Publié le 24 Jan 2013 - 10:00
DOUDOU SARR, LEADER DU NOUVEAU PARTI DU TRAVAIL

''Macky Sall semble isolé dans le combat sur les biens mal acquis''

 

Depuis la débâcle de la coalition Walu dont il était la tête de liste aux Législatives du 1er juillet 2012, Doudou Sarr, leader du Nouveau parti du travail (NPT), s’était fait discret. Mais ce membre du directoire du M23 n’est pas moins engagé dans le combat pour la bonne gouvernance. Dans cet entretien accordé à EnQuête, l’ancien ministre du Plan sous Wade se prononce sur les dissensions qui minent le M23, le bilan des 8 mois de Macky Sall, la traque des biens mal acquis… Sur ce dernier point, il pense que les choses ne doivent pas se limiter en 2000, mais au-delà.

 

 

Vous avez décidé de muer le M23 en association, une décision contestée par les jeunes. Qu’est-ce qui motive ce choix ?

 

Il faut rappeler que le M23 est un patrimoine national commun. Il n’a pas de propriétaire exclusif sinon le peuple sénégalais. L’expérience de la lutte nous a enseignés que l’unité du M23, pour son indépendance vis-à-vis des partis politiques, était corrélée à son indépendance. Le M23 n’a jamais demandé d’autorisation pour organiser une manifestation, il passait par les partis pour le faire. Donc il dépendait de la décision des partis. Or le caractère hétérogène du M23 impose qu’il cherche des actions de son indépendance.

 

Quand vous parlez d’indépendance financière, est-ce à dire que le M23 aura un but lucratif ?

 

Pas du tout, mais le M23 a vocation de chercher par lui-même ses propres fonds, sans dépendre de la dominance de tel ou tel parti politique. Il a un impératif, c’est d’être à équidistance des partis politiques. Or pendant la lutte - et cela se comprend - nous dépendions intimement du financement des partis politiques qui ont beaucoup plus contribué que les organisations de la société civile. Personne n’est critiquable sur ce point-là. Mais il revenait à la direction du M23 de chercher des financements autonomes.

 

N'est-ce pas contradictoire de vouloir être équidistant des partis politiques et en même temps permettre à ces mêmes partis d’en être membres ?

 

Non ! Toute l’histoire de l’alliance politique dans notre pays au moment de grands combats politiques s'est constituée en association de partis politiques indépendants les uns des autres, ainsi que les différentes organisations de la société civile, des syndicats particulièrement.

 

Et si un membre de l’Alliance pour la République (APR) s’opposait à une décision, arrêtée par le M23, qui ne conviendrait pas au pouvoir, qu’en serait-il ?

 

Cela dépendra de la décision souveraine des instances du M23. Il faut rappeler que le M23 a marché par consensus. Il est vrai que l’APR a une contribution décisive dans la constitution du M23, mais l’exemple dont vous parlez peut effectivement se produire. J’observe d’ailleurs que lorsque je suis l’actualité, ce sont des membres de l’APR qui contestent, y compris, contre les plus hautes autorités du pays. Donc ils ne nous attendent pas pour élever la voix. Le M23 n’est pas un parti d’opposition, c’est la convergence des actions du peuple sénégalais. L’assemblée générale avait pour but de passer en revue le combat du M23, de tracer des perspectives et surtout de rappeler que, contrairement aux allégations qui sont faites, aucun décret ne peut signer la mort du M23. C’est le peuple sénégalais qui en décidera.

 

Madame Penda Mbow pense que la mission du M23 est terminée...

 

Chacun est venu au M23 avec son passé, son vécu politique, son capital militant. Je suis sûr qu’il ne s’agit pas seulement de Penda Mbow. Beaucoup de gens étaient dans le M23 pour empêcher la candidature d’Abdoulaye Wade. D’autres y sont venus dans une perspective beaucoup plus longue. Mais c’est l’action du peuple sénégalais qui a tranché.

 

On a l’impression qu’il y a une querelle de leadership au M23, chacun s’érige en porte-parole...

