Le Pape dans le futur
L’annonce de l’élection d’un souverain pontife François 1er, lien des hommes à Dieu, montre que l’Église catholique continue à surmonter les scandales et les crises qui ponctuent sa marche séculaire. Mais l’acte posé par son prédécesseur amène à s’interroger sur la logique qui aura guidé le choix du conclave des 115 cardinaux et un double questionnement s’impose. Le premier porte sur la personnalité du 266e pape, le second sur sa capacité à faire face aux défis que lègue le vicariat précédent. Les polémiques sur la double vie des prêtres, assumée publiquement, n’ont pas seulement vu les dissidents de l’Église transgresser ses enseignements, mais aussi chercher à lui opposer désormais des valeurs humaines nouvelles basées sur la contestation de ses ''lois inhumaines présentées comme la volonté de Dieu''.
Les dissidents sont issus en 1973 des entrailles de l’Église italienne et regroupés en une communauté de chrétiens fondée par le prêtre Franco Barbero au lendemain de ses fréquentes rencontres avec des croyants qui se confessent ouvertement homosexuels. Un congrès sur le thème ''Foi et homosexualité'' qu’il projette d’organiser se heurtant à de tenaces obstructions, le prélat félon fait un coup d’éclat en célébrant dans sa petite communauté l’eucharistie de mariage de deux garçons en février 1978. Puis avec l’aide du pasteur Eugenio Rivoir, le directeur du centre œcuménique piémontais Agapé, il réussit enfin à rassembler son congrès, ''une manifestation de liberté'' autour de son thème favori et publie un livre sur ''Homosexualité et Évangile''. Il conceptualise une église où Dieu n’a pas fini son histoire avec l’humanité, ''une église laboratoire au sein de laquelle trouvent à se développer de nouvelles impulsions, de nouvelles avancées''.
Ces avancées et impulsions nouvelles sont arrêtées net le 13 mars 2003 quand à 7 heures du matin, l’évêque de Pinerolo Monseigneur Piergiorgio Debernardi lui remet le décret qui lui signifie son exclusion du sacerdoce, signé par le Cardinal Joseph Ratzinger, chef de la Congrégation pour la doctrine de la foi et futur Pape Benoit XVI. La riposte du prêtre défroqué à sa chère Église est corrosive : après un réquisitoire en règle, il conclut : ''Abandonne cette structure de pouvoir qu’est la papauté afin de mieux redécouvrir un ministère qui serait véritablement un service ; renonce à vouloir jouer les puissants et les prima dona ; quitte la prison de tes comportements impériaux, embrasse le rêve de Dieu…'' Il n’est pas seul dans l’égarement. Sur les 700 000 lettres qu’il reçoit, 7 000 sont signées par des prêtres et des sœurs parmi lesquels 5 000 se déclarent homosexuels.
Il est symptomatique que ce soit ''cette structure de pouvoir'' que stigmatise Don Franco, qui a élu hier un nouveau Pape, dix ans jour pour jour après son excommunication. Le Cardinal Jorge Mario Bergolio qui a choisi le nom de François 1er, est aussi le premier Pape issu de l’hémisphère sud mais il s’agit de l’Argentine peuplée majoritairement d’immigrés italiens et espagnols.
C’est un pays dont la constitution dit clairement que pour y être élu président ou vice-président de la République, il faut être de confession catholique. Mais encore, cette fille lointaine de l’Eglise socialement agitée par des coups d’Etat et des révolutions avait interdit en 1946 le vote aux homosexuels. Le Vatican n’a donc renoncé à imposer un Italien que parce qu’il s’en trouverait un d’immigration relativement récente en pays lointain où les Européens ont porté le nom du Christ. Malgré sa santé fragile, il devra certainement porter le combat du document ''Persona Humana'' édicté par le Pape Paul VI en 1975.
C’est une déclaration sur les questions d’éthique sexuelle qui répertorie les abus de la faculté sexuelle comme les rapports avant le mariage, la masturbation et les relations homosexuelles. C’est bien en ce moment que le Vatican avait déclaré la guerre sainte de par le monde aux homosexuels des deux sexes. Nous venons de voir combien ce genre avait investi l’Église et avait renforcé ses positions dans le clergé au point de donner au Pape allemand tellement de soucis qu’il avait finalement renoncé à ses charges. Une enquête publiée en juillet 2010 par un magazine italien avait montré en couverture les mains jointes d’un prêtre serrant entre ses doigts aux ongles laqués de rouge, un chapelet. Le titre est féroce : ''Les belles nuits des prêtres gays''. Les statistiques le sont plus encore car une des personnes interviewées soutient que 98% des prêtres qu’elle connaît sont des gays.
La réaction des autorités cléricales de Rome, diffusée par l’Agence de presse Ansa, avait flétri ce qu’elles qualifiaient d’enquête dépourvue d’informations concrètes et circonstanciées et de tentative de trouver vaille que vaille des thèmes assez percutants pour réveiller les lecteurs endormis sous leurs parasols. La réponse de la direction de l’organe incriminée avait été péremptoire puisqu’elle n’offrait rien moins que de fournir les prénoms, les noms, les adresses des prêtres qui ont pratiqué des actes sexuels et l’illustration de ces forfaits par des vidéos incontestables.
C’est alors que paraît la déclaration officielle du Vicaire de l’ancien Pape, le cardinal Agostino Vallini, dans laquelle le Vatican reconnaît implicitement le problème des prêtres égarés. Sa conclusion reste déterminée : ''Devant de tels faits, nous adhérons avec conviction à ce que le Saint-Père Benoît XVI a répété plusieurs fois ces derniers mois : les péchés des prêtres renvoient tous à la conversion des cœurs et de la vie, et à veiller à ne pas souiller la foi et la vie chrétiennes en entamant l’intégrité de l’Église, en affaiblissant sa capacité prophétique et testimoniale, en ternissant la beauté de son visage…''
Voilà donc le lourd héritage auquel est confronté le nouveau souverain pontife dont le choix du prénom du saint François d’Assises le prédispose à s’éloigner de la logique de confrontation avec l’Islam qu’annonçait le discours de Ratisbonne de son prédécesseur. Le dialogue œcuménique non plus ne devrait être délaissé. Mais encore devrions-nous souhaiter que la ligne de fermeté du Pape devenu émérite soit confortée face aux menaces d’un certain modernisme qui planent sur toutes les religions révélées. Le célibat des prêtres est une question qui concerne l’Église dans son rapport aux autres courants du christianisme et que laisse pendante la conversion des pasteurs protestants déjà mariés au catholicisme et qui conservent leur ménage. Pour le reste, ne faudrait-il pas s’en remettre au Décalogue, la Loi de Moïse qui unit dans les mêmes valeurs, musulmans, chrétiens et juifs ? Le futur du Pape sinon de la papauté en dépend face à ceux qui veulent d'un monde sans Dieu.