Affaire et non-affaire
Qui veut noyer son chien l’accuse de rage ! Autour de l’affaire Lamine Diack, maintes voix se sont élevées, jusques y compris dans certains médias, pour ouvrir un procès en sorcellerie contre Macky Sall et le régime né de la deuxième alternance. Sous le prétexte que, selon les déclarations prêtées à Lamine Diack, celui-ci aurait injecté de l’argent obtenu à la suite de magouilles politico-sportives en Russie, dans la campagne électorale de 2012 et au profit du président de la République. Ça paraît compliqué mais c’est pourtant très clair : Macky Sall, qui prône une gouvernance ‘’sobre et vertueuse‘’ et dont le gouvernement a poursuivi avec une grande ténacité l’enrichissement réputé illicite, pourrait être lui-même comme un pur produit de ce type de corruption qu’il prétendrait combattre sinon éradiquer ! C’est vrai qu’il y faudrait comme un petit bémol.
N’empêche : cela n’est pas très juste ou seulement sérieux. Car, si Lamine Diack avait même eu à verser son obole, son écot, sa participation ou quelque autre nom qu’on lui donne, dans un tour de table organisé en 2011 ou 2012 pour soutenir la candidature de Macky Sall, il n’y aurait eu là rien que de très normal ! Personne dans ce pays ne pouvant alors douter de la licéité des fonds déposés par l’alors président de l’IAAF. Depuis que le monde est monde et que la politique existe, cela s’est toujours, et sous toutes les latitudes, pratiqué ainsi. En France et depuis le Général de Gaulle pour ne pas aller trop loin, presque tous les Présidents qui ont été élus ont eu à bénéficier de largesses ou de contributions substantielles de la part de chefs d’Etat africains, qu’il s’agisse de Léon Mba, Bongo, Houphouët-Boigny voire Bokassa ! Chefs d’Etat dont certains juges français disent, aujourd’hui, que les biens qu’ils possèdent en France sont ‘’mal acquis’’, autre avatar de l’enrichissement illicite bien connu chez nous.
C’est donc comme ça et jusqu’en Amérique et il n’y a pas apparence que cela doive changer jamais : un homme se lève et se déclare et, sur la base de ses idées, de son programme, de sa personnalité, des soutiens naissent et s’organisent en mettant, s’il le faut (et il le faut toujours) la main au portefeuille. C’est comme ça du village au canton de la mairie, à l’Assemblée, et du député au chef de l’Etat. Quiconque a eu affaire avec le suffrage universel et au concours de ses concitoyens pour accéder à une position de pouvoir connaît cela et a eu à y recourir : obtenir des appuis, des soutiens, des fonds ! Ce n’est pas pour rien que la City de Londres existe et que Westminster, siège du pouvoir politique, ne se trouve qu’à un jet de pierre !
Ainsi, et quand bien même cela serait, cela ne délégitimerait en rien du tout Macky Sall et le pouvoir qu’il tient de l’élection 2012. J’ai entendu, sur une radio de la place, et avec un peu de tristesse, un responsable de l’opposition parler ‘’d’impeachment’’ à l’américaine comme si une telle disposition pouvait exister dans notre droit positif ! Mais entretenir une certaine agitation dans la rue et dans les esprits, ça, c’était possible et cela l’a été pendant quelques heures…
Jusqu’à ce que le journal ‘’Le Monde’’ par lequel le scandale était arrivé publie un mot d’excuses à l’intention de ses lecteurs : Lamine Diack n’aurait jamais parlé, dans ses déclarations à la police, de Macky Sall et de sa campagne électorale de 2012 ! C’était une erreur du journal dans le résumé qui avait été fait à l’intention du ‘’Monde.Fr’’ de l’édition ‘’papier’’, c’est tout ! Nul donc n’est à l’abri de l’erreur pas même une institution de la taille et du prestige du ‘’Monde’’. Cela devrait conduire tout le monde (c’est le cas de le dire) et chacun à beaucoup d’humilité. Une mention spéciale pourtant à l’endroit des journalistes. Ils ont du pouvoir et ils ne le savent que trop mais ils méconnaissent et peut–être trop souvent que celui-ci a ses propres limites et ce sont celles de l’excès : ‘’Tout ce qui est excessif ne compte pas‘’, disait Talleyrand qui s’y connaissait assez.
Nous tous ne voulons douter de rien or nous devons, comme médiateur, douter de tout et d’abord de nous-mêmes, de nos capacités intrinsèques comme de notre objectivité pour n’avoir pas à parler de notre intégrité. Nous sommes le produit de notre société, ni meilleurs ni pires que les autres mais le métier que nous avons choisi nous impose bien plus de responsabilités qu’aux autres ! Pourquoi ? Parce que nous n’avons été élus par personne ; c’est nous qui nous sommes levés et avons dit que oui nous voulions, oui nous pouvions être les Vigies du peuple.
Moi-même, quand je me regarde, je m’observe comme on dit, je me désole mais quand je me compare, je me console ! Mais au moins faut-il consentir à nous regarder en face et à s’accepter. De seulement pouvoir se désoler de l’image qui est renvoyée par son miroir est déjà un pas que l’on fait dans la voie, non pas de la guérison ou de la rédemption, mais déjà de l’amélioration de notre condition de pays en développement.
Toute cette affaire ‘’Lamine Diack’’ va retomber comme un soufflé en cuisine ou un ballon de baudruche. Beaucoup s'y seront laissés piéger et c’est grand dommage pour le pays, sa presse, sa démocratie. Mais restons optimistes : à quelque chose, malheur est bon ! Cet épisode nous apprendra, peut-être à être moins prompts et plus circonspects à l’avenir quant à l’analyse de certaines informations qui nous viennent d’ailleurs et nous concerneraient !