 Jun 2025 - 08:34
SONKO EN CHINE  

Diplomatie active, accords concrets et nouvelle ère stratégique

 

En visite officielle en Chine, du 21 au 27 juin 2025, le Premier ministre sénégalais Ousmane Sonko a renforcé les liens entre Dakar et Pékin, à travers une série de rencontres de haut niveau, la signature de protocoles d’accords et la promesse d’une coopération plus équitable. Un tournant diplomatique majeur, à la fois politique, économique et symbolique.

 

C’est une visite qui s’est voulue dense, structurée et résolument tournée vers l’avenir. Du 21 au 27 juin 2025, le Premier ministre Ousmane Sonko a effectué sa première visite officielle hors du continent africain, depuis sa nomination en avril 2024. Et c’est vers Pékin qu’il s’est dirigé, à l’invitation des autorités chinoises. Ce choix n’est pas anodin. Il illustre la volonté du nouveau gouvernement sénégalais de redéfinir ses priorités diplomatiques, en s’ouvrant davantage vers les partenaires dits non traditionnels, à commencer par la Chine.

À l’issue d’un séjour marqué par des échanges politiques de haut niveau, des discussions économiques stratégiques et la signature de plusieurs accords, le chef du gouvernement sénégalais s’est dit ‘’très satisfait’’ de la qualité de la coopération, qu’il a qualifiée de ‘’respectueuse et équitable’’. Une déclaration relayée par le Bureau d'information gouvernementale (Big), dans laquelle le Premier ministre souligne les ‘’échanges fructueux’’ qu’il a eus avec les autorités chinoises, les institutions financières et les géants du secteur privé.

Un programme dense et ciblé

De Hangzhou à Tianjin, en passant par Pékin, Ousmane Sonko et sa délégation ont multiplié les rencontres avec les acteurs institutionnels, économiques et technologiques chinois. Le programme incluait des visites de terrain, des audiences politiques au plus haut sommet de l’État et la participation au Forum d’été de Davos – la version asiatique du célèbre Forum économique mondial. Une présence fortement remarquée de la part du Sénégal, qui entend faire valoir sa place dans le concert des nations émergentes.

Au palais du Peuple à Pékin, Sonko a successivement rencontré son homologue Li Qiang et le président chinois Xi Jinping. Ces audiences ont permis d’aborder les grands axes de la Vision Sénégal 2050, le programme de développement à long terme porté par l’administration de Bassirou Diomaye Faye. Pékin s’est engagé à soutenir activement cette feuille de route, à travers des partenariats stratégiques, notamment dans les infrastructures, le numérique, l’énergie et la formation professionnelle.

Plusieurs protocoles d’accord (MoU) ont été signés au cours de cette visite. Parmi eux, des conventions de partenariat avec les géants technologiques Huawei et Alibaba, visant à renforcer les capacités du Sénégal dans les domaines du e-commerce, de la cybersécurité, de la digitalisation des services publics et de la connectivité rurale.

Le gouvernement sénégalais entend ainsi s’inspirer du modèle chinois de transformation numérique pour accélérer le déploiement de son New Deal Technologique.

Le Premier ministre a également tenu des réunions avec les dirigeants d’institutions financières de premier plan comme EximBank et la Banque de développement de Chine, ainsi qu’avec l’Agence chinoise de coopération internationale pour le développement (CIDCA). Ces échanges ont débouché sur la relance de projets en attente, bloqués ces derniers mois par des audits administratifs ou des retards dans les engagements antérieurs.

Un groupe de travail conjoint, placé sous la supervision du ministère sénégalais de l’Économie, a été mis en place pour assurer le suivi des engagements financiers et techniques pris lors de cette mission. Objectif : accélérer la mise en œuvre des projets d’infrastructures prioritaires, notamment dans les secteurs de l’eau, des routes, des énergies renouvelables et de la modernisation des zones industrielles.

La Chine, partenaire pivot de la nouvelle diplomatie sénégalaise

La portée géopolitique du déplacement n’a échappé à personne. Le choix de la Chine, pour cette première sortie hors Afrique du Premier ministre, est à la fois stratégique et symbolique. En septembre 2024 déjà, le président Bassirou Diomaye Faye avait effectué sa première visite d’État à Pékin, actant un tournant clair dans la diplomatie sénégalaise. Sonko enfonce le clou, en consolidant un axe sino-sénégalais fondé sur le respect mutuel et la souveraineté.

