Le Ver est (toujours) dans le fruit
Dans des processus complexes comme celui auquel nous assistons au Burkina Faso, la mesure n’est pas le référentiel le plus convoqué. Les opinions sont nombreuses, peuvent avoir de la pertinence dans leur diversité, mais au vu de la conduite du dossier, du poids de la France et de l’intransigeance de la société civile burkinabé, il y a des craintes de voir le Burkina Faso rester dans les tourbillons de l’instabilité.
Dangereux face-à-face que celui qu’on constate depuis bientôt 48 heures entre le Régiment de la Sécurité présidentielle et les loyalistes de l’Armée burkinabé. Rapport de forces a priori déséquilibré, même si dans le domaine du militaire, ce n’est pas le nombre qui fait l’efficacité. Il faudra naturellement travailler pour que le premier coup de feu, ne parte pas. Car personne ne pourra prévoir le scénario qui se dessinerait alors. Apparemment, ni le chef d'état-major des armées du Burkina Faso, le général Pingrenoma Zagré, ni le chef de file des putschistes, le Général Diendéré du RSP ne veulent d’un bain de sang. Tant mieux !
Mais si le problème burkinabé promet déjà d’être difficile à régler, ce n’est pas seulement du fait de la situation nouvelle qui s’est présentée à la face du monde. En vérité, le ver est resté dans le fruit, même après le départ de Blaise Compaoré, après 27 ans passés au pouvoir. Disons-le clairement, le fait d’avoir écarté, sur des bases difficiles à comprendre, les pro-Compaoré grippe terriblement la machine de la transition. En effet, le gouvernement de transition avait modifié en avril dernier le code électoral afin d'exclure de la liste des candidats toute personne ayant soutenu la tentative de l’ex-dirigeant de se maintenir au pouvoir.
C’est le cas de Djibril Bassolé et Yacouba Ouédraogo, ministres sous Compaoré, reconnus coupables par l’actuel Conseil constitutionnel d'avoir participé, à l’époque, au fameux Conseil des ministres ayant adopté le projet de loi de révision de la Constitution, qui devait permettre à l’ex-président burkinabé de se maintenir au pouvoir. Cette décision, pour populaire qu’elle soit, apparaît comme l’élément qui fait perdurer la crise. C’est comme si le Conseil constitutionnel au Sénégal décidait en 2012 que toutes les formations politiques qui avaient soutenu Me Abdoulaye Wade dans sa tentative de faire un mandat de plus ne devrait pas participer à des élections. Ce qui est une aberration. Pire, une forme de dictature !
Que la Communauté des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) ne puisse pas, au moins sur ce point, ramener à la raison une opinion publique visiblement cramponnée à ses certitudes, que la France ne cherche qu’à redorer son blason au sein des populations (pour avoir soutenu le dictateur Blaise Compaoré 27 ans durant) pose problème. Cela voudra dire qu’on fait le choix de rater les fondements tout en espérant construire quelque chose de durable. Car les candidats écartés du processus pourront toujours contester la légitimité de leur mise à l’écart. N’est-ce pas là une prérogative qui devrait être dévolue au peuple, à travers les urnes ? Les principes de la démocratie veulent donc que la possibilité soit donnée à tous les Burkinabé qui ne sont pas impliqués dans des crimes de participer à la prochaine présidentielle. Le peuple est toujours libre de les sanctionner.
En occultant cet aspect de la crise, alors qu’il est fondamental, on a bien l’impression que les acteurs font dans la stratégie de l’Autruche, en espérant par un coup de poker que rien ne se passera ensuite, lorsque tous les pro-Compaoré seront mis hors circuit. C’est une grave erreur, car tôt ou tard, les fantômes du passé ressurgiront, comme l’a fait celui de Thomas Sankara, lâchement abattu un 15 octobre 1987, sans que l’on ne sache d’ailleurs l’endroit où il a été réellement enterré. Qui pouvait imaginer que son dossier pouvait être rouvert et Blaise Compaoré, lui-même, rattrapé par ses vieux ‘’démons’’ ?
Mame Talla Diaw