Opportunisme politique ou vision stratégique ?
Il est admis ici et ailleurs que la désignation du titulaire de ce ministère révèle le niveau de culture du mandant ou des objectifs qu’il s’assigne. La définition de la politique culturelle relève de la responsabilité du président de la République qui, conséquemment, désigne celui qui est le mieux à même de conduire cette mission. De Gaulle avait nommé Malraux, Pompidou lui, avait désigné Maurice Druon, Françoise Giroud était en poste sous le septennat Valéry Giscard d’Estaing, Jack Lang sous la présidence Mitterrand, Amadou Makhtar Mbow, Assane Seck, Makhaly Gassama, sous Senghor, Moustapha Ka, Abdoulaye Elimane Kane sous Diouf…. Des hommes à la dimension intellectuelle certaine qui ne pouvaient appauvrir la culture parce que répondant aux critères généralement admis.
Pour certains, Youssou Ndour, quoique acteur culturel, appauvrirait cette culture parce que n’étant pas formatés comme ses prédécesseurs. Aussi, susurre-t-on qu’il ne doit sa position dans l’attelage gouvernemental que de par son investissement dans la campagne, outre le fait qu’il pourrait être utile pour les échéances électorales à venir. Il serait injuste de réduire la dimension de l’homme à un simple faire-valoir politique et passer sous silence son engagement et son ambition pour son pays.
Ces positions, pour la plupart, résulteraient d’un conservatisme qui voudrait que la culture demeure dans son acception classique et repose sur ce qu'il est convenu d’appeler la doctrine Malraux que nous schématisons ici avec les implantations de maisons de culture et centres culturels équipés dont l’objectif est de faire accéder tout le monde aux grandes œuvres dans un souci pluridisciplinaire. Cette doctrine reste valable mais ne saurait suffire et ne pourrait demeurer emprisonnée dans les mailles d’une certaine intelligentsia évoluant dans des cénacles réservés à des «privilégiés».
La culture est devenue une grosse industrie en interaction avec la communication, ce que Jean Castarède et Jean Sur, dès les années 80, théorisaient dans un bel ouvrage intitulé «La communiculture» pour exprimer déjà, à cette époque-là, les démarches culturelles de notre siècle qui brassent les spectacles, la télévision, les livres, les arts plastiques, la musique, la vie sociopolitique, créant ainsi un faisceau de désirs, une nouvelle culture, des exigences nouvelles.
Cette nouvelle donne de la culture peut convaincre du choix porté sur Youssou Ndour pour conférer à ce volet une envergure réelle. Les enjeux dans ce domaine sont immenses et les faibles ressources dont dispose l’Etat, ne peuvent financer les ambitions qui sont les nôtres. Il est question aujourd’hui de capturer les retombées de cette industrie qu’est devenue la culture et ceci ne peut s’opérer que dans la définition d’une vision stratégique pour en faire un outil de développement.
L’entregent de l’Artiste-Chanteur, son influence, son statut de star planétaire, peut permettre à l’Etat de trouver des moyens-relais pour asseoir une politique culturelle vivante reposant sur une industrie à valeur ajoutée réelle, ce que la part congrue du budget (1%) ne peut entreprendre. Son engagement politique est quelque part bienvenu pour permettre la matérialisation d’une nouvelle vision de la culture adossée aux exigences du monde nouveau.
Sa formation académique, si maigre soit-elle, lui a permis de développer un réseau d’affaires prospères dans le domaine qui lui est confié, critère suffisant pour être hisser au rang qu’il occupe aujourd’hui.
Un poste ministériel est une mission que l’on confie à ceux qui excellent dans leur domaine ou qui ont des aptitudes pour l’accomplir.
Il a pu faire d’un orchestre une entreprise et d’un journal un groupe de presse. Les mêmes défis se posent à nouveau pour lui : relancer le cinéma en le dotant de salles dignes de notre ambition culturelle, faire revivre le théâtre dans sa dimension populaire et académique en le sortant du ghetto, promouvoir les arts en libérant les énergies, animer l’espace et la vie littéraires avec un soutien plus accru aux créateurs en promouvant le livre / la lecture, conférer à notre musique un label international, le sien, pour faire de notre pays un carrefour, un rendez-vous couru de partout pour ses festivals.
Sa réussite sera celle de tous les self-made-men qui ne cessent de prouver que la connaissance établie vaut plus que celle présumée que certains voudraient légitimer en portant en bandoulière leurs diplômes pour s’avérer ensuite être de piètres managers.
Ameth GUISSE
Rufisque
Auteur du roman : «Femmes dévouées, femmes aimantes»
Editions : L’Harmattan Sénégal –Octobre 2011
Email : amathguisse@yahoo.fr