Cheikh Ndoye, le faux bon
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Est-ce que ce monde est sérieux ? On savait le microcosme du football un peu faux-cul, parfois effacé des réalités, souvent posé hors du temps et de la morale, mais l’on ne lui soupçonnait pas cette surréaliste capacité à inverser les notions de bien et de mal, les repères du beau et du laid. Il y a comme un sentiment de monde à l’envers quand tombe des tribunes (de presse) une drôle de passion pour un Bison lourdaud, totem improbable et indéchiffrable des fidèles du Sco Angers.
C'est quoi, ce drôle d’animal ? C’est qui ce Cheikh Ndoye, émir bodybuildé de la ‘’dalle angevine’’ ? Le symbole d'un foot qui se joue en altitude, le reflet de la médiocrité de la Ligue 1 française ou la lubie d'une presse hexagonale qui, lassée des redondantes ‘’Zlataneries’’, se découvre un nouveau ‘’Spécial one’’. Moins glamour, plus brute. Plus baroque, moins empailletté.
Ce garçon est un savoureux canular. Un petit mensonge au temps présent, un pied-de-nez à une époque où le ‘’football se joue à onze et, à la fin, ce sont les petits qui triomphent toujours’’. A l’ère du Messi-Roi, des Princes Iniesta, Xavi, Modric et des Verrati, Ngolo Kanté et consorts, ce Sénégalais haut perché aux jambes interminables prospère dans un football anachronique. Hors du temps. A contre-courant d’un quotidien envoûté par la magie Blaugrana, qui se gave de style offensif et dont le palais déborde de panache.
Cheikh Ndoye a tracé son chemin sinueux de footballeur loin des flamboiements célébrés du moment, dans la précarité de son potentiel peu nanti et à l’aune de sa carcasse dégingandée qui aimante souvent sourires gênés ou quolibets gênants. Son physique n’est pas facile, sa carrière idem. Parce qu’à l’évidence, la ‘’vraie’’ performance du garçon n’est pas footballistique, mais plutôt athlétique. L’Angevin est un géant monté sur des poutres qui réalise sans talent le rêve de millions de gamins ‘’normalement doués’’, en enchaînant avec une facilité déconcertante des reprises du tibia, des passes dévissées, des tirs décadrés et, ouf, des très efficaces ‘’coups de boule’’. Car, dans l'absolu, le Rufisquois est un footballeur calamiteux, mais, si l'on tient compte de sa dégaine et de ses rédhibitoires insuffisances techniques, Cheikh Ndoye est exceptionnel de compétence dans le jeu moche et pingre qui prospère à Angers. Un sanctuaire de ‘’la victoire à tout prix’’ où son goût pour la castagne, sa générosité de coureur à pied, son sens du timing et, accessoirement, du but en font un porte-étendard affranchi d’une équipe décomplexée, qui a fini d’assassiner le beau jeu au nom de la sauvage compétition.
La gloire du Sénégalais est de réussir à faire distinguer son individualité dans un jeu angevin éminemment collectif, au sein duquel le pragmatique technocrate, Stéphane Moulin, s’est longtemps acharné à vouloir rendre “ses” footballeurs aussi plats que leurs maillots sous le fer à repasser. Parce que Cheikh Ndoye n’est pas un numéro, mais un ‘’artiste’’…à sa façon. Un faux-bon à qui le passé a ôté tout passe-droit, un revanchard dont la vie file sur le mode de la fierté, de la combativité, du désir d’être toujours le premier. Pas le meilleur. Le premier simplement : dans l’effort, la volonté, l’exemplarité… Un ‘’artiste’’ curieux et laborieux, inqualifiable et inclassable, qui vibrionne et vrombit au-dessus des codes préétablis : ni grand récupérateur ni grand relayeur, ni grand passeur ni grand buteur, ni adroit ni maladroit… Il est de cette caste de “seconds rôles” qui balaie le sens commun de la critique pour faire chanter l’âme singulière des petites mains” du jeu. Il est une des petites voix reconnues du peuple de besogneux. Cette famille de soutiers, sortes de “Busquets du pauvre”, sans qui Messi ne serait pas Messi. Sans qui le football ne serait pas le football.
ABDALLAH DIAL NDIAYE