Publié le 17 Nov 2015 - 20:00
PAPA KHALY NIANG (CRIMINOLOGUE)

"Il faut anticiper sur la pauvreté…"

 

Docteur en droit et sciences criminelles, Me  Papa Khaly Niang  analyse dans cet entretien les récents évènements survenus à Paris. Et parle de la situation actuelle du Sénégal face au terrorisme et des solutions à adopter pour ne pas être victimes d’actes terroristes.

 

Quels commentaires faites-vous des attentats de Paris ?

Je pense que c’est une question d’actualité par rapport à ma casquette de criminologue. Je pense que nous sommes tous interpellés par ce genre de situation compte tenu de leur gravité. Nous condamnons ce qui s’est passé à Paris. Mais il faut dire que nous avons affaire à des professionnels. Ce sont des adversaires invisibles. Pour analyser la situation, il faut  voir l’approche extérieure. C’est pourquoi il y a lieu de pousser la réflexion vers de nouvelles méthodes pour endiguer ce phénomène. L’approche militaire a toujours été utilisée tout comme l’approche policière. Il va falloir explorer d’autres pistes.

Quelles sont ces pistes ?

Il est très difficile de lutter contre le terrorisme parce que ce n’est pas la même échelle de valeur à sauvegarder. Pour le terroriste, la vie n’est pas importante. Le modus operandi de ces gens est le kamikaze. Pour dire que les terroristes ne donnent pas une grande importance à la vie. Donc, s’ils nous mènent sur ce terrain de lutte, c’est perdu d’avance. Je pense qu’il faut préserver la paix avant d’aller au combat. Ce qui intéresse les populations, c’est de mettre en place des dispositifs allant dans le sens d’anticiper sur le phénomène au lieu d’attendre que le phénomène arrive pour réagir. Je pense que c’est comme ça qu’il faudra analyser la chose. Maintenant, on a toujours parlé de lutte contre le terrorisme. Et sur ce point, je suis d’avis que la prévention est capitale. Quelqu’un a dit que vaut mieux gagner la paix que gagner la guerre.

Il faut faire en sorte que la paix soit gagnée. Pour gagner la paix, il va falloir changer de méthodologie et en essayer d’autres. Ce qui s’est passé en France est regrettable. Je connais bien Paris qui a un système policier très performant, bien encadré avec les plans ‘’Vigipirate’’, la fiche S pour combattre le terrorisme. Ce qui est regrettable, c’est de ne pas anticiper. Comme vous pouvez le constater, il y a des gens qui étaient sur la fiche S. C’est un secret de polichinelle qu’entre la France et la Belgique, il y a des sorties de jeunes qui vont vers la Syrie pour se faire former. J’en ai parlé la dernière fois, il faut anticiper en ‘’fichant’’ toutes ces personnes. Il faut voir leurs conditions de séjour là-bas et essayer de les capter au retour. Mais s’ils vont se faire former pour ensuite rentrer et que leurs retours échappent au système policier et judiciaire, c’est dangereux pour notre société.

Que faut-il donc faire pour remédier à cette situation ?

Je pense qu’il fallait anticiper sur la situation en faisant de certaines destinations des zones à risques. Si on laisse les gens sortir librement, aller se former, et revenir en passant par d’autres frontières, il y aura toujours des problèmes. En Europe, avec l’ouverture des frontières, les gens peuvent passer là où ils veulent. Les gens avaient négligé à un certain moment donné le contrôle des frontières. Mais il va falloir restaurer cela et essayer de travailler en amont sur cette question. C’est comme ça qu’on pourra anticiper sur certains évènements. Ceux qui sont par exemple impliqué dans ces attentats sont des Français. Il est très difficile de se battre avec celui qui est à l’intérieur de la maison. Pour que cette personne soit identifiée, il faut mettre en place un système de contrôle social. C’est-à-dire faire en sorte que toute personne se considère dans la tête comme un policier. C’est sur cela qu’il faudra travailler. Avant, on disait que la sécurité est du ressort de l’Etat. Cela est  révolu. Le prolongement de la sécurité, c’est la citoyenneté. Il faut que chaque citoyen ait une fibre sécuritaire qui lui permet de signaler toute situation suspecte. Si cela est fait, des problèmes pourraient être réglés. Cet appel citoyen a été fait lors du sommet ‘’Paix et sécurité’’. Il va falloir formaliser ça. Si les populations ne vont pas de leur propre chef vers les services de sécurité et de défense, il va falloir qu’on instaure le débat sur la question pour que le premier pas soit posé par les acteurs de la sécurité.

