Publié le 31 Dec 2015 - 16:52
RETRO JUSTICE

2015, année de chute

 

L’année 2015 qui s’achève dans un jour a été marquée par l’arrestation et l’emprisonnement de grands noms de la politique, de la musique, de la lutte, de la religion… La justice a également souffert jusque dans sa chair, avec l’affaire Aïda Ndiongue, et des accusations de corruption. Retour sur une année marquée également par des décès de magistrats.

 

Mars 2015, alors que la procédure ronronne depuis pratiquement trois ans, Karim Wade et compagnie sont édifiés sur leur sort. Investi candidat des libéraux à la prochaine présidentielle (2017 ou 2019 ?), le samedi 21 mars 2015, Karim Wade est condamné deux jours plus tard, à 6 ans de prison pour enrichissement illicite et à payer...138 milliards d’amende. Ses coaccusés écopent également de lourdes amendes : Ibrahim Abou khalil dit Bibo Bourgi (138 milliards), Mamadou Pouye et Alioune Samba Diassé (69 milliards chacun) sont condamnés à une peine de cinq années de prison, chacun. Pour couronner le tout, la sentence du juge Henri Grégoire Diop ordonne la confiscation de tous leurs biens et au paiement solidaire de 10 milliards de francs à titre de dommages et intérêts. Une décision qui sera confirmée par la Cour suprême.

Ce procès reste, à ce jour, le plus spectaculaire de l’histoire judiciaire sénégalaise. De la comparution de Bibo Bourgi sur une civière, au refus de comparaître de Karim Wade, en passant par le limogeage du Procureur spéciale Alioune Ndao en  pleine audience, la démission fracassante de l’un des assesseurs du président de la CREI, le juge Yaya Abdou Kane et la bouderie des avocats de la défense, suite à l’exclusion de  Me Amadou Sall, il aura tenu en haleine l’opinion.

Tahibou, Habré, Aïda Ndiongue et les autres

Cependant, sous l’ombre du procès de Karim Wade, s’est tenu un autre procès. Celui de l’ancien directeur du Cadastre, Tahibou Ndiaye, jugé avec son épouse et deux filles adoptives. Après cinq mois de délibération, le quatuor a été reconnu coupable d’enrichissement illicite et condamné à payer la somme globale de 11 milliards 463 millions 961 mille 52 F CFA. Reconnu comme auteur principal, Tahibou Ndiaye a été condamné à cinq ans d’emprisonnement ferme. Son épouse Ndèye Aby Diongue et ses deux filles adoptives ont été déclarées coupables de complicité d’enrichissement illicite. Mme Ndiaye a écopé  de 3 ans dont 2 ans assortie du sursis, les deux filles sont condamnées à deux ans assortie du sursis.

Ces deux procès n’ont pas été les seuls faits marquants de l’année 2015. Depuis le 20 juillet, Dakar est devenu la capitale de la justice internationale, avec l’ouverture du procès de l’ex-président tchadien Hissein Habré jugé pour crimes internationaux. Comme celui de Karim Wade, le procès s’est déroulé sous haute surveillance avec une grande mobilisation de la presse internationale. Autre similitude avec le procès de Karim, celui de l’homme fort de Ndjaména de 1982 à 1990 est marqué par le refus du prévenu de comparaître, mais aussi par un trouble d’audience au cours duquel les juges ont copieusement été insultés et taxés de tous les noms d’oiseaux.

Le procès de Aïda Ndiongue et ses acolytes Abdoul Aziz Diop, Amadou Ndiaye et Modou Sall a également malgré les esprits. C’est surtout à cause de la polémique née de la relaxe de l’ex-sénatrice libérale et ses complices poursuivis pour détournement de deniers publics portant sur 20 milliards. Non content de la décision, le parquet avait interjeté appel, en qualifiant la décision du juge correctionnel ‘’d’illégale et de troublante’’. L’affaire avait même poussé l’Union des magistrats sénégalais (UMS) à sortir de sa réserve pour condamner ces propos du parquet.

Une partie du Comité Directeur du PDS emprisonnée

Outre ces procès phares, l’année 2015 a aussi été marquée par l’arrestation de grands noms, surtout de la scène politique. Les membres du Comité directeur du Parti démocratique sénégalais figurent en tête du peloton. Le secrétaire général du mouvement des élèves et étudiants libéraux (MEEL), Victor Diouf, a été le premier à passer à la trappe. Il est en prison, depuis le mois de février, à cause de l’incendie d’un bus de Dakar dem dikk, lors d’une manifestation estudiantine du 21 janvier 2015. Un mois plus tard, ce fut au tour d’un autre membre du CD du PDS d’être envoyé en prison. Il s’agit de l’ancien Garde des Sceaux, Me Amadou Sall, incarcéré pour offense au Chef de l’Etat et atteinte à la sûreté de l’Etat, quelques jours avant le verdict de la CREI, dans l’affaire Karim Wade. Après trois mois de détention préventive, Me Sall a recouvré la liberté en attendant son procès prévu le 26 janvier prochain.