 

On ne peut pas le dire réellement. Si nous faisons l’inventaire du M23, la quasi-totalité de ses problèmes sont importés d’ailleurs ; c’est-à-dire des partis politiques au M23. Des membres de Benno Bokk Yaakaar pensent qu’ils n’ont pas été servis - ce n’est pas mon vocabulaire - et protestent. Apparemment, il leur est plus facile de protester au sein du M23 qu’ailleurs, mais le M23 se refuse à être le porte-voix des ambitions légitimes ou non des responsables qui ne s’estimeraient pas servis ou mal servis. C’est cela qui explique les vociférations de part et d’autre.

 

Quel regard portez-vous sur les 8 mois de Macky Sall au pouvoir ?

 

Wade a été chassé du pouvoir pour les mêmes raisons qui ont chassé Abdou Diouf. Le quart de la population du Sénégal cherche du travail. Chaque année, il y a 170 000 demandeurs d’emploi supplémentaires. Cela est démontré lorsque vous faites le décompte (la différence) entre le nombre de demandeurs d’emploi et les emplois créés. Il n'y a pas un problème plus urgent que celui-là. Entre 2000 et 2010, en ce qui concerne les biens de consommation courante, le pouvoir d’achat était divisé par deux pour certains ménages, réduit au néant pour les ménages dirigés par des retraités.

 

 

''Le gouvernement est coupable de n'avoir pas commencé son travail''

 

 

Le président Macky Sall a promis le recrutement de 5500 personnes dans la Fonction publique. Est-ce un début de solution ?

 

Il faut dire qu’à la différence de ses prédécesseurs, le candidat Macky Sall a eu le courage de faire des propositions visant à stopper l’avancée du chômage (NDLR : la création de 500 000 emplois). Beaucoup pensent que c’est une proposition irréaliste, mais si nous mobilisons le peu de moyens que nous avons, ces propositions deviennent réalistes.

 

Concrètement, comment le président Macky Sall pourra créer 500 000 emplois ?

 

Je fais partie des partis politiques qui, le premier sous le règne du PS (Parti socialiste), ont commencé à soulever cette question. A l’époque, c’était plus de 100 000 demandeurs d’emploi supplémentaires non servis par an. Un problème, lorsque vous ne le résolvez pas, il s’aggrave. Aujourd’hui, c’est 170 000 demandeurs supplémentaires. Pour savoir si la proposition de Macky Sall est réalisable, il faut évaluer le coût. En 2000, notre parti (Union pour le renouveau démocratique/ Front pour l'alternance - URD/Fal) le chiffrait entre 20 à 120 milliards par an. Pourquoi ? Beaucoup de diplômés n’ont pas de métier, ils doivent recevoir une qualification. La démobilisation est telle qu’il faut payer ces jeunes pour qu’ils acceptent d’être formés, en leur donnant l’équivalent d’une bourse entière, 36 000 F Cfa par mois, au mieux 50 000 F Cfa par mois. Vous en arrivez à un pourcentage dérisoire du budget national actuel. C’est pour vous dire que la proposition du président de la République est plus que réaliste. Mais il ne s’agit pas d’avoir de l’argent pour créer des emplois, il y a les activités à développer pour attirer l’emploi.

 

Lesquelles ?

 

Il s’agit de travail d’une durée d’au moins 5 ans par bénéficiaire dans une activité que nous maîtrisons, une activité qui correspond au secteur solvable du marché. Pour ce faire, il suffit de regarder notre balance commerciale. Si vous neutralisez l’inflation des produits pétroliers, 40% de ceux que nous importons sont destinés à la consommation, 40% destinés aux produits courants, 10% sont dévolus aux produits médicaux et paramédicaux.

 

Le président Macky Sall compte sur l’agriculture pour résoudre l'équation du chômage endémique...

 

Je ne parle pas d’agriculture. Nous importons plus de 2000 milliards. Si vous neutralisez les produits pétroliers, vous vous rendrez compte que nous importons plus de 600 milliards par an de produits agroalimentaires. Or ces produits sont produits au Sénégal à moindre coût que ceux importés. Nous avons le marché, la main-d’œuvre, la demande solvable, donc nous pouvons produire. Mais pour cela, il faut gérer le pays. Ce qui n’est pas le cas.

