‘’En quelques mois, nous avons créé plus de 5300 sociétés à responsabilité limitée’’
Le Secrétaire exécutif de la Commission nationale OHADA du Sénégal apprécie les évolutions faites par l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires. En marge d’un séminaire de formation à l’intention du Collectif des journalistes économiques du Sénégal (Cojes), Mountaga Diouf est revenu avec EnQuête sur les initiatives prises pour vulgariser cette réforme.
C’est quoi l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires ?
L’OHADA est une organisation qui a été créée en 1993 par les Etats africains francophones auxquels se sont ajoutées la Guinée Équatoriale et la Guinée Bissau. Pourquoi cette organisation a été créée ? En fait, le Sénégal a hérité du droit français après les indépendances, de même que tous les pays colonisés par la France. 30 ans après les indépendances, nous nous sommes rendu compte que le droit que nous avons hérité de la France, qui était le même dans tous les Etats, a changé. Avec l’indépendance, l’évolution, chaque Etat a tenté, en s’inspirant du droit français, de mettre en place ses propres dispositifs. D’autres Etats ont maintenu le droit français tel qu’il était en 1960.
Du coup, 30 ans, 40 ans après les indépendances, nous avions un droit complètement différent dans les pays francophones, ce qui n’était pas favorable au marché ouest-africain puisqu’il suffisait de franchir la frontière avec le Mali ou la République de Guinée pour être devant des textes complètement différents. Conscients des conséquences négatives de cette diversité de législations dans une Afrique qui vise à s’unir, les chefs d’Etat ont, à la suite d’une idée émise par les ministres des Finances qui s’étaient réunis à Ouagadougou en 1991, lors d’un sommet des pays membres de la Zone franc, repris cette idée d’harmoniser le droit des affaires en Afrique. Ils ont signé le traité créant l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA) en Île Maurice, le 17 octobre 1993.
Depuis lors, qu’est-ce qui a été fait pour sa vulgarisation ?
C’est déjà le traité adopté en 1993. Très rapidement aussi, dès les années 1997-1998, nous avons les premiers Actes uniformes, c’est-à-dire les règles matérielles réglementant les affaires dans notre continent. Aujourd’hui, nous en sommes à 9 Actes uniformes, des textes qui embrassent l’essentiel de la vie des affaires et du point de vue de la Commission nationale OHADA du Sénégal, depuis sa création en 2008, nous avons effectué beaucoup d’activités de vulgarisation, de conception des textes qui exigeaient des mesures sur le plan national. Nous avons formé presque tous les magistrats sénégalais. Nous avons organisé des sessions de formation à l’endroit de tous les avocats, de tous les professionnels du droit.
Déjà, certains Actes ont commencé à être réformés. Pourquoi ?
Les premiers Actes uniformes ont été adoptés en 1997-1998. On les a appliqués pendant plus d’une quinzaine d’années. En 2010, les autorités de l’OHADA se sont rendu compte que ces textes-là, bien qu’étant des textes de qualité, pouvaient être améliorés pour correspondre à ce qui se fait de mieux dans le monde. C’est pourquoi, depuis 2010, le législateur de l’OHADA a modifié certains Actes uniformes.
Quels sont les Actes concernés par cette modification ?
Il y a l’Acte uniforme sur le droit commercial général qui a été modifié en 2010. On s’est rendu compte qu’on pouvait améliorer le droit qui régit l’activité des commerçants. Ce droit a été modifié. On s’était rendu compte également que le droit commercial ne prenait pas en compte une franche importante de la population qui exerce des activités commerciales dans nos pays. Ce sont des gens qui s’activent dans l’informel.
Les statuts des commerçants ne les arrangeaient pas parce qu’ils étaient dans l’informel. Ainsi, le législateur de l’OHADA, dans la réforme de 2010, a créé un statut adapté à ces personnes qu’on appelle statut de l’entreprenant. En même temps, il a modernisé le registre du commerce et du crédit mobilier. L’Acte uniforme sur les sûretés a été également revu en 2010 pour moderniser les sûretés existantes, faciliter la réalisation des sûretés, parce qu’un fait est d’avoir une sûreté, mais un autre est de la réaliser. Les règles de réalisation des sûretés étaient apparues un peu rigides et il a fallu un peu les assouplir pour faciliter la réalisation. Ensuite, l’Acte uniforme a prévu des sûretés qui n’existaient pas en renforçant ainsi le pouvoir des créanciers.
