« Les corps des victimes étaient laissés pour les vautours »
La répression des cadres sudistes de 1984, appelée ‘’Septembre noir’’ et survenue durant le régime de Hissein Habré, était au centre des débats hier, dans le procès de l’ex-Président tchadien jugé devant la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires pour crimes internationaux.
La salle 4 du Palais de justice Lat Dior a encore été plongée dans l’horreur de ce que les Tchadiens appellent ‘’Septembre Noir’’. Il s’agit de la répression perpétrée en septembre 1984 contre les populations du Sud du Tchad en proie à l’époque à une rébellion. Si la répression visait particulièrement les rebelles ‘’Codos’’, elle n’a pas épargné la population civile, surtout les cadres. Mallah Ngabouli est l’un d’eux. Né en 1952, il était chef de service à la société nationale sucrière du Tchad (Sonasut) devenue Compagnie sucrière du Tchad (CST).
Soupçonné de financer la rébellion, il a été arrêté le 21 octobre 1984. Détenu à la maison présidentielle de Tombalbaye, où étaient emprisonnés plusieurs cadres du secteur privé dont un commerçant sénégalais du nom de Baba Traoré, le cadre à la retraite dit y avoir subi toutes sortes de tortures. Cela a été le cas dans d’autres centres de détention de la DDS où il a séjourné. ‘’J’ai été torturé dans certains centres de détention. On m’a attaché les bras et les jambes ; on m’a ligoté, avant de m’attacher à un véhicule 504 Pick up pour me traîner sur plusieurs mètres.’’
M. Mallah a soutenu avoir également échappé à une exécution, puisque les militaires les avaient criblés de balles et 14 de ses codétenus sont morts. Quid des conditions de détention ? Les réponses fournies ont répugné une partie de l’assistance, même si elles ont suscité un sourire narquois du côté des proches de Hissein Habré. ‘’Nous mangions une seule fois par jour et lorsqu’un détenu mourait, on tournait son corps pour en faire un oreiller.‘’
Le récit de l’horreur s’est poursuivi avec le sort réservé aux cadavres. ‘’Personne n’osait réclamer le corps de son parent au risque de se faire tuer. Les corps n’étaient pas enterrés non plus. Ils étaient laissés dans la nature jusqu’à pourrir. Les vautours étaient les bénéficiaires des corps’’, a avancé M. Mallah dont le calvaire aurait duré jusqu’en janvier 1987, date de sa libération, à la suite d’un accord entre les rebelles et le gouvernement. Seulement sa libération était assujettie à une condition. ‘’Après ma libération, Habré m’a reçu pour me donner des conseils. Il m’a demandé de ne pas garder de rancune envers ceux qui m’ont arrêté et de ne rien dire’’, a confié M. Mallah. Il a fini par briser son serment, en créant une association de victimes, car il n’était pas le seul cadre à avoir subi la répression.
Moussa Djadimadji, une autre victime, n’a pas eu la chance de témoigner, puisqu’il est mort en détention. Son fils Madjikotrai Djadimadji s’est présenté à la barre, pour raconter les derniers instants de son père qui fut le directeur de l’huilerie et savonnerie à Moundou. Soupçonné également de financer la rébellion, M. Djadimadji a été arrêté, le 8 octobre 1984, à son lieu de travail. Si les premiers jours de détention, Madjikotrai trouvait son père en parfait état de santé, il a été surpris un jour de le voir dans un piteux état avec la tête et le visage enflés. Lorsqu’il a cherché à en connaître les raisons, le garde a mis fin à la visite et il n’a plus revu son père que lorsque les militaires l’ont ramené au domicile familial, le 17 octobre, pour lui faire signer un chèque. ‘’On avait espoir qu’avec l’ouverture des prisons, en décembre 1990 lorsque Idriss Déby est arrivé au pouvoir, Papa allait surgir brusquement à la maison, mais hélas !’’ a conclu la victime.
Contrairement à la famille de Madjikotrai, celle de Djokota Prosper Kladoumngue s’est rendue très vite à l’évidence, concernant le sort de son oncle. Celui-ci a été tué, selon les dires du neveu, dès son arrestation survenue le 4 septembre 1984. D’après ses explications, les forces gouvernementales avaient tout simplement mis à exécution leur menace d’exterminer les populations de la ville de Kourma. ‘’Lorsque les Forces nationales tchadiennes sont arrivées, elles ont convié les populations et le chef, pour lancer ce message : « Les hommes sont les pères des ‘’Codos’’, les femmes leurs mères ou épouses. A notre retour de Mansala, aucune vie ne sera épargnée’’, a renseigné la partie civile qui a indiqué, avec des détails, l’exécution d’autres personnes dans les localités comme Doro. Cette précision avec laquelle la partie civile et témoin narrait les faits a beaucoup intrigué le président Gberdao-Gustave Kam. Car les faits relatés se sont déroulés à 20 km de la ville où Prosper se trouvait.
FATOU SY