Le couscous sans la sauce
Achoura pour la religion, Tamxarit pour la tradition sénégalaise, cette fête célébrée jadis avec beaucoup d’engouement pour marquer la nouvelle année musulmane, connaît un tournant. Dans certains coins de la capitale, le rituel Cere (couscous) risque de se préparer sans son baase (la sauce). Conjoncture, manque de moyens, précarité, entre autres blocages, les deux bouts ont du mal à se joindre pour servir un bon couscous au dîner. Reportage !
Le soleil est sur le point de se coucher sur la Gueule Tapée. A 17h, un vent brusque déplace légèrement le foulard de mère Cissé assorti à son grand boubou orange. Elle est assise sur un banc d’inquiétudes. Visage pâle, le regard doux, elle fait face à une glacière qui conserve au frais les sachets d’eau qu’elle espère écouler avant de rejoindre sa petite famille à Keur Massar. Derrière elle, du linge, un lot d’habits à repasser et de gigantesques bassines. A quelques heures de la Tamxarit, l’angoisse continue de ronger la bonne dame. ‘’Les gens n’ont même pas de quoi se payer un petit-déjeuner pour rêver d’un bon Cere bien assaisonné’’, fulmine-t-elle. Avec dépit, elle lâche : ‘’Les temps sont tellement durs que les gens n’achètent même pas de l’eau, alors qu’elle est essentielle pour l’homme. En ce moment, je devais même finir l’essentiel des préparatifs de la fête de demain. Mais là, je n’ai pas un sou.’’
Pourtant, il est recommandé ce jour-là de manger autant que faire se peut. En effet, si l’on s’en tient à la tradition : ceux qui ne seront pas rassasiés ce jour ne le seront pas pour le reste de l’année. D’où la grande quantité de couscous préparée dans certains foyers. Seulement pour la vendeuse de sachets d’eau, cette année, il ne saurait y avoir de gaspillage. ‘’C’est quand il y en a à gogo que les gens gaspillent. Mais, quand il n’y en a pas assez, on se contente de finir le bol.’’
Plus loin, la trentaine et en Khartoum mauve, entourée de ses nombreux habits à repasser, cette dame est tout aussi catastrophée. ‘’La Tamxarit ! s’exclame-t-elle, on ne la prépare pas du tout. On n’en a pas les moyens. Les voisins vont sans doute partager avec nous ce qu’ils ont préparé. Mais le cas contraire, on ne mangera pas de cere cette année’’, déclare la lingère. A côté d’elle, Seynabou Ngom, sa coéquipière, vêtue d’un t-shirt noir assorti d’un pagne en wax, lui lance un clin d’œil pour tenter de la faire taire. Mais elle ne l’écoute pas. ‘’Je ne dis que la vérité.’’ Partageant une chambre à Gueule Tapée avec ses belles-sœurs, elle a déjà envoyé 5 000 francs via le car (Horaire) qui fait la navette entre Dakar et son village. ‘’Cet argent, c’est uniquement pour les frais de la sauce, parce qu’au village, il y a du couscous en permanence’’, dit-elle.
A la rue 15x16 à la Médina, Ya Sally Camara s’amuse devant sa demeure avec sa petite-fille. Malgré les difficultés de la vie, la sexagénaire ne se plaint pas. Toute joyeuse, elle déclare : ‘’La fête n’a pas un engouement, parce qu’il n’y a pas d’argent. Mais, nous rendons grâce à Dieu, puisque nous allons accueillir un nouvel an.’’ Chez elle, les enfants ont déjà pris la relève et se sont occupés de tous les frais qu’exige la fête. Mais pour autant, elle dénonce une exagération de la part des femmes de ménages qui en font trop pour une seule nuit. ‘’Nous préparons du Cere, mais le plus simplement possible, parce que cela ne sert à rien de dépenser tout ce que l’on a pour se retrouver sans repas le lendemain. Mieux, tout ce qu’on y met ne fait que provoquer certaines maladies’’, dit-elle.
Dans le populeux quartier de Grand-Yoff, Fatou Dieng, la quarantaine, est en pleine discussion avec son amie vendeuse de cacahuètes. ‘’J’ai dépensé pour la Tamxarit, même si j’ai une petite famille. Mais puisqu’on cohabite avec des chrétiens, il le faut, pour partager eux ce que nous préparons et ainsi célébrer ensemble la fête.’’ En face d’elle, deux dames de teint clair servent le même discours. Calebasse à la main, elles pleurent la conjoncture, mais soulignent être obligées de préparer pour la famille. Toutefois, une autre femme de ménage laisse entendre que seul le couscous est assuré pour l’instant. Il reste la sauce qui est assez coûteuse, vu tous les condiments qu’elle exige. Mais, dit-elle, étant entendu que la sauce vient après, elle peut toujours attendre que toutes les conditions soient réunies.
Avec ou sans moyens, Achoura se fête aujourd’hui par toute la communauté musulmane.
AMINATA FAYE (Stagiaire)