Entre fantasmes et réalités
Malgré la grande affluence des heures de pointe qui a fini par obliger certains usagers à rebrousser chemin, le TER tient globalement ses promesses, sur le plan de la ponctualité, du confort et de la sécurité. Voyage à bord de cette belle infrastructure aux mille et un fantasmes.
Arrêt PNR (passage à niveau de Rufisque). Une discussion intense s’improvise hasardeusement entre une personne du troisième âge et une hôtesse très attentive. ‘’Avez-vous un livre où je pourrais noter mes impressions ?’’, lui lance le vieux d’un air un peu amer. ‘’Bien sûr mon père’’, rétorque la jeune fille très calmement, non sans l’interpeller sur les raisons de son amertume. Alioune Mbengue explique : ‘’Vous vous rendez-compte ! J’ai attendu au niveau de la gare de Rufisque pendant plus de deux heures, parce qu’il y avait du monde. Finalement, mon tour est arrivé et je suis dans le train, mais j’ai été obligé de descendre dès l’arrêt suivant (au PNR), parce que j’étais debout, pour une personne de mon âge. C’est anormal.’’
Après avoir religieusement écouté, de manière très posée et convaincante, le membre de l’accueil présente ses excuses et tente de rassurer le sexagénaire, non seulement par rapport à ses suggestions, mais également par rapport aux différentes offres du TER. Elle explique : ‘’Avec la gratuité, c’est vrai que nous avons été pris d’assaut par un flux important de voyageurs. Ce qui peut provoquer ce genre de situation. Mais, de manière générale, nous avons pris pas mal de dispositions pour faciliter le voyage à certaines personnes comme celles du troisième âge, les personnes enceintes et les personnes à mobilité réduite. Il y a une voiture particulière qui doit leur être réservée.’’
A l’usager qui pensait qu’il n’y aurait que des places assises dans le TER, elle précise : ‘’Le train a effectivement une capacité de 565 places, mais les 180 sont assises. Mais nous permettons aux voyageurs qui le souhaitent d’appeler 48 heures avant, pour faire une réservation. Dans ce cas, le jour du voyage, on va le guider jusqu’à sa place qui lui est garantie.’’ A la fois surpris et rassuré, le vieux remercie son hôte, tout en espérant que la phase commerciale ne sera pas aussi compliquée. Il a quand même insisté sur le livre pour laisser des traces écrites de ses premières impressions, confie-t-il, contraint d’écourter son voyage.
‘’Je n’avais pas le choix ; on était serré les uns contre les autres, pas même d’espace pour respirer. Je ne peux pas aller à Dakar dans ces conditions’’, peste-t-il, non sans saluer le TER, qui impactera positivement la mobilité à Dakar et sa banlieue.
A quelques mètres, l’atmosphère est nettement moins tendue. Face à des visiteurs curieux comme des touristes, l’accueil se montre très disponible et généreux dans les conseils et orientations. Depuis mercredi, il n’y a plus d’enregistrement via la plateforme électronique, pour profiter de la période de Sargal. Les gens arrivent, remplissent les formalités d’usage et se dirigent tranquillement vers l’arrêt pour attendre le prochain train. Nous avons suivi la même procédure.
Après les salutations et questionnements d’usage, une belle et accueillante jeune fille nous tend gracieusement le papier qui sert de QR code et qui doit servir à l’aller. Au retour, il faudra se faire délivrer un autre code, explique-t-elle gentiment, au moment où l’horloge affiche exactement 11 h 11 mn 31s, sous le ciel assez clément de Rufisque.
Le billet en main, il faut emprunter la passerelle pour rejoindre la voie qui mène à Dakar. Sur place, un portique que l’on ne peut traverser qu’avec le QR code, un après un. Si, par précipitation, on utilise son code avant que son prédécesseur ne passe la barrière, on risque de perdre son billet. Mais les ‘’hôtesses-valideuses’’ sont là pour veiller au grain, avec beaucoup de minutie et de gentillesse. A côté, d’autres ne cessent de lancer des alertes, de crier : ‘’Eviter de marcher sur la bande jaune ; Buleen dox ci bande bu jaune bi.’’ A tel enseigne que certains pensent que cette bande à la couleur jaune moutarde couvre une ligne électrique. D’aucuns y allant de leurs certitudes. ‘’Dans certains pays développés, on ne voit même pas ces lignes. C’est vraiment dangereux de laisser ça comme ça…’’, entend-on dans une discussion à la gare de Bargny. D’autres estiment qu’il devrait y avoir plutôt une sorte de petit mur pour qu’au moins, les visiteurs puissent l’éviter’’.
Que nenni, leur fera savoir un membre de l’accueil. ‘’En fait, corrige-t-elle, c’est juste par mesure de précaution. Parce que quand le train roule à vive allure, il est très difficile de s’approcher de cette zone, à cause de la puissance dégagée. Pour le moment, le train n’a pas atteint sa vitesse de croisière ; mais il faut en profiter pour la sensibilisation, pour que les gens prennent les habitudes’’.
Un train passe toutes les 10 minutes
En ce jeudi 30 décembre, les trains arrivent à des intervalles réguliers. Comme promis, toutes les 10 minutes environ, il y en a un qui passe. Il est 11 h passées de 22 minutes au PNR ; un autre se pointe avec nettement plus d’espace que ce que décrivait, il y a à peine 10 minutes, le vieil Alioune Mbengue.