La Chine a d’ailleurs salué cette posture. Le président Xi Jinping, selon la délégation sénégalaise, a qualifié le Sénégal de ‘’perle de l’Afrique’’, soulignant la stabilité démocratique du pays et sa place centrale dans l’équilibre régional en Afrique de l’Ouest. Il a également exprimé son soutien à la Vision 2050 du Sénégal et assuré que Pékin accompagnerait les efforts de réformes engagées par le nouveau régime, notamment dans le domaine de la gouvernance économique.

Un contexte économique bilatéral en pleine évolution

Cette dynamique diplomatique s’inscrit dans un contexte de redéfinition des relations économiques entre Dakar et Pékin. Selon les dernières données de l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) publiées dans le Bulletin du commerce extérieur d’avril 2025, la Chine est devenue le premier fournisseur du Sénégal avec 13,6 % des importations, devant la France (10,2 %) et le Nicaragua (7,7 %). Côté exportations, elle se positionne à la troisième place (10,7 %), après les Pays-Bas (17,1 %) et le Mali (16,2 %).

Cependant, cette intensité commerciale cache une fragilité structurelle : la balance reste largement déficitaire pour le Sénégal, avec un solde négatif de -34,2 milliards F CFA, en forte dégradation par rapport au mois précédent.

L’un des enjeux clés de cette visite était donc d’équilibrer la relation, en poussant les entreprises chinoises à investir plus localement, à créer de la valeur au Sénégal et à accompagner les transferts de compétences.

La visite du Premier ministre a aussi une résonance politique. Elle incarne, pour de nombreux observateurs, un tournant dans la manière de concevoir les relations extérieures. Loin des schémas traditionnels de coopération asymétrique, Ousmane Sonko entend promouvoir un partenariat entre égaux, hors des cadres néocoloniaux. Cette approche séduit.

Le député Guy Marius Sagna, dans un message publié sur les réseaux sociaux, a salué un ‘’voyage d’émancipation politique’’ et un ‘’geste fort dans la redéfinition des rapports Nord-Sud’’.

Pour Sonko, la Chine est un partenaire stratégique, mais elle est surtout un exemple d’autonomie de décision, de projection économique globale et de transformation structurelle. Il n’est pas question, selon ses proches, de ‘’remplacer une dépendance par une autre’’, mais de diversifier les alliances, d’accroître les marges de manœuvre et de sortir d’une diplomatie purement réactive

Analyse 

Des sarcasmes à l’adhésion – la revanche diplomatique de Sonko

À son arrivée en Chine le 21 juin dernier, Ousmane Sonko a fait l’objet de railleries, de sous-entendus moqueurs et de critiques acides, notamment sur les réseaux sociaux et dans une partie de la presse d’opinion. Certains acteurs politiques, journalistes et influenceurs, visiblement prompts à dégainer, ont cru y voir un camouflet diplomatique infligé au Premier ministre sénégalais. Le ton était donné : Sonko n’aurait été reçu que par des gouverneurs de province et non par des autorités centrales, encore moins par le président chinois. En filigrane : l’humiliation d’un chef de gouvernement considéré comme un intrus sur la scène diplomatique.

Parmi les voix les plus audibles de cette fronde figurent des figures connues du débat politique sénégalais. Certains ont même insinué qu’il s’agissait d’une simple visite touristique, sans enjeu ni reconnaissance officielle.

Mais à mesure que les jours passaient, la réalité diplomatique s’est imposée : Sonko a été reçu successivement par le Premier ministre chinois Li Qiang, puis par le président Xi Jinping au palais du Peuple à Pékin. Des images officielles, diffusées par les médias chinois eux-mêmes, ont montré le Premier ministre sénégalais dans les salons d’honneur les plus prestigieux, en pleine séance de travail bilatérale avec les plus hautes autorités de l’État chinois. Un retournement de situation qui a pris de court les critiques et galvanisé ses soutiens.

Sur les réseaux sociaux, la contre-offensive a été rapide. De nombreux internautes ont republié les vidéos de Sonko aux côtés du président Xi Jinping, en commentant ironiquement : ‘’Et alors, c’est aussi un gouverneur de province ?’’ Les figures de l’opposition qui avaient ironisé sur ‘’l’échec diplomatique’’ sont soudain devenues la risée du jour. ‘’Quand on critique une visite sans attendre qu’elle soit terminée, on prend le risque d’être contredit par les faits’’, lance un utilisateur sur X, illustrant le désaveu public de certains commentateurs pressés.

