Me Wade n’entendez-vous pas les appels qui bruissent des entrailles du Sénégal appelant à votre retrait de la présidentielle ? Dakar, Podor, Matam, Rufisque, Kaolack, Tambacounda, Kédougou… Un même embrasement, un même cri : « libérez le peuple » !

 

Un soulèvement populaire, au succès chaque jour renouvelé, que d’un revers de rhétorique vous feignez de réduire à « une brise ». La saison, Monsieur le Président, est pourtant celle de l’Harmattan et non des alizées… Votre police tire à balles réelles sur ses propres concitoyens et les cadavres s’amoncellent au seuil de votre palais contredisant vos promesses de naguère. Les bombes lacrymogènes crépitent, les femmes et les enfants pleurent, des cris de douleur et de détresse fusent depuis la Place de l’Indépendance, un symbole de l’émancipation aujourd’hui souillé et barricadé. L’angoisse des lendemains incertains a paré de ses couleurs les ciels sénégalais. Votre brise est décidément du côté de la bise acérée et aiguisée comme la lame d’un kadiandou.

 

Monsieur le Président ne voyez-vous pas cette jeunesse exaltée prête à mourir pour tenter de goûter du bout des lèvres le mil de l’avenir ? Un avenir morose que vous et votre clique avez déjà fortement hypothéqué en torpillant la constitution, en institutionnalisant la concussion et la corruption comme mode de fonctionnement d’une République bradée au clientélisme et aux confréries, au détriment de la paupérisation du plus grand nombre. Mais la jeunesse a besoin de rêves pour continuer d’espérer. Les leaders du M23 portent haut ce combat de la liberté en marche dans l’histoire, ce corps à corps entre « l’Homme et la Bête ». Le foyer de la liberté, Monsieur le Président, a toutes les audaces. Il ne s’éteindra pas. Dans son recueil Veines sauvages, le poète Amadou Lamine Sall a écrit :

« La liberté arrive et elle ne pardonnera point

A ceux qui l’on battue et violée (…)

Elle ne pardonnera point …)

A ceux qui ont craché sur elle (…)

La liberté arrive (…)

Et elle tue pour que renaissent un temps nouveau et un nouvel âge (…) »

 

Dans un temps qui semble désormais lointain vous étiez adepte de cette liberté et militiez pour le changement : « SOPI ». Que reste-t-il de votre engagement après avoir déraciné le baobab ? L’image triste et tragique d’un Président dont les traits s’apparentent tantôt à ceux de Caligula tantôt à ceux du Roi se meurt de Ionesco qui, jusque dans son dernier souffle, tenta d’espérer que les Rois puissent être immortels. Eusse votre fils Karim été vertueux, il aurait pu vous dire que cette immortalité n’était que provisoire… Dommage qu’il ait été nourri au grain de la loi salique.

 

Tant qu’on est vivant, tout ne peut être prétexte à la politique ! Ne précipitez pas la terre de Maba Diakhou Ba, Lat Dior et Cheikh Amadou Bamba dans un chaos irréversible. Ne soyez ni sourd, ni aveugle ! Ce sont là les symptômes de vieillards « usés et fatigués ». Avec vos 86 ans, votre situation ne saurait évidemment souffrir la comparaison avec celle de Chirac en 2002.

 

Vous avez fait votre temps. Il est l’heure de partir, de saluer une dernière fois Kébémer. De, Guediawaye, Ouakam, Niary Tally, Fass, Castor, « des homme pouss[ent]. Une armée noire, vengeresse, (..) germ[e] lentement dans les sillons, grandissant pour les récoltes du siècle futur, et dont la germination [va] bientôt faire éclater la terre ».

 

Votre dernier rendez-vous avec l’histoire a sonné. C’est demain, le 26 février 2012.

 

Caro Roussy

(Historienne)