En effet, plus le temps passe, moins il y a de rushs dans les différentes gares et arrêts. Casquette bien vissée sur la tête, Selonin témoigne : ‘’Franchement, je n’ai rien à dire. En sortant de chez moi, je n’avais même pas prévu de prendre le train, parce que je n’avais pas toutes les informations. Mais comme j’ai vu les gens entrer, je les ai suivis. Je viens d’arriver, il y a moins de 10 minutes et j’aperçois déjà le train qui arrive. C’est vraiment très bien. Et puis, les procédures sont très simples, l’accueil est impeccable. Pourvu simplement que ça continue comme ça.’’
A l’intérieur de la rame, l’ambiance est bon enfant. Les gens très relax, détendus. On brandit les téléphones. On fait des selfies, en individuel ou en groupe. Et ça discute surtout des bienfaits du bijou, que certains n’hésitent pas à baptiser ‘’le train Macky Sall’’. Moniteur de sport, Ibrahima Sy, Bargnois, trouvé en First Class, n’espérait pas mieux. ‘’C’est un grand plaisir. Moi, je pensais que c’était un train qui n’a rien de spécial, un train ordinaire comme ce qu’on avait l’habitude de voir. Là, je me rends compte que nous avons un train de la dernière génération. C’est un confort extraordinaire avec la climatisation. C’est rapide, mais surtout, il y a la sécurité’’, se réjouit le Bargnois qui prenait, auparavant, trois bus pour se rendre à son lieu de travail. Il précise : ‘’Je prenais d’abord la ligne 74 pour rallier l’arrêt de la ligne 57 à hauteur de Sococim. Ensuite, je descends à la Patte d’Oie pour poursuivre le trajet jusqu’aux Almadies, avec la 61. Parfois, j’étais contraint de prendre le taxi pour ne pas être en retard. Ce qui coûtait excessivement cher, sans parler des heures perdues.’’
Avec le TER, renchérit le Bargnois, c’est un bus de moins. ‘’Je le prends chez moi à Bargny, je peux descendre à hauteur des Baux Maraichers pour prendre un bus jusqu’à mon lieu de travail. Je peux aussi aller en ville et prendre un bus. Cela m’arrange’’.
Le seul hic, selon le moniteur, c’est le coût. ‘’Je trouve que c’est un peu cher. A 500 F, ce serait parfait. Pour Adja Mariétou et Aminata Diouf, les tarifs sont quand même assez abordables, vu le confort à l’intérieur. ‘’En tout cas moi, je pourrai le prendre très souvent pour faire le trajet Pikine - Colobane. C’est venu à son heure, parce qu’on était fatigué des embouteillages et des bus bondés de monde’’.
11 h 53 mn. Exactement 31 minutes après l’embarquement à l’arrêt PNR, le TER arrive à la gare de Dakar. Tout le monde est invité à descendre, tout en évitant d’y oublier des bagages.
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La résistance des moyens traditionnels
Malgré la gratuité, d’autres continuent de prendre leurs moyens habituels de transport, soit par déficit d’informations, soit par peur des fortes affluences.
Ceux qui pensaient qu’avec le TER, c’est la fin des embouteillages et des problèmes de mobilité à Dakar n’ont qu’à déchanter. Non seulement les bouchons continuent, mais aussi certains usagers peinent encore à se déplacer. A la Place de l’indépendance, vers les coups de 15 heures, quelques clients attendent des véhicules, qui viennent de temps en temps. Certains se permettant même de sectionner le trajet Place de l’indépendance-Sonadis ou à porter les prix de 1200 à 1300.
Très fidèles, les clients attendent sagement leur tout, au niveau de cette ‘’gare’’, à côté de la Banque agricole. Debout sur la petite ruelle, ce vieux revient sur les raisons qui l’ont poussé à ne pas aller à la gare. ‘’C’est juste parce qu’on est en phase test. Je préfère attendre jusqu’à nouvel ordre. Cela permettra d’avoir plus d’échos, mais aussi de ne pas trop se bousculer’’. Véhiculé, le quinqua envisage, si les promesses sont respectées, de garer de temps en temps son véhicule, pour prendre le train. Il déclare : ‘’J'habite à deux ou trois km de la gare, surtout les lundis et vendredis avec tous les embouteillages. Le TER va donc m’arranger… C’est beaucoup plus rapide’’.
Pour rallier son lieu de travail, le Monsieur qui a préféré garder l’anonymat confie avoir fait, hier, plus de deux heures. ‘’J’ai quitté chez moi à 7H 35 et je suis arrivé à mon bureau à la Cour suprême à 9H40 mn, à bord des taxi boko (covoiturage)’’, a-t-il indiqué.
Abondant dans le même sens, Ablaye Fall estime que le train sera d’un grand apport, quand la phase commerciale va commencer. Il témoigne : ‘’Depuis 8 ans, je rentre à la ZAC de Mbao, tous les jours. Je prends tous les jours le taxi, 1200 francs à l’aller, 1200 francs au retour. Mon seul souci avec le TER, c’est qu’il n’y a pas encore de clando qui assure le trajet entre la gare et là où j’habite vers la Brioche dorée. Mais, j’espère que les clandos vont s’adapter’’.
Outre la prudence, la peur des embouteillages, d’autres ont surtout relevé le déficit d’informations, pour justifier leur choix de prendre les moyens traditionnels. Mme Sarr explique : ‘’Moi je pensais qu’il y avait une obligation de s’inscrire en ligne. Je ne savais pas que cela a été annulé. C’est vous qui me l’apprenait. Aussi, avec la gratuité, c’est sûr qu’il y aura un rush’’. Comme pour confirmer ses suspicions, Adja Seynabou Ndiaye raconte sa mésaventure du matin. ‘’Je suis là, parce que, ce matin, j’ai été jusqu’à la gare de Rufisque pour prendre le TER. Mais, il y avait un monde fou. C’est pourquoi je suis là. Peut-être cela va changer, quand la phase commerciale va démarrer’’.