Publié le 24 Mar 2016 - 22:01
DOCTEUR MADOU KANE CHARGÉ DU VOLET SUIVI AU PNT

‘’La tuberculose est une maladie de la jeunesse’’

 

La journée mondiale de lutte contre la tuberculose est célébrée aujourd’hui. A cette occasion, le Docteur Madou Kane, chargé du volet suivi au Programme national de lutte contre la tuberculose, explique dans cet entretien le sens de cette journée. Il s’exprime aussi sur les causes de la tuberculose, les nouveaux cas détectés et les différentes stratégies mises en place par le gouvernement pour éliminer cette pathologie qui peut entraîner la mort, si elle n’est pas traitée.

 

Pourquoi avez-vous choisi le thème : ‘’S’unir davantage pour mettre fin à cette maladie dans notre pays ?’’

Le Sénégal va célébrer la journée mondiale de lutte contre la tuberculose à Fatick. Cet événement commémore la découverte, le 24 mars 1882, du bacille de la tuberculose par un médecin allemand qui s’appelle Robert Koch. D’où le nom : bacille de Koch. ‘’S’unir davantage pour mettre fin à cette maladie dans notre pays’’ a été choisi, parce que nous avons fait beaucoup d’efforts ces deux dernières années pour lutter contre la maladie. Dans le calendrier international 2015, c’est l’échéance des objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Donc, en fin 2015, nous avons évalué les OMD, nous avons adopté un nouvel agenda, une nouvelle stratégie de lutte contre la tuberculose qui s’appelle ‘’END TB’’ (mettre fin à l’épidémie de tuberculose dans le monde). C’est dans le cadre du respect de cette stratégie que nous avons lancé ce slogan. C’est une stratégie assez ambitieuse qui fixe, d’ici 2035, l’élimination de la tuberculose. Nous sommes dans une phase d’élimination de cette maladie dans notre pays.

Quelles sont les causes réelles de la tuberculose ?

On parle de causes, mais on aurait dû parler de déterminants. C’est une maladie infectieuse qui touche les poumons, en premier lieu, et peut s’étendre à tous les organes. La cause est souvent liée à la promiscuité, au confinement, à l’habitat. Elle se développe aussi chez des populations particulières, comme les refugiés et ceux qui vivent dans une situation de malnutrition, de baisse de l’immunité, les diabétiques, les personnes vivant avec le VIH. On peut aussi attraper la tuberculose, quand on est dans une situation de stress. Mais ceci, c’est quand on utilise des traitements immuno suppresseurs comme les corticoïdes. Ça baisse l’immunité.

Et quels sont les modes de transmission ?

Cette maladie se transmet essentiellement par voie respiratoire. Quand un tuberculeux atteint le format pulmonaire, tousse, il disperse autour de lui un aérosol qu’on appelle gouttelettes de fluge. Ces gouttelettes contiennent en même temps des gouttelettes saines mais aussi des gouttelettes qui ont des bacilles de Koch. Quand une personne saine est en contact étroit avec ces gouttelettes, elle peut les inhaler et développer au niveau de son poumon un premier stade, c'est-à-dire l’infection tuberculose. On appelle cela la primo infection. Cette primo infection, dans 90% des cas, guérit, si on a un bon système immunitaire, de bons globules blancs. Dans 10% des cas, malheureusement, le système immunitaire peut être dépassé et évolué vers le stade de maladie tuberculose. Ces gens sont ceux qui ont une immunité basse, comme les diabétiques, les personnes vivant avec le VIH, les enfants, les personnes en âge avancé. Le stress est aussi un facteur de baisse de notre immunité ; le tabagisme chronique, l’alcoolisme chronique.

Dans cette phase d’élimination de la maladie, de nouveaux cas de TB ont-ils été détectés ?

Chaque année, nous détectons de nouveaux cas. Nous avons mis au niveau du Sénégal un dispositif de détection et de traitement. Nous avons dans les 14 régions du Sénégal 128 laboratoires qui diagnostiquent la tuberculose.

Nous avons 84 centres de traitement de la tuberculose sur l’ensemble du territoire national. Nous avons des laboratoires régionaux, un laboratoire national qui est impliqué dans la culture et la recherche de cette maladie. En 2015, nous avons détecté 9 000 cas de forme contagieuse, c'est-à-dire de forme pulmonaire à microscopie positive. Mais ce qui est important à retenir, ce ne sont pas ces cas, puisque les 9 000 cas détectés, on va les mettre sous traitement. Nous comptons les guérir et vont sortir de la chaîne de transmission. J’aimerais mettre le focus sur les cas manquants.

S’il y a des cas manquants dans la communauté, même s’ils sont en nombre assez limité, chaque cas de tuberculose non détecté, non traité, peut chaque année contaminer 10 à 15 personnes. Imaginons qu’il y ait mille personnes manquantes. Ces dernières, d’ici la fin de l’année 2016, risquent de se multiplier et le circuit risque de recommencer. Nous devons pousser les populations à se faire diagnostiquer, pour qu’il n’y ait plus de cas de tuberculose non diagnostiqué, non traité, dans la communauté. Il faut dépister pour diminuer la charge de cette maladie sur les populations. Plus on dépiste, mieux ça vaut. Si on dépiste tout, il n’y aura plus de cas dans la communauté et les ressources que nous utilisons pour lutter contre cette maladie serviront à d’autres secteurs.

Quelles sont les régions les plus touchées par la maladie ?

