La Révolution de Didier Awadi
Au Sénégal, Didier Awadi a sorti récemment, Ma Révolution. Un album aux sonorités reggae, avec parfois des cuivres. Dans cet album de dix-sept titres, le rappeur sénégalais multiplie les collaborations avec des artistes aux styles radicalement différents. Outre un duo réussi avec l’Haïtien Wyclef Jean, Awadi s’associe à Viviane Chedid (voix émérite du mbalax sénégalais) ou au rappeur Duggy Tee. Interview.
RFI Musique : Qu’entendez-vous par "Ma révolution" ?
Didier Awadi : Quand on regarde tout ce qui s’est passé dans la sous-région ouest-africaine et un peu partout dans le monde, en Egypte, en Tunisie etc., il y a un air de révolution. J’aimerais qu’on aille au bout de cette révolution, qu’on change les systèmes et les réflexes hérités du colonialisme, afin de nous développer. Il faut par exemple, que les paysans puissent profiter des richesses de la terre de nos pays. En somme, que le peuple profite du développement.
Qu’est-ce qui a inspiré cet album : est ce que les mouvements qui se sont produits lors de la campagne électorale sénégalaise vous ont influencé?
Cette campagne électorale fait partie des éléments de la réflexion. Mais il y a aussi ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire, en Libye, au Mali, en Guinée-Bissau… les remises en cause de Wall Street, les accords de partenariat entre le Nord et le Sud. Bref, c’est un mouvement global, il y a un air de révolution dans le monde : les gens veulent changer le système capitaliste tel qu’il est aujourd’hui. Je pense que c’est le moment pour l’Afrique d’agir autrement et d’adopter les politiques basées sur nos réalités.
Comme dans Présidents d’Afrique, votre précédent projet, les "pères fondateurs" sont encore très présents dans votre réflexion…
Oui. Je fais toujours référence aux pères fondateurs car ils ont mené une réflexion qui n’est pas arrivée au bout. La réflexion de Kwame Nkrumah, sur l’intégration, c'est-à-dire sur le fait qu’on puisse voyager sans problème dans tout le continent, donc avec un passeport unique, une diplomatie unique, une armée unique etc., cela nous aiderait à faire face à toutes ces attaques intégristes. Des gens comme Thomas Sankara avaient réfléchi à des solutions. Et cela est toujours de mise aujourd’hui.
Dans cet album, vous multipliez les collaborations avec d’autres artistes. Pourquoi ?
Toutes les expériences sont spéciales. Travailler avec Wyclef Jean des Fugees est important parce qu’on partage les mêmes idées de mieux-être pour nos pays. Lui, étant Haïtien vivant aux Etats-Unis, moi, étant Sénégalais. Dans chaque collaboration, on s’enrichit. Puisque j’ai un studio à côté de chez moi, à chaque fois qu’un artiste est de passage, on enregistre un titre. Chaque fois que je voyage, j’enregistre avec d’autres artistes.
Ma révolution tranche avec vos précédents albums : vous quittez le rap pour le reggae, pourquoi ?
J’aime la culture reggae mais je n’ai jamais eu le courage d’y aller, parce que pour en faire, il faut chanter très bien. Or je n’ai pas la voix pour cela, je suis plutôt rap. J’ai essayé de trouver la symbiose entre le rap et le reggae, sans les dénaturer, ni l’un, ni l’autre. Et je l’ai fait avec beaucoup de bonheur. J’ai eu la chance de rencontrer Tyrone Downie qui était le clavier de Bob Marley, qui m’a aidé à travailler le concept.
Dans cet album, vous consacrez un titre à la paix en Casamance. On en est à trente ans de conflit, cette situation vous touche ?
Quand mon père est arrivé du Bénin, il a commencé sa carrière en Casamance, à Djinaki. J’ai grandi là-bas. Et trente ans de conflit, c’est trop. J’ai trop vu la détresse de gens qui n’arrivent pas à se construire. Qu’on soit dans le maquis, dans l’armée ou dans le gouvernement, ou simple citoyen sénégalais, on souffre tous de cette crise. Mon devoir est de continuer de faire ce plaidoyer pour la paix.
Avez-vous toujours l’intention de faire une tournée pour divulguer ce message en Casamance ?
Il est important de faire cette tournée. Je suis récemment rentré au village et cela m’a convaincu qu’il faut faire cette action. Notre tournée passera par Ziguinchor, Bignona, Oussouye, Kolda et Sédhiou. Le but est de parler avec les populations, en particulier les jeunes, pour leur dire que trente ans, c’est trop. Essayons d’arriver à un dialogue direct entre les acteurs –le gouvernement et les chefs du maquis- pour qu’ils tentent de préparer les conditions d’une paix. Tous ces jeunes qui se battent dans le maquis aspirent à la paix. On ne peut pas se battre éternellement.
RFI