Ce retournement a aussi été accompagné d’un plébiscite interne de la part des membres du gouvernement et de la majorité présidentielle. Guy Marius Sagna, député et figure de la mouvance patriotique, y a vu un symbole fort de souveraineté : ‘’Le Premier ministre Ousmane Sonko, alors que ses prédécesseurs se sont toujours déplacés, mais n’ont jamais voyagé, lui et les patriotes voyagent sans se déplacer. Ce qu’on doit appeler ‘voyage’ chez les dirigeants africains, ce n’est pas juste changer de continent, mais changer de regard sur le monde.’’

Pour lui, le véritable enjeu n’était pas d’être photographié aux côtés d’un dirigeant asiatique, mais de porter une voix nouvelle de l’Afrique, loin du mimétisme néocolonial.

‘’Je suis persuadé qu’aujourd’hui, ce n’est pas Ousmane Sonko qui était le visiteur, c’est le président Xi Jinping qui a visité un Sénégal souverain et décomplexé, en écoutant le Premier ministre’’.

Dans le même esprit, Waly Diouf Bodian, proche du Premier ministre et connu pour ses posts acides contre l’opposition, salue une rencontre ‘’historique’’, réunissant selon lui ‘’le dirigeant de la première puissance économique mondiale et le porte-voix d’une nouvelle Afrique audacieuse et décomplexée’’. Un contraste assumé face aux ‘’contre-patriotes’’ qu’il accuse de verser dans la jalousie stérile et la politique de l’invective.

Mais au-delà du clivage partisan, certains observateurs nuancés ont tenté de recentrer le débat sur des critères diplomatiques et stratégiques objectifs. Pour eux, l’enjeu ne réside pas dans la séquence protocolaire, mais dans ce que le Sénégal a à gagner – ou à perdre – dans cette relation avec la Chine. L’un d’eux écrit : ‘’Si, par hypothèse, Ousmane Sonko n’avait pas été reçu par les autorités chinoises, c’est d’abord Pékin qu’il faudrait blâmer, pas notre Premier ministre. Car Sonko représente le Sénégal, pas un parti. En diplomatie, on représente un État, pas une coalition.’’

Et de rappeler que la Chine, par le passé, a reçu Abdoulaye Wade et Macky Sall, et que le Sénégal n’est en rien devenu un pays hostile à ses intérêts. Il poursuit : ‘’Ceux qui s’acharnent sur Sonko oublient que la Chine ne s’embarque pas à la légère dans des visites d’État. Tout est protocolisé, préparé, minuté. Imaginer qu’un Premier ministre puisse entrer sur le territoire chinois sans accueil officiel, c’est ignorer la complexité de la machine diplomatique chinoise.’’

La critique politicienne face à la géopolitique

Derrière ce débat sur l’accueil ou non du Premier ministre se cache une réalité plus préoccupante : l’extrême politisation du débat public au Sénégal, même lorsqu’il s’agit de dossiers diplomatiques. Là où certains pays font bloc autour de leurs représentants à l’international, le Sénégal semble parfois se déchirer jusque dans les couloirs de la coopération. Cette logique partisane, jugée ‘’puérile’’ par certains analystes, risque de nuire à l’image du pays à construire une diplomatie forte et crédible.

Ce que d’autres attendent désormais, ce sont des analyses de fond : quel est le niveau d’engagement chinois dans les projets signés ?  À quels taux de financement le Sénégal s’engage-t-il ? Comment éviter que la coopération technologique avec des géants comme Huawei ne pose des problèmes de souveraineté numérique ? Quelle est la place réelle du Sénégal dans la stratégie africaine de la Chine ?

Autant de questions encore peu débattues, noyées dans le vacarme des polémiques stériles. Et pourtant, le voyage de Sonko en Chine semble bien avoir marqué une étape, à la fois dans sa carrière politique et dans l’agenda stratégique du Sénégal. À condition, désormais, que les engagements pris trouvent une traduction concrète et visible, au bénéfice des populations.

AMADOU CAMARA GUEYE 

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