Un film de déconstruction
Une rétrospective consacrée à Rosine Mbakam est au menu du programme de la 15e édition du Festival international du film documentaire de Saint-Louis (Stlouis’Docs). Lors de la cérémonie d’ouverture de la présente édition, son film ‘’Mambar Pierrette’’ a été projeté. À travers cette production, la réalisatrice camerounaise raconte l’histoire des femmes et des hommes de sa génération à travers le personnage d’une femme (Mambar Pierrette) qui se bat pour prendre en charge sa famille et assurer un avenir meilleur à ses enfants.
´´Mambar Pierrette’’ (Cameroun, Belgique) est un long métrage de Rosine Mbakam, la réalisatrice camerounaise mise à l’honneur lors de cette 15e édition du festival international du film documentaire de Saint-Louis (Stlouis’Docs). Ce film a été projeté lors de la cérémonie d’ouverture de ce grand événement du cinéma mercredi soir à la place Baya-Ndar (ex-place Faidherbe).
Il s’agit du récit d’une génération camerounaise à travers la personne de Mambar Pierrette. Le film met ainsi en scène cette dernière qui se bat pour assurer l’éducation de ses enfants, en l’absence de leur père. Mambar Pierrette tient dans la ville de Douala un atelier de couture. Malgré le fait que son atelier de fortune n’est pas bien placé, la couturière réussit à fidéliser ses clients qui se bousculent notamment à l'approche de la rentrée scolaire ou des cérémonies pour bénéficier de ses services.
Cet atelier est aussi le lieu où ils se confient devant la talentueuse couturière. Ils sont des hommes et des femmes, travailleurs ou chômeurs. Parmi eux, une dame qui est dans l’euphorie de l’attente de son amoureux. Ce dernier, émigré au Canada, ne rentrera pas finalement au pays, laissant la femme perplexe. Il y a aussi un artiste comédien qui confie à la couturière qu’il ne vit pas de son art, malgré son talent et sa célébrité.
Alors que Pierrette a subi une agression au retour de son travail, son atelier est inondé. Les malheurs s'enchaînent, mais elle continue de se battre pour assurer les frais de scolarité de ses enfants, payer ses factures, entre autres.
Ainsi, à travers ce personnage ordinaire, Rosine Mbakam évoque les problèmes auxquels cette génération est confrontée. "Ce que je veux raconter, c’est comment vit cette génération camerounaise’’, a-t-elle soutenu.
Redonner une confiance brisée
Ce film a été sélectionné à la Quinzaine des cinéastes, au festival de Cannes en 2023. Mis dans la catégorie fiction, il est très proche du documentaire.
En effet, pour partager ses propres questionnements, la réalisatrice a choisi ses personnages parmi ses proches. Pierrette est sa cousine. ‘’Je me suis inspirée de sa vie. On a travaillé dans ses lieux : son atelier, sa maison’’, a détaillé Rosine Mbakam. La réalisatrice parle d'une mise en confiance pour que son personnage ne se sente pas en décalage avec sa propre histoire. Madame Mbakam entend, dans ses œuvres, créer une histoire pour redonner une confiance qui a été mise en lambeaux par la colonisation. À ses yeux, c’est une manière de restituer, par le biais du cinéma, "une confiance qui a été brisée".
‘’Je ne veux pas qu’il soit absolument un documentaire ou une fiction. Je veux que ça soit une histoire, parce que dans mon langage, il n’existe pas de documentaire ni de fiction. Il existe juste des histoires. Et je veux me libérer de tout ça pour pouvoir permettre aux gens que je filme de se reconnaître. C’est ça l’importance, pour moi’’, confie-t-elle.
Sa technique est donc peu particulière. Avec le cinéma, elle est dans l’expérimentation. ‘’J’ai découvert les rapports de pouvoir existant dans le cinéma et comment ils avaient été utilisés pour renfermer l’image de l’Afrique dans une représentation que je ne reconnaissais pas", a expliqué la réalisatrice camerounaise.
Interpellée sur le choix de sa personne à la 15e édition de ce festival, elle déclare : "Je suis ravie d’être mise à l’honneur, surtout dans un pays comme le Sénégal. Je suis très touchée parce qu’il y a un héritage cinématographique sénégalais qui m’inspire : Sembène Ousmane, Djibril Diop, Safy Faye que j’adore. Je suis très ravie de venir mettre mes pas sur les enfants de ces grands-là."
Pour sa part, cinéphile d’un soir et administrateur du Fonds de promotion de l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel, Alioune Kéba Badiane se reconnaît dans ce film, pour avoir vu le jour, dit-il, dans une zone où il pleut beaucoup : la Casamance. Et le fait que ce personnage féminin se batte pour éduquer ses enfants le touche énormément. ‘’Que ce soit ici ou ailleurs en Afrique, souvent, nous avons à peu près les mêmes modèles de vie, les mêmes manières de faire. Il ne faut jamais attendre tout de son mari. Il faut savoir se débrouiller. Il y a des difficultés, mais Dieu est au contrôle. Par moments, à force d’abnégation, on finit toujours par gagner sa vie. Et c’est ce qui est arrivé à cette dame battante, résiliente", a-t-il partagé.
Producteur, réalisateur sénégalais et coordonnateur de Stlouis’Docs, Souleymane Kébé a livré ses appréciations. ‘’J’ai toujours aimé les films de Rosine Mbakam, notamment ’Les prières de Delphine’ qui était passé ici au festival de Saint-Louis. Et ce film-là (’Mambar Pierrette’) est très beau, magnifique, avec un personnage féminin fort qui se bat. J’adore ce film. C’est pour cela qu’il est mis en avant’’, a-t-il confié.
BABACAR SY SEYE