La tuberculose est une maladie liée à la promiscuité et au confinement : là où il y a beaucoup plus de population. Nous avons remarqué que des régions comme Dakar, Thiès, Diourbel, sont essentiellement celles où il y a plus de cas. Mais, il faut ajouter à cela la région de Kaolack, Saint-Louis. Dakar concentre l’essentiel des structures sanitaires.

Mais aussi, par le passé, la tuberculose était traitée à Dakar à la polyclinique, au service de pneumologie de Fann. Cela est resté dans la mémoire collective des populations. Donc, quand une personne est malade, dans les régions périphériques, elles préfèrent venir à Dakar s’ajouter à ceux qui sont déjà sur place. Ce qui fait que Dakar enregistre les 45% des cas de tuberculose dépistés dans le pays. Ensuite, vient la région de Thiès, parce qu’en terme de démographie, elle est deuxième, puis Diourbel, avec le centre religieux Touba qui polarise beaucoup de populations. Donc, les régions qui ont une plus grande population sont les plus touchées.

Vous parlez de cas manquants, y-a-t-il des perdus de vue ?

Oui, nous avons assez de perdus de vue, mais le nombre a beaucoup baissé. Il y a deux ou cinq ans, les perdus de vue étaient assez importants. Mais aujourd’hui, pour ces cas que nous traitons, nous avons un taux de guérison de 88%. Cela veut dire que, sur 100 malades, les 88 sont traités jusqu’à guérison. Donc le taux des perdus de vue est inférieur, en moyenne, à 5% de ces cas. C’est vrai que les 5% sont importants, en termes de nombre absolu.

Mais nous sommes en train de miser sur la communication, pour montrer aux populations que la tuberculose est une maladie qui se guérit. Les médicaments sont disponibles. Le diagnostic ou le dépistage est gratuit. Maintenant, si on doit se traiter, il faut le faire jusqu’à la fin. A ce moment, on peut reprendre ses activités. Mais, si on interrompt son traitement, il y a des risques de développer des complications. Il y a aussi des risques de développer une forme multirésistante de cette maladie qui, à la longue, peut mettre en jeu le pronostic vital du malade.

Qu’est-ce qui explique la multi-résistance de la maladie ?

La multi-résistance est un facteur de contreperformance, si on est malade et qu’on ne se traite pas correctement. Les médicaments dont nous disposons sont très efficaces. Mais si on ne se traite pas correctement, les microbes ont tendance à résister à ces médicaments. Nous avons deux antibiotiques majeurs qui tuent les bacilles. Quand un malade abrite des bacilles de Koch qui sont résistants à ces deux antibiotiques, c’est là qu’on parle de multi-résistance. Cette forme a les mêmes signes, les mêmes symptômes que les formes communes.

Donc on ne peut pas les différencier cliniquement. Mais l’État a mis en place des appareils de tests moléculaires, dans 9 régions du Sénégal. Ces appareils permettent de dépister d’abord la tuberculose ; mais aussi de voir si cette tuberculose dépistée est résistante ou si elle est sensible aux antituberculeux existants. Si on découvre la résistance, on le met dans un dispositif du traitement. Ces cas sont traités, suivis. Nous avons un bon taux de guérison de ces cas. Au niveau international, dans la plupart des pays qui sont touchés, comme l’Inde, l’Afrique du Sud et l’Ethiopie, les taux de guérison tournent autour de 65%. Nous, nous sommes autour de 76%.

Quel est le taux de prévalence de la tuberculose au Sénégal ?

Le taux est assez moyen par rapport aux pays voisins. Aujourd’hui, au niveau national, nous attendons pour toute forme confondue environ 93 cas pour 100 mille habitants. C’est le taux de notification. Nous ne nous figeons pas sur ces taux qui sont calculés de façon spécifique. Nous devons plutôt mettre le focus sur les cas qui manquent à la notification. Nous devons vraiment traquer ces cas, les sortir et les traiter. C’est ce qui fera disparaître la tuberculose. Mais tant qu’on sera dans ce dispositif de dépister, de traiter et laisser une partie qui manque, cela va toujours poser problème dans la lutte contre la tuberculose au niveau du pays.

Certains experts avancent que la tuberculose affecte plus la population la plus active. Qu’est-ce qui explique cela ?

Oui. Dans les pays africains, la tuberculose est une maladie de la jeunesse. Ce sont les jeunes qui sont les plus touchés, parce que ce sont eux qui vont chercher de l’emploi. Qui détiennent le pouvoir économique. Qui empruntent les moyens de transport. Nous avons vu que la tranche d’âge jeune, 25-45 ans, est la plus touchée, filles comme garçons. Il y a aussi un rapport assez important de l’association tuberculose et VIH. Et c’est cette tranche d’âge qui est la plus touchée par le VIH. Donc, si on combine tous ces effets, la population active est la plus touchée.

Quel est le plan de lutte qui a été élaboré par les autorités pour faire face à la maladie ?

Le gouvernement s’est engagé très tôt dans la lutte contre la maladie, en achetant d’abord tout ce qui est médicaments, produits de laboratoires, mais aussi en affectant du personnel. Nous avons un engagement fort du gouvernement, à travers le ministère de la Santé. L’Organisation mondiale de la santé a dit qu’il faut un engagement des gouvernements pour qu’on ait des médicaments, des sites de prise en charge et du matériel de diagnostic. Dans notre pays, les autorités sont assez déterminées, mais aussi elles sont en train de chercher des partenaires dans la lutte contre cette maladie. Nous avons un partenariat avec le privé et toutes ces activités sont axées sur le plan stratégique de lutte contre la tuberculose et nous le déroulons bien.

VIVIANE DIATTA

 

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