Un pays comme le Sénégal a-t-il les moyens de faire face au terrorisme aujourd’hui ?

Oui, je pense que le Sénégal a une police très performante. Ce qu’il faut dire aujourd’hui, c’est que ‘’nul n’est à l’abri’’. Il va falloir prendre des dispositions. Il faut essayer de voir, à l’image de ce qui se passe dans le monde, créer des cadres de concertations et d’orientations au niveau des communes. Il faut s’appuyer sur les maires, les délégués de quartiers, les chefs religieux et coutumiers en les mettant autour de la question sécuritaire. Faire obligation à tous les maires de mettre en place un pacte de solidarité sécuritaire. Ce dernier fait obligation à tout citoyen qui voit quelque chose dans le quartier d’apporter l’information auprès des services compétents. Ça, c’est une première chose. La deuxième chose est qu’il y a la libre circulation des personnes et des biens au niveau de la CDEAO.

Il faudra encadrer cela. Il y a le Schengen en Europe. Mais cela ne dispense pas l’Européen qui veut s’installer de manière durable dans un pays qui n’est pas le sien de se munir d’une carte de résident ou d’une carte de séjour. Tout cela  pour que le contrôle social soit exercé sur cette personne. Quand on laisse les gens entrer et sortir comme ils veulent, habiter où ils désirent, ça pose problème. Et cette même obligation doit être faite aux agences immobilières, aux hôtels et aux auberges. Les agents immobiliers logent n’importe qui et n’importe comment. On peut habiter dans un immeuble avec une personne qui se lève la nuit pour partir et passer la journée à dormir. Et c’est cette personne qui règle les problèmes dans le quartier, même ceux de la mosquée.

L’argument de la pauvreté est souvent avancé pour expliquer la montée du radicalisme chez les couches défavorisées. Partagez-vous cette analyse ?

 Dans une société où les gens ont besoin d’argent, ils sont accessibles à toutes formes de discours. On dit souvent que ventre affamé n’a point d’oreilles. On va écouter celui qui donne les moyens de subsistance. Tout cela doit être capté par nos sociétés. Il faut poser clairement la question, anticiper les choses, réunir tout le monde autour du préfet pour qu’il coordonne les politiques publiques de sécurité par anticipation, par le biais de la prévention. Je pense que c’est comme ça qu’on peut régler le problème. Des fois, quand quelqu’un n’a pas où dormir, il passe la nuit à la mosquée. On ne sait pas qui est cette personne. Il va falloir anticiper sur ces questions-là en mettant des livrets sécuritaires à la disposition des populations dans les quartiers. Un livret sécuritaire qui va être élaboré par les maires, les préfets, les imams pour leur demander de prendre des mesures de précautions bien précises. Ainsi, chacun sera vigilant pour anticiper sur les fléaux qui tournent autour de nous. Je pense que cela est une piste à explorer.

Mais que faut-il faire de manière concrète pour éviter que des jeunes désœuvrés ne  répondent aux sirènes des milieux terroristes ?

