Publié le 7 Mar 2014 - 21:26
ZAHRA IYANE THIAM (CONSEILLÈRE SPÉCIALE A LA PRESIDENCE)

''Il faut aller vers la suppression du ministère de la femme...''

 

Conseillère spéciale à la présidence de la République, Zahra Iyane Thiam Diop milite pour la suppression du ministère de la Femme dans sa forme actuelle, défend et combat l'avant-projet de constitution et juge prévisibles les blocages actuels de la revue du code électoral. Entretien. 

 

La journée dédiée à la femme va être célébrée demain. Pouvez-vous nous faire le point de la politique de l'État pour l'équité des genres ?

Au Sénégal, voilà bientôt plus de 50 ans qu'on lutte pour le respect des droits des femmes. Certes il y a eu des avancées dans ce sens depuis qu'elles ont acquis le droit de vote dans les quatre communes jusqu'à aujourd'hui où on a une loi sur la parité. Si nous devons faire le bilan, nous dirons qu'il reste beaucoup à faire. Dans la politique de l'État du Sénégal, il était question de rendre la femme égale à l'homme notamment en termes d'accès à la terre, au statut familial, aux ressources afin de mieux promouvoir leur bien-être et celui de leurs familles.

Ces objectifs sont-ils atteints aujourd'hui ?

Malheureusement nous disons que la précarité est toujours présente chez la femme. La féminisation de la pauvreté est une réalité pour deux raisons au moins : les politiques qui ont toujours été menées ont contribué à maintenir la femme dans la précarité. Je reviens d'une tournée où j'ai rencontré des femmes qui m'ont dit qu'elles veulent sortir du système de micro crédit et de micro réalisation.

Aujourd'hui, de par le système de distribution de moulins à mil, de financement, les femmes se complaisent à rester dans leur situation, alors qu'elles représentent plus de la moitié de la population du pays, 65% de la population active qui sont en majorité dans le secteur informel. Cela veut dire qu'elles ne contribuent pas effectivement à la croissance du pays.

Que faire pour inverser la tendance ?

Il faut changer de paradigme, en arrivant à leur faire faire un bon qualitatif. Il faut sortir des activités génératrices de revenus et aller vers la production de revenus conséquents. Pour moi, il ne sert à rien de conserver un ministère dédié à la femme si l'on sait que la femme est transversale. On retrouve les femmes au niveau de tous les ministères.

Si nous avons un ministère uniquement de la Femme, tourné vers une orientation politique politisée, cela pose problème. La part qualitative et quantitative que pourrait apporter la femme au niveau du développement économique est biaisée. De mon point de vue, il serait intéressant d'aller vers la suppression du ministère de la Femme, à défaut d'en faire un ministère de la Femme et du Développement.

Comment appréciez-vous les résultats du Sénégal au Groupe consultatif de Paris ?

Doublement. D'abord on peut apprécier le Groupe consultatif de Paris à l'aune de ce qu'on était parti rechercher et de ce qu'on a eu en termes de manne financière. Mais il faut plus l'apprécier à l'aune de son contenu. Le Plan Sénégal émergent est une nouvelle vision de développement.

Le chef de l'État sort du schéma classique de développement pour adopter une nouvelle vision de rupture et d'innovation axée sur trois piliers : la bonne gouvernance, la création de richesse et l'efficacité de l'investissement public. Pour cela, on doit passer par la résolution du problème énergétique, du déficit d'infrastructure, par le règlement de la crise du système éducatif. Le succès devrait être apprécié à l'aune de l'exécution de ces différents chantiers.

Quelles seraient les conséquences d'un échec du PSE ?

Il ne peut pas y avoir d'échec car même si nous restons les bras croisés, on a un taux d'accroissement du PIB de l'ordre de 0.5%. Ce qu'il peut arriver, c'est par exemple de ne pas atteindre les objectifs fixés. Les 10 mille milliards qui seront mobilisés dans le cadre de ce plan représentent une infime partie du PSE.