Quelques jours avant son arrestation, c’est la coordonatrice du mouvement Karim horizon 2017, Aminata Thiam dite Amina Nguirane, qui a été appréhendée en même temps que le lutteur Bathie Séras. Selon les autorités judiciaires, ils préparaient des casses en cas de condamnation de Karim Wade. Et au lendemain du verdict, ce fut au tour du secrétaire général de l’Union des jeunesses travaillistes (UJTL), Toussaint Manga de retourner en prison, après à une manifestation de protestation organisée par certains libéraux à Fann-Résidence. Toussaint Manga a été rejoint, quelques mois plus tard, par le secrétaire général adjoint du MEEL. El Hadj Diaw a été arrêté, suite au caillassage du cortège présidentiel, lors d’une visite du Chef de l’Etat à l’Université Cheikh Anta Diop. D’ailleurs, le jeune libéral n’était pas le seul jeune politique à être appréhendé. Son camarade de Rewmi, Bara Ndiaye, a également été incarcéré ainsi que deux autres étudiants. Tous les quatre bénéficient d’une liberté provisoire. Le dernier membre du CD du PDS à se retrouver en prison, c’est le non moins secrétaire général adjoint des libéraux, Oumar Sarr. Le maire de Dagana est en prison, depuis une semaine à cause l’affaire Lamine Diack.

Thione, lutteurs et journalistes au menu de dame Justice

Outre la sphère politique, les mondes de la musique et de la lutte ne sont pas prêts d’oublier l’année 2015. Car, en mai 2015, c’est une des icônes de la musique sénégalaise, Thione Seck, qui est tombé dans une affaire de faux billets portant sur la somme globale de 42 milliards de CFA. Depuis le 2 juin, le père de Waly Ballago Seck est en prison. Thione Seck a eu moins de chance que Lac de Guiers II arrêté en janvier au Technopole pour attentat à la pudeur, puisqu’il avait été surpris en intimité avec une fille dans un véhicule.

Le lutteur n’a certes pas été incarcéré, mais son dossier est pendant devant le tribunal d’instance de Guédiawaye. Un autre lutteur a eu des démêlés avec la justice. Il s’agit du fils de Falaye Baldé. Pour avoir levé la main sur un policier, lors d’un face-à-face organisé dans le cadre du tournoi de la Télévision numérique terrestre (TNT), Ama Baldé a failli hypothéquer sa participation au reste de ce championnat. Heureusement qu’il s’en est sorti avec une peine de 50.000 F CFA assortie du sursis. Si le leader de l’écurie Falaye termine l’année 2015 en étant fixé sur son sort, ce n’est pas le cas du promoteur Aziz Ndiaye. Le patron d’Aziz Production a un dossier pendant au deuxième cabinet d’instruction pour une affaire de riz volé et gardé dans ses magasins.

2015 n’a également pas été de tout repos pour la presse. Plusieurs journalistes se sont retrouvés sous le coup d’une inculpation et placés sous contrôle judiciaire. L’affaire Thione Seck a valu à Mouhamed Guèye du Quotidien d’être inculpé à l’issue d’une garde-à-vue. Alioune Badara Fall et Mamadou Seck de « L’Observateur » paient pour avoir écrit sur l’envoi de soldat au Yemen. Ils sont placés sous contrôle judiciaire. Tandis que le directeur de publication de votre canard est pris dans la guerre entre actionnaires pour le contrôle du service de transfert wari. Et tout dernièrement, plusieurs journalistes du groupe D-média ont fait l’objet de garde-à-vue, à cause de l’affaire Lamine Diack.

Querelle fratricide

En 2015, la justice a traversé une période tumultueuse dans son fonctionnement. Après l’affaire Aïda Ndiongue, les accusations de corruption proférées par Me Mame Adama Guèye ont porté un sacré coup aux relations entre l’UMS et le barreau, surtout à cause de la convocation de Me Mame Adama Guèye à la gendarmerie, suite à une plainte de l’UMS. Les nuages se sont finalement dissipés.

Mais ils ne dissiperont pas la peine ressentie par les magistrats qui ont perdu quatre des leurs en 2015. Il s’agit de deux anciens présidents du Conseil constitutionnel, Cheikh Tidiane Diakhaté et Mireille Ndiaye décédés respectivement en janvier et en mars dernier. Le Palais de justice Lat Dior n’avait pas encore fini de pleurer la magistrate Ndèye Aïssatou Bâ Faye, que la présidente du tribunal d’instance de Dakar lui a été arrachée. Quelques jours après sa nomination à la Cour d’appel, en octobre dernier, Ndèye Khady Diagne Ngom a rejoint le Juge Suprême.

FATOU SY

 

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