Je pense qu’il faut anticiper sur la pauvreté. On a souvent parlé de la pauvreté qui serait liée à la grande criminalité. Mais cela n’a jamais été démenti. Avant on parlait de la criminalité de comportement maintenant, c’est de la criminalité de profit. Cela a même été développé en criminologie. On a dit que la criminalité de profit prend le pas sur la criminalité de comportement. Avant on était criminel parce qu’on en avait envie. Maintenant les gens tendent plutôt vers le profit. Il faut essayer de mettre dans le camp de la société ces jeunes-là qui sont dans le besoin. Il faut essayer de les resocialiser, de les récupérer et leur permettre d’avoir une vie correcte.

L’explication criminologique est là. La criminalité est intimement liée à la pauvreté. Quelqu’un qui est à Sandaga et qui veut rentrer le soir mais qui n’a pas de quoi payer son transport a tendance à faire les poches de quelqu’un. Peut-on considérer cela comme une délinquance ? Ce sont des choses qu’il faudra intégrer. Il y a des gens qui ont des comportements déviants. C’est différent de la délinquance. La déviance est une atteinte aux valeurs sociales. Alors que la délinquance est l’atteinte à la loi. Il y a les actes d’incivilité. Tout cela devrait être repensé. Le concept de la délinquance a changé de nature, de même que celui de criminalité.

La prévention doit donc être  le maître mot dans cette lutte contre le terrorisme ?

Pour tous les pays, le maître mot, c’est la prévention. Si la prévention échoue, on est obligé de faire de la répression. Comme l’a si bien dit  le Président Macky Sall, à défaut d’avoir la paix, on l’impose. Oui, il faut tout faire pour maintenir la paix, et à défaut, l’imposer. Pour maintenir la paix, il faut la prévention. Pour imposer la paix, il faut aller en guerre. Mais c’est le maintien de la paix qui intéresse le citoyen. Le citoyen ne va pas attendre qu’on nous attaque pour aller en guerre. Cela ne l’intéresse pas. Ce qui l’intéresse, c’est que le passage à l’acte n’ait pas lieu. Pour cela, il faut passer par l’anticipation. Et l’anticipation, c’est la sécurité, la prévention inclusive et la prévention participative. Voilà ce qu’il faudra faire pour pouvoir diminuer les risques.

 Dans le cadre de la prévention, on a besoin de mettre sous surveillance les potentiels jihadistes. Le Sénégal a-t-il les moyens pour cela ?

La surveillance n’est pas compliquée. Il suffit de mettre en place un dispositif pour identifier toutes les entrées et sorties, toute installation de personnes dans les quartiers, etc. C’est comme cela qu’il faudra établir un fichier. Quand une personne est suspectée par les populations, il faut un suivi. Pour suivre un terroriste, il faut 20 policiers derrière. Aucun pays ne peut le faire. Ce qui peut faciliter la tâche, c’est que les citoyens soient les relais de la police. Une fois l’information apportée, la personne peut faire l’objet d’une fiche S pour pouvoir être suivie correctement. Mais vous imaginez si on suit 100 personnes dans un même moment, toute la police va passer son temps à ne faire que cela. Ce qu’il faudra faire, c’est de décharger la police de ses tâches mineures afin qu’elle se consacre à la grande criminalité. Parce qu’on est dans une société qui évolue. Naturellement la criminalité suit le rythme d’évolution de notre société.

Avant, il n’y avait pas l’informatique donc, il n’y avait pas de criminalité informatique. Avant il n’y avait vraiment pas cette guerre d’idéologie, il n’y avait pas de terroristes. Maintenant, c’est la société qui est ainsi faite. Donc, la pathologie sociale est là. Il faut vraiment la soigner en formant les spécialistes de la sécurité dans ces domaines précis et laisser les tâches mineures relatives à la prévention  aux citoyens. Si cela est configuré ainsi, on peut redistribuer la sécurité de par sa facette préventive et sa facette répressive. C’est cela qui pourra atténuer la douleur. On peut soigner la maladie mais on ne peut pas tuer la mort. On vit avec et il faudra apporter des réponses coups par coups et des réponses innovantes. Parce qu’on ne peut pas faire du nouveau avec du vieux. Il faut innover. Pour cela, il faut tendre la main aux populations.

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