L’État, déjà, part de ses propres ressources à 65%, les autres ressources étant puisées au niveau du secteur privé et des partenaires techniques. La question qu'il faudrait se poser aujourd'hui, c'est celle des comportements... Même si le président de la République n'a pas le droit d'échouer, il ne pourra pas faire tout seul ce programme. Il faut aller ensemble vers l'exécution de ce plan.

En tant que politique, comment appréciez-vous le rapport de la CNRI ?

C'est un rapport que j'apprécie très positivement. D'abord je remercie toute l'équipe qui a participé à ces travaux et conduite par le Pr Amadou Makhtar Mbow. Je salue le sacrifice et l'esprit de patriotisme développés de la manière la plus impartiale et objective possible. J'adhère totalement au style qui a été mis en œuvre pour arriver à l'exécution des missions conformément au décret.

Ils ont voulu être efficaces d'abord en proposant des recommandations et ensuite en proposant un projet de constitution qui pourrait être une finalité. De ce point de vue, j'adhère totalement à ce qu'ils ont fait et je le prends sous l'angle d'une participation pour rendre nos institutions plus solides.

Des caciques du pouvoir accusent la CNRI d'avoir outrepassé sa mission. 

À chacun sa compréhension de la chose. Pour moi, la CNRI est une commission qui n'a outrepassé en rien ses missions si ce n'était de vouloir être efficace. Le travail de la commission, en partie, découle des Assises nationales. Le projet de constitution qui est proposé, on en avait parlé en 2009 du temps de Benno Siggil Senegaal (BSS).

Mais nous n'étions pas arrivés à avoir un consensus sur 27 points. Si aujourd'hui un tel projet est présenté, il faudrait l'amener là où se trouve la représentation nationale pour que des débats puissent avoir lieu. Il y a des réflexions qui sont consolidantes pour la démocratie et l'État de droit, mais d'autres devraient être approfondies pour plus de cohérence.

Par exemple, l'encadrement de l'âge du candidat à la présidentielle de 35 à 70 ans ou l'autre disposition qui dit qu'en cas de vacance, le président est suppléé par le président de l'Assemblée nationale et suivant le protocole, si le président de cette institution venait à être indisponible. Dans ce cas, il faudrait encadrer l'âge des suppléants si on veut être dans la logique.

Une disposition interdit au Président d'être en même temps chef de parti. Y adhérez-vous ?

Non ! Nous ne sommes pas d'accord et c'est une position que nous avions défendue lors des Assises nationales. Nous avons la même position sur notre mode de gouvernance. Si nous voulons aller dans le sens de la décentralisation, dans une perspective de gestion démocratique des affaires publiques, on ne peut pas cautionner le modèle monocaméral que propose la CNRI. Ce serait anti démocratique. Il faut qu'on ait deux chambres si c'est pour consolider la démocratie.

Il y a un risque de report des Locales face au blocage des travaux de la revue du Code électoral...

Pour le moment, nous nous en tenons à la date fixée par le ministère de l'Intérieur. Notre parti est en pleine préparation de ces joutes. Je rentre même d'une tournée au cours de laquelle nos comités électoraux ont été installés. Pour nous, il ne s'agit pas de mettre sur une liste des gens qui ont été instruits à l'école. On peut ne pas avoir été à l'école, l'essentiel est que toutes les catégories se retrouvent dans la commune qui doit refléter la diversité de l'entité.

Pour ce qui est du blocage des travaux de la revue du Code électoral, nous avions proposé l'institutionnalisation d'une journée de dialogue national pour éviter ces genres de conflits. Il nous faut aller vers cela pour que non seulement le fil du dialogue politique soit renoué, mais qu'on puisse discuter des questions essentielles en dehors des périodes stratégiques. Nous sommes dans un contexte d'élection. Pourquoi veut-on changer le mode de scrutin ? C'est parce qu'il y a des intérêts stratégiques qui sont en jeu. Donc forcément, ces blocages étaient prévisibles...

PAR ASSANE MBAYE

 

 

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