En 2014, le législateur a révisé l’Acte uniforme relatif au droit des sociétés commerciales pour créer une cinquième forme de sociétés commerciales qu’on appelle la Sociétés par action simplifiée (SAS) pour moderniser et assouplir davantage les règles de fonctionnement des sociétés commerciales et surtout pour permettre aux Etats qui le souhaitent d’engager des réformes sur le droit des sociétés qui correspondent le mieux à leurs besoins. C’est sous ce rapport que le Sénégal a pu baisser le capital minimum de la SARL (Société à responsabilité limitée, ndlr) et finalement même enlever l’exigence d’un capital minimum en laissant au statut la liberté de fixer le montant du capital social.
Quels sont les résultats obtenus à la suite de cette mesure de faire baisser le capital minimum de la SARL ?
C’est une réforme qui a produit des résultats extrêmement importants. En l’espace de quelques mois, nous avons créé plus de 5300 sociétés à responsabilité limitée, parce que le capital social, ce sont les statuts qui le fixent de manière libre. Les notaires ont diminué, sur la base d’un décret signé par Monsieur le président de la République, le montant de leurs émoluments. Aujourd’hui, pour créer une société à responsabilité limitée dont le capital social est inférieur à 500 000 F Cfa, vous ne payez que 20 000 F.
Si le capital social excède 500 000 F Cfa et ne dépasse pas 5 millions de F Cfa, vous ne payez que 70 000 F Cfa aux notaires pour créer votre société commerciale. Cela a boosté la création des sociétés à responsabilité limitée et a contribué à faire du Sénégal, pendant deux années successives, l’un des 10 meilleurs réformateurs au monde en gagnant des points et des places dans le classement du Doing Business. En 2015, on a encore réformé l’Acte uniforme sur les procédures d’apurement du passif pour créer une procédure préventive de conciliation mais également pour améliorer le dispositif qui existait dans l’Acte uniforme de 1997.
Donc pour vous, c’est une bonne chose de réduire le capital minimum pour la SARL ?
Ah oui ! Ça libère les énergies. Vous voyez un jeune qui sort de l’université, d’une école de formation, qui veut créer son entreprise, parce que l’Etat ne peut pas donner à tout le monde un emploi, il faut donc booster l’initiative privée. Ce jeune-là n’a pas d’argent. Pourquoi ne pas lui faciliter la mise en place de son entreprise. Il ne peut pas aller emprunter de l’argent s’il n’a pas de structure. Si on lui facilite la création de son entreprise, c’est déjà un bon départ. Le capital social de 1 million de F Cfa qui était prévu par l’Acte uniforme était tout simplement un goulot d’étranglement, parce qu’il fallait courir chercher 1 million de F Cfa, payer les frais de constitution de la SARL et commencer à chercher les moyens de travailler.
Le Sénégal a estimé que ça ne servait à rien du tout et qu’au contraire, ça bloquait les initiatives. Donc, il a dit : ‘’Il convient maintenant de réduire le capital minimum.’’ Une première loi adoptée en 2014 avait déjà fixé le capital minimum à 100 000 F et finalement, le Sénégal est allé même plus loin que ça en disant tout simplement : ‘’On laisse aux statuts la latitude de fixer le montant du capital social.’’ S’ils veulent un capital social de 10 000 F, ils n’ont qu’à le faire ; s’ils veulent un capital de 50 millions de F Cfa, ils n’ont qu’à le faire. Chacun fait sa société à responsabilité limitée en fonction de ses moyens de départ.
La baisse des frais des notaires ne constitue-t-elle pas un manque à gagner pour ces derniers ?
C’est un manque à gagner pour les notaires, c’est sûr. Mais le gouvernement du Sénégal n’a rien imposé aux notaires. Tout a été négocié avec la Chambre des notaires. Les notaires, il faut le souligner et les en remercier, ont accepté, dès 2014, de dire que pour les sociétés à responsabilité limitée dont le capital social est inférieur à 500 000 F Cfa, nous ne demanderons que 20 000 F. C’est une somme vraiment symbolique si on connaît le circuit de création des entreprises, ce que ça suppose comme contrôle, comme conseil. L’activité effectuée par le notaire lors de la création d’une société commerciale est une activité dont le coût dépasse largement les 20 000 F.
Les notaires avaient accepté, à l’époque, de dire que nous allons accompagner la réforme, en nous contentant d’une somme de 20 000 F. Un an plus tard, ils ont encore accepté d’élargir jusqu’à 5 millions de francs. Quand on sait que les frais notariés tournaient autour de 200 000 F Cfa pour une SARL de 1 million de F Cfa, les notaires ont accepté que lorsqu’une SARL dépasse 500 000 F et jusqu’à 5 millions de F Cfa, ils ne perçoivent que 70 000 F Cfa. C’est un appui que la chambre des notaires a apporté à l’Etat dans cette volonté de booster la création d’entreprises.
