Albin Michel
Oui, c’est bien d’une prière qu’il s’agit, celle d’un homme qui a trouvé le sens de son existence sur ce beau pays qu’est la France.
Il est né Régis, originaire du Congo ; il est devenu Abd al Malick, célèbre acteur du mouvement hip hop hexagonal et plus particulièrement du groupe NAP (New African Poets) et slameur émérite.
Il était gamin de la banlieue de Strasbourg, déséquilibré, cherchant des raccourcis pour se réaliser sans donner de sens à sa vie, il est devenu citoyen de l’univers habité par l’Amour.
Sorti d’une enfance difficile, éduqué par une mère qui se retrouva seule, sans emploi et surendettée avec quatre enfants à charge sans aucune pension alimentaire, il vivait la souffrance au quotidien. L’amoncellement des factures impayées obligeait sa famille à s’éclairer à la bougie et pousser les portes de Caritas pour profiter de la soupe populaire.
Il devint voleur à la tire, chef de gang de pickpocket, activité qui lui procurait des revenus réguliers. Parallèlement, il fréquentait l’une des écoles les plus prestigieuses de la ville, le collège privé catholique Sainte-Anne, établissement d’élite où il fut le premier enfant de son quartier à l’intégrer. Il menait ainsi une double vie et impressionnait ses camarades par le fait qu’il menait de front une scolarité dans un collège privé et une activité délinquante régulière.
Certains de ses amis sont morts par overdose ou par accidents de voitures, assassinés ou par suicide en détention ou, ont chipé le virus du sida…. Une dernière tentative de vol à la tire le traumatisa et, radicalement, il prit la décision de se réapproprier sa vie…
Désormais ses compagnons ont pour nom Sénèque, Camus, Epictète, Orwell, Césaire, Thucydide, Fanon, Augustin, Barjavel, Huxley ou Cheikh Anta, Alex Haley. Il découvrit Malcom X qui exerça une réelle influence sur lui. Le message d’amour des musulmans véhiculé par Malcom X l’avait séduit, Il était fasciné par le credo de cet homme qui avait su dépasser le stade du ressentiment pour accéder à la lutte universelle.
Son frère Arnaud devint Bilal suite à sa conversion à l’Islam. Lui resta Régis bien que des questions s’agitassent dans sa tête et comme nous l’enseignait Eva de Vitray Meyrovitch : « Il faut déjà être prêt pour qu’une rencontre ou un livre puisse faire basculer votre vie. » Ceci fut fait et au travers de certaines lectures, il trouve des réponses en lui, des échos… Tout devient clair, cette religion musulmane qu’il avait longtemps côtoyée à travers son frère, revêt soudain pour lui la force de l’évidence. L’Islam lui apparaît comme sa religion naturelle. Il devient Abd al Malick.
Comme tout néo-converti, il s’adonne à fond à sa nouvelle religion, effectuant même des « sorties sur le sentier de Dieu» pour divulguer le message divin suivant les prescriptions des « frères du tabligh ».
Ces « sorties » lui firent constater que tous les jeunes qui venaient à sa rencontre avaient été en conflit plus ou moins ouvert avec l’autorité. Il comprit alors que le problème des cités n’était pas seulement social et qu’il ne concernait pas seulement la condition du groupe, mais d’abord et surtout le rapport de l’individu à lui-même, sa responsabilité en tant que personne. Les jeunes des cités ne font qu’exprimer leur détresse existentielle, leur incapacité à trouver leur place dans un monde qu’ils ne comprennent pas et qui semble ne pas vouloir d’eux.
Ses convictions nouvelles rencontrent des limites : les conduites d’exclusion voire de compétition dans la sainteté qui faisaient que certains, perçus comme plus actifs, étaient mis en exergue au détriment d’autres tout aussi bons musulmans mais discrets dans leur foi. Aussi, avait-il été choqué de constater la tendance de nombreux musulmans immigrés à se fédérer plutôt par nationalité que par appartenance religieuse. Ainsi, l’universalisme de l’Islam était malheureusement un discours creux dans la bouche de beaucoup de musulmans qui pratiquaient l’inverse.
Lui, le brillant collégien devenu étudiant en philosophie, ne se satisfaisait pas de ce que lui offrait la pratique religieuse de ses condisciples. Il constate amèrement que les intellectuels devant éclairer la grande masse ont cessé de réfléchir pour devenir des automates « comme si le simple fait d’évoquer l’Islam inhibait toutes leurs capacités intellectuelles, répétant aveuglément des phrases stéréotypées, ou « semblant commuter leur discours en pilotage automatique », enfermant ainsi tous ceux qui comme lui avaient besoin de souffle, de respiration…
Lui Abd al Malick, qui menait une double vie de prêcheur et de rappeur tout en poursuivant ses études, avait besoin d’éclairage surtout que d’un côté, il y avait la musique qui le passionnait et de l’autre, sa vie de prêcheur de l’Islam qui déclare haram la musique. Où est le bien ? Où est le mal ? Ses questions demeuraient sans réponse satisfaisante.
« Si la théologie divise, la mystique unit les hommes de toutes les traditions et qu’à un certain niveau d’être, tous les « croyants » vivent la même expérience », nous enseignait l’homme d’église Carlo Carretto. La dimension mystique de l’Islam va réconcilier Abd al Malick avec lui-même et avec la religion. Il découvre le soufisme, un souffle spirituel autrement plus ample, libéré, profond que ce qu’on lui faisait passer pour de la spiritualité. Ne dit-il pas lui-même : « Dans ce monde inversé, je me croyais profond quand j’étais superficiel et je situais mon cœur dans les replis intellectuels de mon cerveau. »
L’amour, voilà le maître mot et suivant Djalal ad-Din Rumi, il est l’axe central de toute la spiritualité musulmane et « est comme une flamme : lorsqu’il entre dans le cœur du disciple, il brûle tout, Dieu Seul reste. »
En chemin vers l’Autre, Abd al Malick nous gratifie de ce très beau texte « Ode à l’Amour » :
« Il y eut un temps où je faisais reproche à mon prochain
Si sa religion n’était pas proche de la mienne
Mais à présent mon cœur accueille toute forme
Il est une prairie pour les gazelles
Un cloître pour les moines
Un temple pour les idoles
Une Kaaba pour le pèlerin
Les tables de la Torah et le livre du Coran
Je professe la religion de l’amour et quelle que soit
La direction que prenne sa monture, cette religion est ma religion et ma foi.
(…) »
Il nous rappelle alors cette sagesse : « Si on se souvient de l’Amour, l’Amour se souviendra de nous. »
Jésus Christ ne nous enseignait-il pas : « Quiconque aimé est né de Dieu et connaît Dieu. »
Oui, qu’Allah bénisse la France, cette terre qui lui a permis de connaître son âme et, conséquemment, connaître son Seigneur comme nous l’enseigne un hadith du Prophète (PSL).
Ameth GUISSE