 

Pourquoi ?

 

Ce que je viens de dire relève de la gestion. Un pays, il se gère. Il y a le management des entreprises et le management du gouvernement.

 

Qui en est le responsable ?

 

Le gouvernement dans son ensemble. Je dis amicalement que le gouvernement est coupable de n'avoir pas commencé son travail. Il ne démarre ni bien ni mal, il n’a pas encore démarré. Il n’a pas encore attaqué le problème à bras le corps.

 

Il est convenu que le président Macky Sall a hérité d’une situation économique catastrophique. N'est-ce pas une bonne excuse ?

 

Ce n’est peut-être pas une excuse, c’est une réalité. Le gouvernement a hérité d’une situation beaucoup plus difficile que les gens ne le pensent. Je prends l’exemple de la soutenabilité de la dette. Pour la mesurer, les observateurs se basent sur la proportion par rapport au Produit intérieur brut (Pib). C’est l’un des critères, mais concrètement la dette c’est ce qu’on rembourse chaque année. Or on me dit que ce qu’on rembourse chaque année, c’est 40% des recettes budgétaires. C’est insoutenable. L’encourt par contre est soutenable. Mais le service annuel de la dette ne l’est pas. Car c’est presque la moitié de nos ressources que nous utilisons pour rembourser la mauvaise dette.

 

''Nous avons connu la prédation sous Senghor, nous sommes aujourd’hui en face de ses enfants et bientôt des petits enfants de la prédation.''

 

 

 

Pourquoi est-ce une mauvaise dette ?

 

Une dette pour accroître la richesse, pour accroître le PIB, est une bonne dette, mais une dette qui aide uniquement à consommer, à désinvestir, n’est pas une bonne dette. Il faut que nous tirions la leçon de l’époque de l’ajustement, ce qui apparemment n’est pas le cas.

 

Que pensez de la traque des biens mal acquis ?

 

Au regard de la diversité des personnes impliquées, les sommes en cause sont trop importantes pour que le gouvernement puisse renoncer.

 

On parle de 1000 milliards...

 

C’est plus que ça. Les personnes en cause sont des deux côtés de l’échiquier politique. Le gouvernement ne peut pas renoncer.

 

Qui sont ceux qui sont de l’autre ?

 

Je ne citerai pas de nom. Par contre, il s’agit de savoir ce que l’on veut. Je ne suis pas un directeur de conscience, ce qui m’importe, c’est d’être inébranlable sur la récupération des biens mal acquis. Ce qui n’est pas le cas, actuellement. Je le constate.

 

Qu’est-ce qui fonde votre constat ?

 

Le président me semble isolé dans ce combat. Je n’ai pas vu des débats, des conférences publiques organisées par les partis politiques sur ces questions-là. Je ne comprends pas pourquoi tous ceux qui ont manifesté pour la transparence du fichier ne soutiennent pas le président sur cette question. Ce travail ne relève pas uniquement de questions juridiques banales. C’est un combat politique, pour la défense de la souveraineté nationale. La question de la récupération des deniers ne concerne pas uniquement notre pays, mais aussi des pays étrangers. Sur ce point-là, il faut une unité nationale, parce que l’expérience prouve que nos partenaires n’ont pas l’habitude de nous rendre notre argent. Après tout, ce sont leurs banques qui accueillent cet argent détourné. Ceux qui nous donnent des leçons ont leurs agents qui nous pillent nos ressources à travers la surfacturation des biens importés. La troisième chose, c’est que les ressources qui sont dissipées avant 2000 sont très importantes pour passer par pertes et profits.

 

Partagez-vous l’avis de ceux qui demandent un audit de la gestion des différents régimes depuis 1960 ?

 

Bien sûr ! (il insiste) Les sommes en cause avant 2000 sont telles qu’elles ne doivent pas être soustraites à la Cour de répression de l’enrichissement illicite. Pour moi, un coup économique n’est pas prescriptible. Nous avons connu la prédation sous Senghor, nous sommes aujourd’hui en face de ses enfants et bientôt des petits-enfants de la prédation.

 

 

PAR DAOUDA GBAYA

 

 

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