Publié le 14 Jan 2018 - 00:24
LACTALIS

C’est quoi cette boîte de lait ?

 

Après les atermoiements du géant de l’agroalimentaire, Bercy a tapé du poing sur la table vendredi et l’a contraint à reprendre tous les lots de lait infantile produits sur son site contaminé à la salmonelle. Retour sur la culture de cette entreprise où l’opacité est cultivée de père en fils.

 

Lactalis pris à son propre piège ? Le culte du silence et du secret qui prévaut depuis des décennies chez le leader mondial des produits laitiers semble s’être retourné contre lui, alimentant toutes les suspicions.

Suspicions entretenues par les atermoiements de l’entreprise elle-même lorsqu’il s’est agi de retirer de la vente les lots de lait infantile possiblement contaminés par la salmonelle, donnant l’impression de traîner les pieds. Une version soutenue par le ministère de l’Economie qui a demandé vendredi au groupe, par la voix de Bruno Le Maire (qui recevait à Bercy le PDG de Lactalis, Emmanuel Besnier), de retirer du marché la totalité des produits fabriqués à Craon (Mayenne), où se situe l’usine responsable de la contamination.

Mais alors que la crise s’étend en Europe (un cas de salmonellose avéré a été découvert en Espagne, alors qu’un autre restait vendredi soir à confirmer en Grèce), peut-être faut-il voir aussi, dans ce manque de réactivité, le poids d’une culture d’entreprise qui semble n’avoir d’autre boussole que la recherche du profit à tous crins. Caractéristique certes largement partagée, mais quasiment élevée au rang d’art par le laitier mayennais.

Camembert

Les débuts de l’entreprise, qui compte désormais à son tableau de chasse de nombreuses marques de renom (Lactel, Bridel, Salakis, la Laitière), sont modestes. C’est en effet dans son petit atelier de Laval qu’André Besnier fabrique en 1933 ses premiers camemberts. En 1955, après sa mort, son fils Michel reprend le flambeau et lance la marque Président. Surnommé « l’Emir blanc », Michel Besnier, homme à poigne, se montre d’une voracité insatiable, engageant son entreprise dans une croissance externe menée tambour battant. Outre le rachat de plusieurs laiteries, il se lance dans les premières implantations à l’étranger du groupe, rebaptisé Lactalis en 1999.

Quelques années après sa mort, en 2000, un ancien cadre de Lactalis évoque dans un petit ouvrage la Saga Lactalis, le mépris d’André Besnier pour les coopératives laitières (parmi ses principaux concurrents) qui n’auraient pas «suffisamment la religion du profit».Son fils Emmanuel reprend les rênes du groupe pour lui faire franchir de nouvelles étapes dans son internationalisation. En 2011, le lancement d’une OPA hostile sur l’italien Parmalat, qui le hisse au premier rang mondial des industriels du secteur laitier, l’oblige pour la première fois à publier ses comptes. Non cotée en Bourse, l’entreprise familiale (qui appartient à Emmanuel Besnier, à son frère Jean-Michel et à sa sœur Marie) tient secret le détail de ses chiffres, quitte à s’acquitter d’éventuelles amendes.

«C’est une idée socialo-communiste»

Aujourd’hui tentaculaire, le groupe affiche un chiffre d’affaires de 17,3 milliards d’euros, compte pas moins de 246 sites de productions dans 47 pays, pour un effectif global de 18 900 «collaborateurs». Début janvier, Lactalis a encore annoncé le rachat aux Etats-Unis de Siggi’s, le «roi du yaourt islandais», et devient ainsi un des plus importants fabricants de yaourts sur le continent nord-américain.

Parmi les recettes de son succès, outre un flair indéniable, la manière dont Lactalis a pu se montrer intraitable vis-à-vis de ses producteurs de lait n’est sans doute pas anodine. «La politique de Lactalis, c’est de diviser pour mieux régner, explique à Libération un exploitant de la FNSEA. En favorisant les contrats individuels imposant ses prix et les volumes qu’elle souhaite récolter avec chaque exploitant, elle a droit de vie ou de mort sur chacun d’eux.» Histoire d’enfoncer le clou, un éleveur sarthois évoque également un épisode qui en dit long sur l’état d’esprit au sein de l’entreprise, même si les choses se seraient quelque peu améliorées ces derniers mois… «Début 2016, un des responsables des achats du groupe nous a déclaré que le partage de la valeur ajoutée était une idée socialo-communiste qui n’était pas dans l’ADN de Lactalis et que Bruxelles ferait mieux d’investir dans la filière laitière plutôt que dans l’accueil des migrants.»

Si les éleveurs sont incités au silence, il en va manifestement de même pour les employés de Lactalis. Depuis le début de la crise des lots contaminés, ni la direction ni aucun des 500 salariés de l’usine de Craon qui avait déjà été touchée par la salmonelle en 2005, lorsqu’elle s’appelait encore Celia, ne se sont exprimés publiquement. «C’est la discrétion la plus totale», affirme un ancien fournisseur de lait de l’usine qui estime que le personnel a «probablement reçu des consignes». Il n’est pas question que les rares représentants syndicaux s’expriment. Contactés par Libération, les délégués de la CFTC (principale organisation de l’entreprise à Laval) ou de la CFDT s’en sont tenus à un bref «pas de commentaire».

Avant la conférence de presse donnée jeudi par Lactalis dans ses locaux parisiens (événement rarissime pour l’entreprise), la directrice de l’information de l’association Foodwatch, Ingrid Kragl, a mis en cause sur France Inter un groupe qu’elle juge principale responsable de la crise actuelle et qui représenterait le «summum» de l’opacité dans ce type d’affaire. La conférence de presse lui a donné raison. Le directeur de la communication de Lactalis, Michel Nalet, passé maître dans l’art de ne rien dire, se contentant de réitérer des excuses plutôt que de fournir des explications.

 

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