Derrière le bras de fer, des enjeux à milliards
Le bras de fer entre les greffiers et le gouvernement se poursuit en attendant l’issue des travaux de la commission technique prévus ce jeudi. Mais les apparences sont bien trompeuses dans cette affaire qui défraie la chronique. Derrière le bras de fer entre l'Etat et cette corporation bien stratégique dans le dispositif de la Justice sénégalaise, se cachent des enjeux énormes, liés aux investissements. Chaque camp semble camper sur ses positions dans un dialogue de sourds, mais le ver est dans la liasse...
Les Sénégalais, désireux de se rendre dans les tribunaux, vont encore devoir prendre leur mal en patience. La rencontre de ce mardi, entre le gouvernement (les représentants des ministères de la Justice, du Budget, de l’Économie, de la Fonction publique, de l’Urbanisme) et le Syndicat des travailleurs de la justice (Sytjust) s’est soldée par un échec. Aucune des parties n’ayant voulu faire de concession.
En grève depuis quelques semaines contre l’adoption du nouveau décret portant modification des droits de délivrance en matière civile et commerciale (ou nantissement), les greffiers refusent d’arrêter leur mouvement d’humeur tant que leur tutelle ne revient pas sur sa décision. ''Le gouvernement nous a demandé de suspendre le mot d’ordre de grève afin d’engager les négociations avec sérénité. Il souhaiterait que l’on commence les négociations en commission technique le jeudi avant de se retrouver en commission plénière le 30 juillet. Nous avons demandé au gouvernement de suspendre le décret, objet de la mésentente en attendant que les travaux se terminent. Le gouvernement a répondu qu'il n’est pas en mesure de le faire. Par conséquent, nous avons dit qu’il n’est pas question de lever le mort d’ordre de grève'', a déclaré Ousmane Diagne, secrétaire général du Sytjust, contacté par EnQuête.
Visiblement déçu, ce dernier met en garde l'exécutif : ''Si au cours de la commission technique, nous nous rendons compte qu’il y a une volonté réelle et manifeste de la part du gouvernement, on pourrait arrêter la grève. Mais si on se rend compte qu’il a mis en place cette commission pour faire du dilatoire, nous allons continuer.''
Enjeu : rendre attractif l'environnement des affaires
Du côté de la tutelle, on se désole de la situation. Pour Abdoulaye Dianko, directeur des Affaires civiles et des Sceaux au département de la Justice, ''personne ne peut vous dire que le décret a impacté négativement sur les fonds communs''. Car, poursuit-il, ''au-delà des actes de nantissements, il y a plusieurs droits qui alimentent le fonds commun'', à savoir les jugements rendus, les certificats de nationalité, les casiers judiciaires.
Mais le plus gros enjeu réside autour de l'environnement des affaires que le pays s'engage à rendre attractif. Or, révèle à ce propos M. Dianko, ''certains investisseurs ont commencé à râler'' du fait du taux élevé des nantissements. Et puisque ''nous sommes dans un monde compétitif'', le gouvernement du Sénégal a décidé de privilégier ''l’intérêt général'' sur l’intérêt d’un groupe de personnes.
D’ailleurs, une source du ministère de la Justice confie que les actes de nantissements ne constitueraient qu’une infirme partie desdits fonds communs. Pour preuve, ''en 2012, il n'y a eu que 2 nantissements, en 2013, il n'y en a eu qu’un seul'', indique notre interlocuteur. ''Je pense que ces gens-là (les greffiers) mènent un combat de personne.''
''Faux !'' rétorque Ousmane Diagne. ''On n’en fait pas un problème personnel. Depuis 15 mois, il n'y a aucune perturbation venant du secteur de la Justice. Certains militants du Sytjust sont allés même jusqu’à dire que nous étions de mèche avec les autorités de la place'', soutient-il. ''Nous étions dans une situation assez délicate au lendemain de l’élection présidentielle et que nous voulions donner aux nouvelles autorités le temps de s’imprégner des dossiers'', explique M. Diagne. Pour prouver son ''esprit patriotique'', le leader du Sytjust dit avoir demandé à ses collègues de délivrer les casiers judiciaires et les certificats de nationalité ''pour ne pas pénaliser les étudiants dans les concours''. Alors, dit-il, ''il appartient à l’État, qui a aussi le devoir de veiller à une bonne politique de distribution du service public, de ne pas poser des actes qui vont créer des problèmes dans un secteur aussi fragile que celui de la Justice''.
En tout cas, cette grève est durement ressentie par de nombreux citoyens et perturbe sérieusement le fonctionnement de la justice. Et les 'couacs notés hier, lors de l’ouverture des Assises à Dakar l’illustrent parfaitement