Beaucoup d’entreprises sont créées, mais le taux de morbidité de ces entreprises, après deux ans d’existence, reste encore élevé. Qu’est-ce qu’il faut faire à ce niveau pour pérenniser ces entreprises ?
Une chose est de créer une société, une autre est de la rendre pérenne. Si vous créez une société avec un capital social important et que vous avez les moyens de votre politique, il n’y a aucun souci à part les contraintes liées au marché et à la crise mondiale, peut-être que votre entreprise peut durer pendant longtemps. Par contre, si vous créez votre société et vous n’avez pas les moyens de votre ambition, notamment lorsque vous avez créé une petite structure comme une SARL avec un faible capital social, il importe également que l’Etat trouve des mesures d’accompagnement pour que ces petites entreprises puissent être pérennisées.
L’Etat du Sénégal est en train de travailler là-dessus. Une fois que tout le dispositif sera mis en place, le taux de morbidité dont vous parlez va être fort bien réduit. Ce qui, de mon point de vue, empêche ces sociétés de se développer, c’est surtout des besoins de financement qui ne sont pas satisfaits, des besoins de formation qui ne sont pas satisfaits, des contraintes fiscales auxquelles ces entreprises ne peuvent répondre correctement, mais également des besoins sociaux qui sont là et que l’entreprise ne peut pas satisfaire. L’existence d’une politique globale pour moderniser l’économie, booster l’esprit entrepreneurial, tout ce dispositif figure dans l’avant-projet de loi pour la modernisation de l’économie auquel nous avons inscrit, nous ministère de la Justice, le statut de l’entrepreneuriat.
Est-ce que la Commission nationale OHADA que vous dirigez a fait une évaluation de l’impact des mesures de l’OHADA sur la manière de faire du commerce au Sénégal ?
La Commission nationale OHADA n’a pas fait d’études d’impact. Pour faire des études d’impact, il y a beaucoup de choses qui entrent en jeu : il faut beaucoup de compétences en matière économique, en matière de statistiques. Bien sûr, nous pouvons y revenir, discuter avec des experts pour mesurer tout cela. Mais nous avons estimé qu’il faut permettre au dispositif que nous avons mis sur place, depuis plusieurs années, de se déployer pendant une durée très longue pour que les éléments d’appréciation sur lesquels le comité, qui sera mis en place pour mesurer les impacts, pourrait utiliser des éléments fiables pour faire une évaluation correcte.
A présent, à part les données statistiques relatives à la création d’entreprise, il y a également les avancées du Sénégal sur le terrain du classement du Doing Business. A partir de ces éléments à caractère international, on se rend compte que les réformes entreprises par le Sénégal en matière d’activités économiques, de manière générale, font du Sénégal un bon élève. Le Sénégal est sur la bonne voie de la facilitation de la création des entreprises, de la facilitation de l’activité des affaires dans notre pays.
Mais est-ce que l’OHADA peut jouer ce rôle d’intégration régionale tant souhaitée par les Africains ?
L’OHADA a accompli la prouesse de regrouper 17 Etats sur le territoire desquels on retrouve le même droit des affaires. Ce n’est pas rien ça. Le traité de l’OHADA a été négocié en moins de deux ans. Aujourd’hui, nous avons 9 Actes uniformes, 17 Etats. Ça, c’est un exemple d’intégration. Aujourd’hui, nous avons les mêmes textes de loi. Vous partez à Bangui, à N’Djamena, aux Comores, vous retrouvez le même texte OHADA. L’OHADA a aussi réussi la prouesse d’avoir une même Cour suprême pour harmoniser ses textes. C’est un fait d’avoir les mêmes textes, mais un autre est d’appliquer ces textes de la même manière.
On sait que dans nos Etats, la juridiction qui contrôle l’interprétation et l’application des textes est la Cour suprême. Nous avons des textes communs à 17 Etats. Si on laissait chaque Etat interpréter les textes comme il le souhaite, nous n’allons pas réussir l’intégration. L’OHADA a réussi à fédérer 17 Etats qui ont mis en place une seule Cour suprême qu’on appelle Cour commune de justice et d’arbitrage et qui assure l’interprétation et l’application des Actes uniformes de l’OHADA. Il y a des difficultés mais véritablement, de mon point de vue, parmi les organisations à caractère régional qu’on a vues en Afrique depuis les indépendances, l’OHADA apparaît comme un modèle de réussite.
PAR ALIOU NGAMBY NDIAYE