Vivement demain !
Avec l’avènement du Président Macky Sall, le Yaakaar est peut-être enfin permis pour le retour d’une paix définitive en Casamance. En tout état de cause, la Casamance attend les premiers gestes que va poser le nouveau président de la République en direction de cette région dont l’économie est à genoux et les populations meurtries par trois décennies d’un des conflits polico-militaires les plus vieux de la sous-région.
Là où les présidents Diouf et Wade ont, pour le moins qu’on puisse dire, lamentablement marqué le pas, la Casamance et le pays tout entier attendent du nouveau président un vrai signal fort pour rassurer et éviter qu’un «doute raisonnable» s’installe dans les esprits quant à la volonté voire la capacité réelle du chef de l’État élu à apporter des réponses tranchées à ce conflit fratricide.
Placer la problématique de la crise casamançaise au cœur des priorités du pays, c’est d’abord concevoir et mettre en œuvre un Programme Spécial de Développement de la région consacrant des investissements lourds - pas moins de 50 milliards par an pendant 5 ans - dans tous les segments de l’économie : agriculture, santé, éducation, tourisme, infrastructures, transport, etc.
La prise en compte de la dimension politico-culturelle reste une nécessité, certes, mais, elle n’est audible et n’a d’ailleurs de pertinence que si elle est contenue dans une action concrète pour l’amélioration des conditions et du cadre de vie des populations.
Créer en Casamance les conditions qui feront que les populations trouveront un intérêt à restaurer la paix et à la préserver. Tel est donc le seul et unique gage du retour d’une paix durable en Casamance.
En d’autres termes, de la même manière qu’il faut impérativement penser les sciences économiques dans les sciences écologiques, il faut, dans le cas de la Casamance, désormais penser culture et politique dans l’économique. Le postulat étant que c’est l’économie qui peut booster le social et non l’inverse, il importe, dès lors, d’agir sur le levier de l’économie régionale pour contribuer à la réduction de la précarité sociale en Casamance. Pour y parvenir il convient, entre autres, de :
1. s’atteler au désenclavement total de la région (maritime, fluvial, terrestre, aérien) ;
2. renforcer les initiatives de création de richesses par la promotion du savoir-faire local ;
3. valoriser les ressources du terroir avec la participation du secteur privé ;
4. appuyer les producteurs à trouver des débouchés pour leurs produits estampillés made in Casamance ;
5. encourager et accompagner les initiatives locales de promotion de la bonne gouvernance, ce qui va favoriser les meilleures pratiques de gestion ;
6. renforcer la décentralisation en dotant la région de véritables pouvoirs de décisions et d’une certaine autonomie de gestion.
Toutefois, la mise en cohérence d’un tel programme pour sa mise en œuvre effective, n’est possible que si la problématique du désenclavement de la région est placée au cœur de l’action.
Un peu d’histoire récente sur l’enclavement de la Casamance
Issue du morcellement territorial consécutif au découpage colonial en micro–états confinés à l’usage de langues étrangères différentes (Français, Anglais, Portugais), l’enclave casamançaise, partie intégrante du territoire national sénégalais, n’est accessible par la route qu’à la suite de la traversée d’un autre état, la Gambie. Bien entendu, il est toujours possible de contourner la Gambie par le Sénégal oriental, mais cette voie constitue un trop long détour (200 km) pour les voyageurs et les transporteurs.
Par ailleurs, la vétusté des premiers investissements tant publics que privés, de même que l’obsolescence des équipements de trafic maritime, la cherté de la desserte aérienne, la dégradation de l’état des routes et les multiples tracasseries relatives à la traversée du bac de Farafenni, point d’orgue de la chute de la demande du trafic routier par les véhicules de tourisme et les poids lourds, ont fortement milité en faveur d’un accroissement de la demande en transport maritime. C’est cela qui a concouru à une intensification permanente des efforts des autorités du pays et de tous les autres acteurs locaux, dans ce domaine.
Ainsi, plusieurs bateaux mythiques se sont illustrés, sur l’axe Dakar– Ziguinchor : «Le Djoloff», «le Carabane I et II», «le Casamance Express», «Kassoumay», le «Joola» qui a connu une fin tragique, attribuée à la surexploitation irrationnelle et à des manquements graves dans la qualité du management et, aujourd’hui, le «Aline Sitoé» qui ne répond que très partiellement à la forte demande des populations. La mise en place d’un autre bateau, sur cette ligne stratégique, reste indispensable pour garantir la régularité du trafic maritime et assurer la continuité territoriale.
L’axe Ziguinchor-Dakar charrie, non seulement des flux importants de passagers dans les deux sens, mais il permet, en plus, de désenclaver la zone au plan économique, en autorisant la recherche de débouchés pour les produits du crû dont regorge la région de Casamance tout au long de l’année. Des centaines de femmes surtout, entreprennent en permanence des activités génératrices de revenus et font vivre des milliers de personnes à partir des opportunités économiques afférentes au trafic.
Le tourisme, une des sources d’entrée de devises pour la Casamance, en plus de la pêche, est fortement assujetti aux solutions relatives au désenclavement de la région ; l’infrastructure aéroportuaire réalisée au Cap a permis aux établissements d’hébergement touristiques d’instaurer un pont aérien pour l’acheminement de leurs clients directement à partir des marchés émetteurs en France, notamment, ou à partir de l’Aéroport Léopold Sédar Senghor. Cela a contribué à l’instauration d’une saisonnalité rythmée par les périodes d’ouverture et de fermeture des hôtels des grands groupes, au détriment des petits établissements, auberges, campements touristiques et résidences, qui ne trouvent leur salut commercial qu’à travers la route, dégradée, parsemée d’embûches du fait de la traversée de la Gambie. Mais la piste de Ziguinchor devra, elle aussi pouvoir accueillir les gros porteurs.
Rétablir, dans les meilleurs délais, la continuité du territoire par une desserte maritime quotidienne assurant le maximum de confort et dans le même temps, lancer le programme quinquennal de développement de la Casamance qui ne consacrera pas moins de 250 milliards de nos francs en investissements, sont une impérieuse nécessité.
Tous nos partenaires bilatéraux et multilatéraux sont prêts à nous y accompagner pour redonner à la Casamance son lustre d’antan et la faire entrer de plain-pied dans l’ère nouvelle du développement durable. Bien entendu, ceci ne pourra se faire sans un minimum de sérénité de tous les acteurs impliqués sur le terrain.
Les Casamançais, en un mot, ont besoin que le pays leur offre l’opportunité de se mettre au travail ; ils ont hâte de pouvoir enfin participer à la reconstruction de l’économie de cette région qui a tant à offrir au reste du pays.
Le nouveau président a donc là, une chance unique de transformer ce qui aujourd’hui, apparaît comme une contrainte (le conflit), en une opportunité majeure pour notre cher Sénégal.
Jean Pierre SENGHOR Houtimtimo, Ph.D.
agro-écologue